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Malakoff: hommage aux chibanis

Lu sur http://www.liberation.fr/france/2016/05/27/a-malakoff-une-fresque-qui-raconte-l-histoire-oubliee-des-chibanis_1455561

A Malakoff, une fresque qui raconte l'histoire oubliée des «chibanis»

Par Rachid Laïreche — 27 mai 2016 à 16:22

Près de la porte de Châtillon, dans les Hauts-de-Seine, l'artiste Vince a peint sur la façade d'un immeuble le portrait d'un vieil homme, les yeux fermés, ajustant sa cravate. Un hommage aux travailleurs immigrés des Trente Glorieuses.

Rue de la Tour, à Malakoff (Hauts-de-Seine), la fresque n’est pas tout à fait terminée, mais presque. Elle est visible du périphérique intérieur entre la porte de Châtillon et la porte de Vanves. On y voit un homme, la tête sur le côté, les yeux fermés. Il ajuste son nœud de cravate. L’image est belle. Elle est forte et elle est signée par l’artiste Vince. Sur la fresque, un mot est écrit en grand : «chibani». Une dédicace pour tous les pères qui ont traversé les mers après la Seconde Guerre mondiale, pour travailler loin de leur famille. Aujourd’hui, en France, certains vivent seuls malgré les années passées. Ils se battent pour leurs droits et la reconnaissance. Des associations les accompagnent.

Vince avait quartier libre pour s’exprimer sur le mur blanc. Engagé, il a choisi pour sa peinture une photo symbolique : celle de Mohand Dendoune, père du journaliste et écrivain Nadir Dendoune. Il est arrivé en France en 1950, en provenance d’un village kabyle algérien, à l’âge de 22 ans. «Il est venu sans visa, l’Algérie était française. C’est comme s’il avait quitté la Corrèze pour venir à Paris, racontait son fils en 2009 dans un entretien avec Libération, en plein "débat" sur l’identité nationale. Son grand frère était en France depuis 1948. Mon père est resté quatre ans, puis il est reparti en Algérie.» Il est revenu s’installer en France avec sa femme et leurs deux premières filles en 1957.

C’est d’ailleurs lors de l’interview avec Libé que le cliché de Mohamed Dendoune a été pris. Une photo, de Jérôme Bonnet, qui a reçu le troisième prix World press photo en 2010. Le photographe a cédé tous les droits à Nadir et sa famille.

Ce vendredi, Nadir Dendoune a emmené sa mère à Châtillon pour découvrir la fresque. Elle n’était au courant de rien. Devant la peinture de son mari, elle est restée bloquée. L’émotion. Elle a dit à son fils : «C’est bizarre de le voir ici, en grand. J’ai l’impression qu’il n’est plus de ce monde alors qu’il est encore en vie.» Sur Facebook, son fils a écrit : «Ça a été dur de garder le secret. Il y a quelques jours le frangin Vince, le talent, la gentillesse, la générosité incarnée, m’envoie un SMS pour me demander si je suis d’accord pour qu’il pose sur un mur d’immeuble d’une cité HLM de Malakoff, la photo de mon daron. Je ne savais pas quoi répondre. J’ai accepté et ce matin, j’ai emmené ma mère. On a tous les deux pleuré. Respect à tous nos papas analphabètes à qui on a oublié de rendre hommage.» Son père, Mohand, était absent. Il est resté à la maison, fatigué par le poids des années.

Dans la foulée, Nadir Dendoune, ému, nous a expliqué que cette fresque «ne représentait pas seulement son père», mais qu’elle a été réalisée pour tous «les oubliés, les silencieux, ceux qui n’ont pas le droit de vote. Peu importe d’où ils viennent». Nadir nous a parlé de la place de ses parents. «Ils ne savent ni lire ni écrire, mais ce sont eux qui m’ont donné de la force tout au long de ma vie malgré les obstacles. Sans la force de mon père, je n’aurais jamais pu franchir l’Everest et faire le tour de l’Australie à vélo.» Puis, on a contacté Vince pour qu’il nous parle de son œuvre. Il était encore sur la nacelle, ne pouvait pas répondre car il peignait les derniers détails d’un visage qui a fait du chemin.

Rachid Laïreche

Tag(s) : #immigration
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