Lu sur La détention de Paul Watson, prolongée de 3 semaines au Groenland - L'Humanité (humanite.fr)
Le militant écologiste arrêté le 21 juillet dernier au Groenland à la suite d’un mandat d’arrêt international japonais, restera emprisonné jusqu’au 5 septembre. Ses avocats et soutiens dénoncent un « harponnage judiciaire » du Japon, qui pratique encore la chasse à la baleine.
le 16 août 2024
Le verdict est tombé le 15 août : la détention de Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Sheperd sera prolongée jusqu’au 5 septembre prochain. Le militant écologiste Americano canadien, connu pour défendre les baleines et cétacés des mers du monde entier, avait été arrêté il y a trois semaines dans le Groenland, à la demande du Japon, qui souhaite qu’il soit jugé sous sa juridiction. Le tribunal groenlandais de Nuuk a affirmé prendre cette décision pour garantir la présence de Paul Watson « au moment de la décision d’extradition », dont la date n’a pas été rendue publique par le Danemark.
« Paul Watson est victime d’un harponnage judiciaire pour avoir dénoncé l’illégalité du massacre des baleines perpétré par le Japon », a réagi François Zimeray, l’un des avocats de Paul Watson, contacté par l’Humanité, précisant néanmoins que « cette décision ne préjuge en rien de son extradition de vers le Japon ».
« Le Japon veut faire de Paul Watson un exemple »
L’activiste avait été arrêté le 21 juillet dernier par la police danoise alors qu’il faisait escale au Groenland en vue « d’intercepter » dans le Pacifique Nord le nouveau navire usine chasseur de baleines japonais. Il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par le Japon en 2012, réactualisé au printemps dernier, pour « complot en vue d’intrusion sur un baleinier ».
Sur le même thème
Tokyo accuse en effet Paul Watson d’être responsable de « dommages et blessures » lors d’un abordage d’un navire baleinier nippon en 2010 dans l’océan Antarctique. En jetant une bombe puante – de l’acide butyrique – dans l’objectif d’entraver le travail des baleiniers, il aurait blessé au visage un marin japonais. Des accusations fermement contestées par Sea Shepherd, qui affirme posséder des vidéos de l’incident.
« Lors de cette audience à Nuuk, le juge a refusé d’examiner l’épreuve vidéo, montrant que l’accusation japonaise est fausse. De plus, Paul Watson n’a pas bénéficié d’un traducteur », explique François Zimeray à l’Humanité. « Nous en tirerons toutes les conséquences au plan légal » annonce-t-il, rappelant qu’en cas d’extradition, l’homme de 74 ans « risque de finir ses jours en prison et de ne jamais avoir de procès équitable ».
Contactée par l’Humanité, Lamya Essemlali, présidente de Sea Sheperd France affirme quant à elle que l’arrestation de Paul Watson est « l’illustration du sentiment d’impunité de grandes puissances économiques », ajoutant que « le Japon veut lutter contre ceux qui s’opposent à ses actions illégales et faire de Paul Watson un exemple ».
Le Japon contre la Commission baleinière internationale
Si la pêche à la baleine commerciale est considérée comme illégale par de nombreux pays depuis le moratoire adopté par la Commission baleinière internationale (CBI), entré en vigueur en 1986, trois pays se sont progressivement opposés à cette réglementation : la Norvège, l’Islande et le Japon. Sous couvert d’objectifs scientifiques, ces nations ont poursuivi la chasse aux cétacés, causant la mort de 38 539 baleines depuis 1986, selon un rapport de l’ONG britannique Environnement Investigation Agency (EIA).
En 2018, le Japon avait finalement quitté la commission, assumant la pêche à la baleine dans un objectif commercial. Le pays, déjà condamné par le Cour Internationale de Justice en 2014, défend une question de « sécurité alimentaire », alors que la consommation de baleine a drastiquement baissé depuis 1960, et « l’importance de perpétuer la culture alimentaire traditionnelle du Japon ».
Les baleines, des espèces menacées mais précieuses pour l’écosystème marin
Avec la mise à flot en mai d’un imposant navire baleinier, le Kangei Maru – celui-là même que souhaitaient intercepter Paul Watson et ses équipiers – le Japon souhaitait développer son industrie et atteindre le chiffre de 5 000 tonnes de viande de baleine consommée par an, contre 2 000 aujourd’hui. Dernièrement, le pays avait ajouté le rorqual commun (le deuxième plus grand mammifère vivant sur la planète, après la baleine bleue) à la liste des espèces autorisées à la chasse dans son périmètre, au grand dam de Sea Sheperd.
« Les rorquals communs font pourtant partie des espèces menacées, au même titre que tous les cétacés, qui subissent les pressions liées à la chasse, à la pollution des eaux ou aux filets abandonnés », déplore Sandra Guyomard président de l’association Réseaux Cétacés, qui vise à sensibiliser la population sur ces sujets. Sans compter la question de la souffrance animale avec la technique industrielle du harponnage explosif : « Dans la grande majorité des cas, les baleines agonisent pendant plus de 20 minutes » poursuit-elle.
Les cétacés sont des espèces animales précieuses pour les écosystèmes sous-marins et le climat. Par leur gigantisme, elles stockent une grande quantité de dioxyde de carbone, et les déjections qu’elles laissent au cours de leurs migrations fournissent en nutriment les phytoplanctons, qui influencent le cycle du carbone et la régulation du climat. « L’océan qui représente 70 % de la planète est un régulateur de climat, au même titre que les forêts », rappelle Sandra Guyomard, qui aime à rappeler l’adage de son association : « protéger les baleines et les dauphins, c’est protéger l’humanité ».
Une vague de soutien public
L’arrestation de Paul Watson a déclenché une large vague de soutiens au niveau international ces dernières semaines. En France, des rassemblements appelant à sa libération ont été organisés dans plusieurs grandes villes, tandis qu’une pétition lancée par le journaliste Hugo Clément a atteint plus de 700 000 signatures, conduisant Emmanuel Macron à intervenir auprès des autorités du Groenland.
« Non seulement le Japon ne respecte pas le droit international et les règles soutenues par une très grande majorité de l’opinion publique, mais il obtient en plus l’arrestation de celui qui incarne par ses actions le respect de ces règles », avait dénoncé un collectif de journalistes, militants et spécialistes des droits de l’homme dans une tribune publiée le samedi 10 août dans Le Monde.
Paul Watson, qui a fondé l’ONG Sea Sheperd en 1977, parcourt les mers du globe depuis plusieurs décennies pour faire stopper la chasse à la baleine, n’hésitant pas à utiliser la confrontation directe ou des techniques de sabotage contre les navires de pêche commerciaux. Un mode de lutte controversé qui lui a attiré autant de soutiens que d’ennuis judiciaires. Exclu de Greenpeace en 1977, détenu aux Pays-Bas en 1997, ses méthodes lui auraient permis de sauver des milliers de cétacés, dont 5 000 au Japon.