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Le 8 juillet 2008

Toute l’expérience historique du communisme politique est que de ne pas savoir se renouveler à temps ou de manière suffisamment profonde est mortifère.

La tonalité générale des propos de la direction du Parti consiste à dire que nous devrions traiter d’abord le communisme, le projet politique et la stratégie pour finir par « quel parti voulons-nous ». Cela revient à considérer la question du Parti comme n’étant que la conséquence ultime de la conception que l’on a de la politique ou du communisme.

Si un tel raisonnement est cartésien, il n’est pas dialectique. Dans la mesure où en parlant du Parti, il s’agit de celui qui pense sa politique, la conception que l’on a de nous- même rétroagit sur la conception que l’on a du reste. Comment expliquer que l’abandon de la dictature du prolétariat en 1976, le socialisme à la française la même année, la recherche de la notion de mouvement avec « l’avenir commence maintenant » en 1979, l’abandon de centralisme démocratique, l’émergence de la notion de processus et la primauté au mouvement populaire en 1990, le pacte Unitaire pour le Progrès en 1996 n’ait débouché que sur la poursuite de plus en plus rapide de notre érosion ? Comment expliquer que les travaux sur le communisme, et l’Atelier sur le Parti décidé au Congrès en 2003 se soient évaporés dans l’indifférence ? Ne faut-il pas interroger les caractéristiques de notre acte de naissance ? Il ne me paraît pas sérieux de dire que nous n’avons pas adhéré au Parti de 1920, et bien rares doivent être les survivants qui l’ont fait, mais peut-on affirmer que notre culture politique, nos comportements en soit totalement affranchis ? De quand daterait ce travail de vérification de notre passé ? Est-on certains que notre comportement ne nous conduira pas plus tard encore à une nouvelle autocritique ; exercice dont nous sommes tellement devenus les spécialistes que cela fini par braquer des camarades. Par quel miracle aurions-nous dépassé notre propre genèse alors que nous ne nous sommes jamais posés la question en ces termes : que reste-t-il de cette genèse qui explique que nulle part le communisme comme corps politique ne survit ? Ne pas oser affronter cette question ne peut que conduire à l’impuissance et donc, bien évidemment inconsciemment, au renoncement.

Qu’implique l’idée d’un projet émancipateur ?

Nous commençons à utiliser le mot « émancipation » ; il mérite de préciser que s’il s’agit de s’émanciper de la domination du capital bien sûr, cela implique de s’émanciper de toute tutelle aliénante. Et de cela personne ne peut être émancipé par quelqu’un d’autre que par lui-même. Cela devrait nous conduire à un travail certainement plus fouillé que l’on ne le pense parfois.

Or, en se superposant à la société, l’Etat et la délégation qu’il exige, servent de modèle à tout ce qui doit s’organiser au point d’y enfermer la vision de la démocratie et de l’efficacité. Dans toutes les sphères « l’efficacité » légitime les aspects de dépossession et de substitution. À un système politique fondé sur la dépossession des citoyens, fut opposée une « dépossession vertueuse ». C’est vrai de Babeuf comme de l’Internationale socialiste et de Lénine. Cela a nourrit y compris chez les communistes un sentiment de supériorité qui n’a pas effacé la générosité et l’altruisme mais s’y est mêlé. L’attachement au pouvoir est complexe à mettre en lumière car il entremêle, souvent inconsciemment, la volonté de pouvoir faire et l’attachement à des positions de domination. La dissociation institutions /« société civile » est fortement critiquée chez Marx, notamment dans « la Question Juive », les « Grundisse » et le Manifeste ». Il serait utile de s’interroger pourquoi nous avons essentiellement retenu de lui l’exploitation capitaliste, et occulté tout ce qu’il écrit sur les processus de dépossession. Cette dissociation Etat/société civile, assimile l’espace politique aux seuls partis et l’isole des autres espaces. La dissociation travailleurs/citoyens illustrée par l’absence de la reconnaissance de la politique sur le lieu de travail, est vécue comme une normalité. Cela fait de la politique une affaire de spécialistes.

Les fondements de toute organisation reposent sur les mêmes caractéristiques historiques et les mêmes représentations. Il ne suffit pas de contester la société pour être affranchi de toutes ses caractéristiques. Le mode le plus spontané de contestation comporte inévitablement une part de reproduction de ce que l’on connaît. Et c’est aussi en cela qu’un travail sur nous-mêmes serait un acte de lucidité indispensable. En ce qui concerne le Parti, on retrouve à la fois l’outil d’intervention et par là-même de démocratie mais cet outil est fondamentalement conçu sur le mode de la dépossession des intéressés. En se donnant pour objet essentiel la prise du pouvoir d’Etat, l’organisation se calque sur son modèle et reproduit des conceptions issues des rapports de subordination et de substitution. Nous disons ne plus vouloir être parti-guide, mais rien d’autre que nous-mêmes ne trouve grâce à nos yeux lorsqu’il faut porter dans l’arène politique les aspirations des gens.

Des représentations aux caractères religieux.

Il n’y a rien d’infâmant à considérer que nous sommes un produit de l’Histoire de notre civilisation avec tout ce que cela comporte. La religion n’est pas que croyance en Dieu ; elle a fait passer dans toute la culture y compris politique, des caractéristiques qui sont autant d’obstacles inconscients aux pratiques révolutionnaires. Elle offre à la fois et de manière cohérente : une explication du monde mais aussi l’inéluctabilité de l’avènement de la chose espérée ; un sens qui permet de se retrouver avec d’autres mais aussi une soumission à une autorité morale sans laquelle la fratrie n’existerait pas ; la possibilité de se projeter au-delà de sa propre mort mais aussi un sentiment de supériorité à l’égard de qui ne fait pas partie de ce regroupement là.

L’institutionnalisation de l’idéal conduit l’appareil à ne pas être le lieu où se regroupent celles et ceux qui ont la même conviction mais celui qui dicte à ses adeptes ce que doit être cette conviction et comment ils doivent la vivre. L’appareil devient ce qui détient et même produit LA Vérité qui est alors d’avantage de l’ordre de la révélation que de la construction, renvoyant dans l’hérésie ce qui n’est pas labellisé par lui. De ne pas avoir vu que cet héritage pesait sur nous, nous a coûté cher. Il nous a fait parfois considérer que ce qui ne venait pas de nous devait obligatoirement être sous l’influence de la social-démocratie ou plus loin encore. Et ce, sans remonter il y a si longtemps que cela. L’appareil tend à devenir pour les adhérents les plus actifs le principal lieu de socialisation et à produire un univers clos, pouvant rendre imperméable aux sollicitations du « monde extérieur ». Je parle y compris de ce qu’a été mon parcours personnel. Cela devient un obstacle à la créativité et produit conformisme et conservatisme.

L’institution- ou l’appareil, ce n’est pas péjoratif- se présente alors comme un corps autonome, s’extériorisant de la société et devenant son guide. « Société civile et brebis égarées » ou « Etat –ou Eglise- et Avant- Garde » ont une certaine parenté. Nous sommes évidemment loin d’être les seuls concernés, mais il s’agit du Congrès du PCF, et c’est du Parti communiste que j’attends le plus. La manière dont nous traitons avec méfiance ce qui nous vient « des autres » n’est-elle pas une survivance de ce phénomène ? Sommes-nous certains que nos comportements ne reviennent pas parfois les communistes à demander aux gens d’être subversifs à l’égard de la société mais délégataires à l’égard des partis. Particulièrement à l’égard du nôtre ?

Je poursuis : n’avons-nous pas tendance à considérer que les « non » communistes seraient comme nous le dit d’ailleurs Lénine, entièrement sous la coupe de l’idéologie dominante, qui serait elle-même chimiquement pure ? Alors comment comprendre que de la contraception à l’autogestion en passant par l’IVG ou l’écologie, d’autres que nous y aient pensé avant nous, même s’ils n’en ont pas fait une politique cohérente ? Et sommes-nous sûrs que ce phénomène ne se reproduise pas aujourd’hui à propos de la conception de la politique ?

Evidemment ces défauts ne nous ont pas empêchés de jouer notre rôle durant des années. Mais quand ? Tant que l’objet des combats ne recouvrait pas la transformation de la société. Au fur et à mesure que cet enjeu est apparu aux yeux des principaux intéressés, les conceptions qui ne les mettaient pas en situation de maîtriser suffisamment leur sort devenaient obsolètes. Au fur et à mesure que le devenir de la société devient l’enjeu, l’audience électorale du Parti ressemble à une pente vers le bas de plus en plus raide.

Cela pousse à s’interroger sur les ressorts qui mettent les individus en mouvement. Chacun(e), éprouve le besoin d’être. On peut y répondre par la découverte d’un pouvoir de créativité jusque-là insoupçonné. A condition de ne pas réduire cette créativité à devoir nous écouter. Elaborer les propositions nécessaires ne suffit pas. Le symbolique, les images comme repères idéologiques organisent concrètement la vie de tous les jours. Si les dominés ne construisent pas leur propre culture, c’est la cohérence des dominations et de la marchandisation qui teinte leurs représentations et manières d’être. D’où la formidable plasticité du capitalisme. La notion de classe n’est pas une donnée platement sociologique mais est indissociablement liée à la revendication de sa place dans la société. Il s’agit de ne plus se voir comme victimes mais comme le référent sur lequel l’organisation de la société doit s’aligner. Et dans la mesure où cela équivaut à une nouvelle culture politique, elle ne peut être le fait que de la majorité de la société et ne saurait être celui des seuls communistes alors qu’il est absolument indispensable qu’ils y contribuent.

Ajoutons que la mondialisation vient singulièrement compliquer notre problème. Elle brouille les repères politiques inscrits dans les mémoires : quelle est la part de « l’époque » et quelle est celle du capitalisme ? Quels sont les antagonismes ? Où sont les lieux où se situent les responsabilités ? Ne sont-ils pas hors d’atteinte au regard des conceptions étatistes et délégataires de la politique ? Est-il toujours utile d’élire des députés ? Ou la réponse à la fluidité du capitalisme, à sa capacité à être toujours en mouvement et de provoquer du « désordre » ne renforce-t-elle pas la nécessité de concevoir le combat émancipateur sur des bases autogestionnaires ?

Repenser l’organisation

Tout cela fait repenser l’organisation comme outil de production de connaissances et de prises de décisions qui permettent à chacun(e) de devenir le temps qu’il voudra, force politique. « Ce sont les masses qui font l’histoire » disait quelqu’un qui ne disait pas que c’était les partis, même s’ils y contribuent et qu’il écrivait cela dans le Manifeste du Parti communiste. S’organiser collectivement n’est pas se plier à l’institution mais se regrouper comme individus souverains construisant des lieux de mutualisation et de passage au pluriel. Ce n’est plus le parti qui « labellise » ses membres pour en faire ses transmetteurs ; ce sont eux qui se regroupent, à partir de leurs singularités afin de produire du commun. Je veux bien qu’on me dise que c’est ce que nous faisons déjà, mais ce n’est pas voir à quel point au nom de la démocratie, nous entendons produire des normes et une manière univoque d’être communiste. Bien sûr nous sommes beaucoup plus tolérants que nous ne l’avons jamais été. Mais justement le problème est dans cette tolérance qui se substitue à la recherche de la diversité et de la contradiction comme un besoin pour mieux cerner ce qu’est la société. Dès lors la définition du parti peut-elle rester celle qu’impliquaient en 1920 le rôle d’avant-garde, la prise du pouvoir par cette dernière et la dictature du prolétariat ? Bien sûr, depuis le PCF a évolué. Mais justement ses évolutions n’ont pas permis autre chose qu’un inexorable déclin, parce que malgré leur utilité, elles demeuraient enfermées dans la matrice issue du bolchevisme et se sont trouvés enfermés dans une conception délégataire réduisant le mouvement social à un rôle de soutient. Cela a fait du PS celui dont tout dépend et n’a pu que conduire bien malgré nous, au bipartisme soit par alignement sur le PS soit par replis sur nos terres…soit par les deux à la fois. Et ce, alors que l’exigence de démocratie sociale et politique s’exprime dans de nombreux endroits. Et lorsque nous voulons corriger notre manie de penser à la place des gens, nous devenons uniquement des questionneurs. Nous ne savons pas à la fois apporter et accepter d’être un parmi les autres. Et sans le crier sous les toits, nous sommes subrepticement en train de nous éloigner de toute construction unitaire regroupant des forces de différentes natures pour combattre le capitalisme. De ce fait la coupure entre social et politique est la plus profonde depuis 1995, et il ne nous restera que l’incantation au retour à gauche du PS ou a ce que « la gauche se ressaisisse ». Mais c’est limiter le rapport de forces à gauche au seul rapport PCF-PS. Ainsi à défaut de chercher à construire une logique qui s’appuie sur toutes les réalités du mouvement populaire, c’est laisser comme seule alternative au bipartisme une combativité qui fait l’impasse sur la perspective d’une majorité politique. L’impact de Besancenot est le prix de notre impasse. Or, il y a urgence : les gens votent de moins en moins selon leurs convictions- nous connaissons toutes et tous des électeurs de Ségolène Royal qui ne peuvent pas la sentir (politiquement parlant) et des couches de plus en plus larges sont à la recherche de moyens de se faire entendre qui les coupent de toute participation à l’élaboration de perspectives politiques. De ce fait, le militantisme communiste perd de son sens et s’essouffle. Urgence aussi dans la mesure où dans de nombreux endroits les municipales ont fait la démonstration d’une immense disponibilité dans de nombreux milieux, mais faute de dynamique nationale, cette disponibilité ne peut s’exprimer que repliée sur ses terres, de manière balkanisée. D’où la question suivante : comment prétendre en sortir et innover en conservant le cadre organisationnel qui étouffe l’innovation ? Comment ne pas renoncer à la révolution en conservant un outil dont les fondements ont échoué partout dans le monde ?

Il est d’ailleurs remarquable que celles et ceux qui argumentent pour maintenir peu ou prou la forme traditionnelle du Parti recourent à l’argument « d’aller au pouvoir ». Il ne s’agit pas de contourner la question du pouvoir. Mais « y aller » sous-entend qu’il s’agit bien encore d’un lieu extérieur au commun des mortels alors que le problème est comment ces derniers se transforment en force et en pouvoirs qui s’imposent aux institutions. Il ne s’agit pas d’une clause de style. Depuis quelques années avec une sincérité qui nous honore, nous disons que nous voulons le pouvoir pour le restituer au peuple ; mais l’Histoire nous a fait la démonstration que si une chose ne se rétrocédait jamais, c’était bien le pouvoir. Si l’émancipation de tous les humains ne saurait être que leur œuvre propre, ce n’est plus l’objectif de « conquérir le pouvoir d’Etat » qui définit la fonction et la structure de l’organisation et donc sa nature. C’est le rôle plus fondamental, de favoriser la production autonome par les intéressé-e-s d’une culture et de pratiques dégagées des formes dominantes, de favoriser la construction de majorités d’idées et d’initiatives transformatrices – investissement des lieux de pouvoir compris –.

Conjuguer créativité personnelle et organisation unifiante, est l’indispensable condition d’une force transformatrice du 21e siècle. Cela conduit à renverser les rapports traditionnels. Ce n’est plus le parti qui « labellise » ses membres pour en faire ses envoyés ou transmetteurs- même s’ils le font avec talent et esprit d’initiative ; ce sont eux qui décident de le former, à partir de toute la diversité de leurs expériences et singularités au sein de la société, afin de produire du commun. Dans cette logique doivent disparaître la verticalité d’appareil comme la figure du dirigeant charismatique. Ne faut-il pas inventer une fédération de militants, l’appareil devenant le lieu indispensable de l’échange d’informations, de l’analyse des expériences, de la mise en convergence des efforts et encore une fois, du passage au pluriel que nécessite toute force politique ?

A mes yeux, le Congrès n’a de sens qu’en ouvrant un chantier d’interrogations et de travail sur nous-mêmes. A mes yeux seulement ? Pourquoi tant de communistes trouvent-ils si peu d’intérêt à un Congrès qui avait été annoncé comme devant être extraordinaire ? Pouvons-nous continuer en nous « améliorant » à doses plus ou moins homéopathiques ou doit-on oser affronter d’amblée la manière dont ceux qui veulent que le communisme continue entendent s’organiser ? Ne sommes-nous pas capables de répondre aux attentes d’engagements les plus contemporaines en faisant un effort de même ampleur que celui des fondateurs du Parti communiste lorsqu’ils ont décidé, pour reprendre leur expression, de « changer la vieille maison » ?

 

Par Zarka Pierre

Tag(s) : #Débats
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