21 nov 2008Par Laurent Mauduit
Edition : En défense de la statistique publique
Journaliste à Mediapart, j'ai pris la décision de créer une «édition participative» autour de la défense de la statistique publique ; et je voudrais en expliquer ici les raisons. De sorte que d'autres abonnés — économistes, statisticiens, chercheurs, ou simples citoyens — rejoignent cette édition et y collaborent.
D'abord, comme journalistes, hier à Libération puis au Monde, aujourd'hui à Mediapart, j'ai quotidiennement utilisé les statistiques fabriquées par l'Insee et je sais donc à quel point elles sont précieuses. Je sais surtout à quel point il est décisif que les statisticiens puissent travailler dans des conditions d'indépendance, de sorte que la fiabilité et l'honnêteté des chiffres qu'ils produisent ne soient pas contestables. Je trouverai assez inélégant, pour ne pas dire plus, que les journalistes — qui pillent fréquemment la production de l'Insee — se désintéressent aujourd'hui du débat qu'alimente l'actuel projet de démantèlement.
Dans le passé, les attaques contre l'Insee et son indépendance ont, de fait, été nombreuses. Et tout au long de ma carrière de journaliste, j'en ai tenu la chronique. Les attaques d'ailleurs pas seulement contre l'Insee — plus généralement contre tous les organismes indépendants de recherche économique. Prononcée par le gouvernement d'Edouard Balladur, en 1994, la dissolution du Centre d'études, des revenus et des coûts (CERC), qui dressait l'état des lieux des inégalités en France, est ainsi dans toutes les mémoires. A l'époque, j'étais chef du service économique à Libération, et je m'étais très fortement fait l'écho de la mobilisation des chercheurs de l'Insee, et au-delà de la communauté des économistes, contre ce projet. C'est d'ailleurs, pour moi, le clin d'œil de cette histoire : je retrouve aujourd'hui à la tête de la mobilisation des statisticiens de l'Insee quelques-uns (ou quelques unes) des chercheurs ou chercheuses que j'ai connu(e)s lors de la bataille autour du Cerc.
Mais mon sentiment, c'est que cette affaire, aujourd'hui, est beaucoup plus grave que celle du Cerc hier. Plus grave, parce que l'Insee est, dans la statistique publique, en amont de tout: sans l'institut, pas de statistique publique. Sans chiffre fiable, pas de débat publique possible.
Comme journaliste, j'ai donc pour les semaines qui viennent deux ambitions. D'abord, dans la partie «journal» de Mediapart, je vais faire mon métier : détailler la réforme qui se prépare, ses objectifs officiels en même temps que ses desseins cachés ; raconter la mobilisation des agents de l'Insee.
Mais comme Mediapart est un journal participatif, j'aimerais aussi contribuer à donner de l'ampleur au débat. C'est donc l'objet de cette «édition participative» à laquelle, je l'espère, de nombreux économistes et statisticiens adhéreront.
En bref, j'ai le sentiment que le combat de Mediapart — pour une presse de qualité, indépendante de tous les pouvoirs, politiques et financiers ; contre le rachat de tous les médias par les industriels proches du Palais — a quelque chose à voir avec celui, sur un autre front, que mènent les statisticiens de l'Insee. Sentiment de bons sens : ces deux combats ont pour trait d'union l'impérieuse nécessité d'une information économique fiable et rigoureuse. Dans un cas comme dans l'autre, on touche là au cœur de la vie démocratique.
Voir aussi Délocalisation : les salariés de l'Insee très mobilisés!
[La journée du 25 novembre a été marquée par de nombreuses actions des agents à l'INSEE et dans les services statistiques]