Krach, le mot a été
lâché. Après les commentaires lénifiants sur le fait que la crise des subprimes serait aisément dépassée, après la conviction proclamée que les « interventions concertées »
des banques centrales prouveraient leur efficacité (des milliards de liquidités injectés en quelques heures), les analystes financiers reconnaissent désormais l’ampleur des
dégâts. Seule Christine Lagarde résiste encore. Mais son argument tient de la méthode Coué : « Il faut éviter les mots spectre, les mots angoisse comme ça ». Les
faits eux ne peuvent être évités. La baisse est particulièrement brutale : -6,83% à Paris sur la seule journée de lundi dernier, la plus forte chute depuis le 11 septembre
2001. Elle est générale : aucune place n’est épargnée, ni européenne (comme Francfort à -7,16% lundi), ni asiatique (Shangaï à -7,22%).
L’accélération de ces
crises confirme l’instabilité intrinsèque du capitalisme financier globalisé. La finance exige des profits que l’économie réelle ne parvient pas à fournir. Il lui faut donc
trouver des échappatoires. Crise après crise, ceux-ci s’effondrent les uns derrière les autres. La principale réponse de la banque centrale et du gouvernement américains à la
dernière crise (éclatement de la « bulle des nouvelles technologies » en 2001) a été le soutien au marché immobilier. La montée continue des prix de l’immobilier a été la
principale source « d’enrichissement » des ménages américains. Elle a soutenu artificiellement la consommation et l’endettement. C’est dans ce contexte que sont nées les
subprimes. Quand tout allait bien, Bush plastronnait sur la société des propriétaires à laquelle avait accédé les 2/3 de la population du pays. Aujourd’hui la réalité se venge
: la moitié de ces « propriétaires » ne possèdent en titre que 10 % seulement de la valeur réelle de leur maison. Car les disparités de richesse sont les plus élevées du monde
industrialisé – les 50 % les moins nantis de la population se partagent 2,8 % seulement du patrimoine, et le 1 % le plus riche 32,7 %.
Comment la crise
va-t-elle évoluer ? A la vérité personne ne le sait. Les grands sorciers de la finance sont muets. Car elle conjugue en effet des éléments inédits. La nouvelle technique
financière dite de « titrisation », qui permet de revendre des créances douteuses, était par exemple vue comme la solution idéale pour répartir largement les risques. Elle a
semé des mines dans tout le système, avec une opacité telle que personne ne sait qui est exposé et à quelle hauteur. Et puis il y a surtout le nouveau système global né
notamment de l’essor de la Chine. Sa pleine intégration dans le marché mondial depuis son entrée à l’OMC en 2001 la rend dorénavant vulnérable. 40% du PIB chinois dépend déjà
de ses exportations. Selon une estimation, le seul groupe de distribution américain Wal Mart assure 10% des ventes chinoises à l’étranger ! Sera-t-il possible de faire face à
la baisse de la consommation américaine ? Rien n’est moins sûr. Et dans ce cas la Chine, qui a réalisé des investissements colossaux ces dernières années pourrait vivre une
crise de surproduction qui donnerait un nouveau visage et une nouvelle ampleur à la crise mondiale.
Ce ne sont pas
seulement les fondements du CAC 40 qui sont atteints. De multiples certitudes s’effondrent. Le système ne se régule pas de lui-même. La globalisation de l’économie n’est pas
un facteur de stabilité. L’ouverture à tous les vents du marché mondial peut se payer très cher. La domination des Etats-Unis au sommet de la hiérarchie de la mondialisation
n’est pas assurée pour toujours. La diminution des capacités d’intervention publiques sur les marchés laissent les Etats démunis quand la tempête gronde. Il est donc permis de
demander à tous les « pragmatiques » et à tous les « modernes » comment ils entendent tenir compte d’une situation si concrète et si actuelle. Quels sont les changements que
Nicolas Sarkozy va apporter à sa politique économique ? Quelles évolutions les chefs d’Etat européens vont-ils impulser dans la construction européenne ? A quelles révisions
doctrinales les penseurs de la social-démocratie mondiale vont-ils se résoudre? Ce sont les vraies questions auxquelles DSK a échappé dimanche. Ce sont pourtant celles qui
importent. Car la réalité sera toujours plus têtue que le plus obstiné des journalistes.
François Delapierre
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