« Le Nuremberg du communisme » – Public Sénat ; le 17 février 2018
https://www.publicsenat.fr/emission/un-monde-en-docs
LE NUREMBERG DU COMMUNISME ?
(entretien A.LP)
Sur le documentaire
C’est un document intéressant, une fiction autour du personnage de Boukovski qui marque d’une forte subjectivité l’analyse de la période. On peut le comprendre, vu les sévices endurés par cet anticommuniste constant. Mais est aussi posée la question d’une recherche historique scientifique, notamment sur la base de l’étude des archives du KGB. Quant au titre « Le Nuremberg du communisme », je considère que c’est une facilité médiatique ; pourquoi pas, en effet, un Nuremberg du colonialisme, voire de la Commune de Paris ? Le temps passé et je pense que c'est aujourd’hui le temps des historiens et non des polémistes
Ma principale remarque sur le fond du documentaire est la quasi-absence de Mikhaïl Gorbatchev, alors Président de l’URSS, qui avait engagé depuis 1985, sous les thèmes de la glasnost et de la pérestroïka de profondes réformes démocratiques pour transformer le système soviétique. Ce nouveau cours avait suscité beaucoup d’espoir dans le monde. En septembre 1987, l’association rance-URSS avait pris l’initiative d’une délégation très pluraliste de 300 personnes conduite par Pierre Mauroy à Moscou. Nous avions pu alors nous entretenir avec Gorbatchev sur le sens de son action. On ne comprend pas les évènements relatés par le film si l’on n’évoque pas leur source.
Car si la perestroïka avait soulevé de l’espoir, elle avait aussi provoqué beaucoup de contestation de la part des éléments les plus conservateurs du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS) : réserves vis-à-vis du rôle dirigeant du Parti, de la classe ouvrière comme avant-garde, du marxisme dogmatique, etc., ce que Boris Elstine a su utiliser en semblant prendre la tête du mouvement populaire suite au coup d’État du 19 août 1991 des neuf aventuriers conduits par Ianaïev (prémonitoire, le principal conseiller de Gorbatchev, Yakovlev avait démissionné dès la fin juillet). C’est ce jeu de rôle qui a permis à Eltsine de déchoir Gorbatchev, d’interdire le PCUS, de remplacer le drapeau rouge par le drapeau tricolore de la Russie et finalement d’arrêter la poursuite des réformes de démocratisation en conservant les hommes de l’appareil en place, au KGB notamment. Eltsine obtient rapidement le soutien des États Unis. Eltsine obtient rapidement le soutien des États Unis. C’est dans ces conditions que Boukovski a été autorisé à entreprendre des recherches, tout en étant canalisé. Il était revenu à Moscou en 1991après 15 ans passés en Grande Bretagne. Il en est finalement reparti assez vite après l’échec de sa tentative de procès de « Nuremberg du communisme ». Ses relevés d’archives au scanner seront publiés en France en 1995. Résultat : aujourd’hui, Poutine dirige la Russie en autocrate et Boukovski déclare au début du film : « D’une manière générale, la vie n’est plus du tout intéressante pour moi … »
Sur l’attitude de la direction du PCF
La direction du PCF n’a jamais soutenu Gorbatchev, dans le même esprit que les tendances conservatrices qui s’opposaient en URSS à Gorbatchev pour les raisons exposées précédemment. Elle lui imputait de ce fait les difficultés économiques et sociales que rencontrait la population. Bref, elle le regardait comme un révisionniste mettant en cause les perspectives du socialisme et du communisme et la révolution pour y parvenir.
C’est pourquoi elle a accueilli le putsch des orthodoxes soviétiques à Moscou comme la promesse d’un retour à la ligne traditionnelle. Elle a tout d’abord évoqué ces évènements comme la marque d’un échec, ce qui dans le contexte ne pouvait être interprété que comme celui de la politique de Gorbatchev. Devant la tournure défavorable de la sédition elle a parlé de « coup », puis de « coup de force », enfin de « coup d’Ètat » le 23 août soit après quatre jours de tergiversations, alors que les choses étaient claires depuis le début pour la plupart des communistes et que beaucoup l’avaient dit. Rappelons aussi que François Mitterrand avait de facto reconnu les putschistes comme nouveaux dirigeants de l’URSS, lâchant Gorbatchev. Maxime Gremetz le « ministre des affaires étrangères » du PCF fait une déclaration allant dans le même sens.
Bien avant ces évènements, la contestation était vive au sein du PCF et les réunions du comité central parfois tumultueuses. Après la vague de départ des « rénovateurs » à l’initiative de Pierre Juquin au milieu des années 1980, puis des « reconstructeurs » avec Claude Poperen et Marcel Rigout en 1987, c’était à partir de 1989 le tour des « refondateurs » avec Charles Fiterman et Guy Hermier, membres du bureau politique et de nombreux membres du comité central, dont moi-même. Ce dernier mouvement s’était élargi en avril 1991 de membres du Parti socialistes comme Claude Cheysson et Max Gallo, mécontents de leur côté du PS, pour fonder un regroupement très pluraliste, Refondation, avec l’ambition d’une restauration de la gauche. Olivier Biffaut, journaliste au Monde avait réalisé une typologie des communistes, identifiant les « gorbatchéviens », distinguant les gorbatchéviens « introvertis » (Charles Fiterman et Guy Hermier en raison de leur qualité de membres du bureau politique) et les « extravertis » (le philosophe Lucien Sève et Anicet Le Pors). Ces courants soutenaient la démarche de Gorbatchev. Les disparitions du PCUS et de l’URSS consommées fin 1991 signifièrent également l’inéluctable déclin du PCF.
Conclusion sur cette séquence
Ce documentaire vient à l’appui d’une thèse classique, clairement exprimée à la fin du film par Stéphane courtois, très constant lui aussi au fil des décennies dans son analyse anticommuniste. Il s’agit de présenter le nazisme et le communisme comme des équivalents totalitaires. Il est permis d’être plus exigeant à ce sujet. Qu’il s’agisse de totalitarismes, en entendant par là une emprise globale d’une idéologie et des pouvoirs qui la mettent en œuvre sur la société, ne fait pas de doute : il y a eu bien là deux totalitarismes du XX° siècle
C’est bien aussi l’avis de Marcel Gauchet dans son livre L’avènement de la démocratie (PUF, tome II, 2010), mais il précise que le nazisme avait comme critère la race, tandis que le communisme soviétique avait comme critère la classe, activée en dictature du prolétariat. Quand bien même on admettrait un recours perverti à la classe comme facteur d’oppression, il n’y a pas équivalence. Et si l’on doit condamner tous les crimes de tous les totalitarismes, la recherche historique se doit d’être plus exigeante, plus scientifique. L’idée de la différence est présente dans le film, mais bien discrètement en raison du choix du thème et du titre « Le Nuremberg du communisme » qui renvoie dos à dos les deux totalitarismes.
Je partage le point de vue de l’intellectuel catholique René Raymond qui, dans son livre Regards sur le siècle (Presses de Science Po, 2000) considère ce XX° siècle, borné par l’épopée communiste : 1917-1991 et regarde ce siècle comme un siècle prométhéen marqué par un formidable espoir d’émancipation soulevé grâce à la primauté donnée au peuple et à la science ; cause pour laquelle des millions de communistes et de démocrates ont donné leur vie. Mais cet élan messianique a échoué, comme Prométhée, martyr sur son rocher pour avoir voulu éclairer les hommes en leur offrant le feu de la connaissance. Restent es enseignements que à en tirer pour refonder l’espoir au sein de la « métamorphose » (Edgard Morin).
Anicet Le Pors