le 7 février 2025
Par Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen
Revenons sur l’inquiétante alerte brune qui vient de secouer l’Allemagne : le 29 janvier, Friedrich Merz, chef du principal parti de droite, la CDU, et grand favori des élections législatives allemandes du 23 février prochain, brise un tabou emblématique en faisant adopter au Bundestag une résolution scélérate contre l’immigration grâce aux voix de l’extrême droite, deux jours après la commémoration du 80e anniversaire de la libération du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau ! Cette motion, certes non contraignante, précisait les mesures jusqu’au-boutistes que le probable futur chancelier entendait appliquer dès son élection : en particulier, le refoulement systématique de tous les arrivants en situation irrégulière, y compris les demandeurs d’asile – ce qui est contraire au droit tant européen qu’international. Il espérait, expliquera-t-il, se mettre ainsi à la hauteur de l’émotion suscitée dans l’opinion à la suite de trois drames impliquant des étrangers… Notons que, pour parvenir à ce résultat, le leader de la droite avait rassemblé, outre les voix de son propre groupe, celles du parti libéral, le FDP. À ce bloc de droite s’est donc ajouté celui de l’AfD, le tout aboutissant à une majorité contre nature.
La suite mérite toute notre attention. À gauche, comme on s’y attendait, cette compromission sans précédent en Allemagne (droite et extrême droite mêlant leurs voix) a suscité un tollé et des manifestations de masse ont eu lieu dans plusieurs villes du pays pour dénoncer le « danger fasciste ». Mais des remous ont également secoué la droite, y compris au sein de la CDU, où des voix se sont élevées contre l’irresponsabilité du candidat à la chancellerie. Ainsi, Angela Merkel – que Merz a toujours jugée trop « centriste » – est sortie de sa retraite pour fustiger la « faute politique » du favori des élections, issu de son propre parti, en lui rappelant l’engagement qu’il avait pris en novembre dernier, de faire en sorte d’éviter « fût-ce une seule fois » qu’une majorité ne soit obtenue au Parlement avec les voix de l’AfD !
Friedrich Merz ne tint aucun compte de cette admonestation inédite et tenta, dès le lendemain, de récidiver pour faire adopter non plus une simple résolution, mais carrément une proposition de loi prévoyant de restreindre immédiatement les rapprochements familiaux, de faciliter la mise en détention des étrangers sans papiers et de renforcer les pouvoirs de la police. Au Parlement, seuls la gauche et les Verts appelèrent à voter contre. Des présidents de région exprimèrent leur opposition. Par ailleurs – fait rarissime – les Églises catholique et évangélique dénoncèrent, dans une lettre commune adressée aux parlementaires, les mesures envisagées. Et, cette fois-ci, à la surprise générale, malgré le soutien explicite de la CDU, des libéraux et du groupe populiste de Sahra Wagenknecht, l’ex-coresponsable du groupe de Die Linke qui veut « dynamiter le système politique », le texte fut rejeté, marquant un sérieux revers pour son auteur et ses auxiliaires.
Quels effets ce séisme politique et ses répliques auront-ils sur le débat citoyen et le vote du 23 février ? L’opinion publique allemande s’en saisira-t-elle en profondeur ? L’idée prévaudra-t-elle que la surenchère anti-migrants, d’où qu’elle vienne, ne fait que renforcer l’AfD ? Le terrible précédent autrichien – où, à force de collaboration de la droite avec l’extrême droite, le représentant d’un parti fondé par d’anciens nazis est tout près de devenir chancelier ! – provoquera-t-il le sursaut espéré ? L’enjeu concerne toute l’Europe.