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Lu sur Jean-Marc Ayrault : « La priorité est de reconnaître qu’une injustice a été commise contre Haïti » - L'Humanité

Pourquoi la reconnaissance de la dette d'Haïti par Emmanuel Macron est une décision historique

L’ancien premier ministre, engagé de longue date sur les questions de mémoire de l’esclavage, interpelle sur la nécessité pour la nation de reconnaître l’injustice faite à Haïti. Et incite à nous interroger sur une politique de réparation, devenue inéluctable et mondiale.

le 16 avril 2025

Benjamin König

Ce 17 avril marque le bicentenaire d’un fait historique méconnu : l’indemnité exigée par la France à Haïti, pour indemniser les anciens colons, propriétaires esclavagistes. Un fardeau que portera la population pauvre haïtienne, les anciens esclaves, durant plus d’un siècle. Et qui a entravé le développement du pays, au point de jouer un rôle crucial dans les malheurs que connait aujourd’hui Haïti. A l’occasion de ce bicentenaire, le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, exhorte la France à regarder son passé en face pour repartir sur de nouvelles bases.

Comment expliquez-vous ce silence autour de la dette, et plus généralement sur la colonisation et l’esclavage en Haïti ?

Jean-Marc Ayrault

Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage

Je trouve choquant que cette injustice faite à un peuple ne soit pas reconnue, le peuple de l’ancienne colonie de Saint-Domingue devenue Haïti. C’est aussi une injustice mémorielle qu’il faut absolument réparer. On a fait payer à un peuple son indépendance, et l’argent qui a été payé jusqu’en 1888 l’a été pour dédommager des propriétaires d’esclaves, enrichir des rentiers, des banquiers et même l’État français.

C’est profondément choquant et c’est une réalité peu glorieuse qui n’est pas enseignée dans les livres d’histoire. Elle est peu connue, alors qu’elle est née d’une révolte d’esclaves menée notamment par Toussaint Louverture, qui lui est au Panthéon : c’est là toutes les contradictions de notre histoire. Réparer cette injustice n’est pas seulement important pour le peuple haïtien, mais aussi pour nous Français, pour que l’on soit plus fiers de cette révolte faite au nom de nos propres idéaux, et que la France a essayé de mater, mais où elle a été vaincue.

Le premier Waterloo de Napoléon, c’est Vertières. Je suis frappé par cette méconnaissance de notre histoire commune. Pendant des générations, des paysans haïtiens ont sué sang et eau, non pas pour développer leur pays, mais pour rembourser cette dette à la France.

 

Quel est aujourd’hui le message que vous adressez en tant que président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) ?

Je considère qu’il est du devoir de la fondation d’interpeller les pouvoirs publics, le président, le gouvernement et la nation entière sur cette histoire, et faire en sorte que ce 200e anniversaire soit marqué par une déclaration officielle de la France.

Comment cela peut-il se traduire ?

La priorité est de reconnaître, par la voix de la France et de son président, qu’une injustice a été commise contre Haïti : de ce point de vue, ce jour du 17 avril est essentiel. Cela implique une responsabilité, celle de corriger ces injustices et ses conséquences, et d’y consacrer les moyens nécessaires – et c’est ce qui est compliqué.

On peut d’autant moins se contenter de paroles qu’Haïti est en proie à une crise épouvantable, en partie liée à ce sous-développement. Il est important que cette reconnaissance englobe la culture, l’éducation, mais n’oublie pas cette dimension économique.

Quelles sont les attentes du côté haïtien ?

Elles sont immenses. J’ai été reçu par Leslie Voltaire, le président par intérim du Conseil de transition lors de sa visite à Paris (en janvier dernier), nous avons eu une émouvante conversation à ce sujet. J’ai rencontré des gens d’une grande dignité qui ne demandent rien d’extraordinaire, mais souhaitent que l’on commence par l’acte symbolique.

C’est pour ces raisons que la FME a produit une note, avec son conseil scientifique, pour établir un consensus historique. Il y a une attente pour établir un travail de mémoire, sur le modèle de la commission Stora en Algérie, ou de celle menée par Karine Ramondy sur le Cameroun.

Des chercheurs ont travaillé sur le sujet de la dette, notamment auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pour évaluer cette dette et savoir où était allé l’argent.

Oui, j’ai écrit cette semaine à la CDC pour qu’elle fasse un travail plus poussé sur sa propre histoire, puisque c’est elle qui a géré la dette pendant exactement cent ans. Et voir comment elle peut prendre sa part dans ce travail de réparation. Nous ne sommes pas les seuls à faire cela : les Pays-Bas l’ont fait en 2022, ont présenté des excuses, dégagé des crédits pour un travail mémoriel et économique.

Le gouvernement allemand l’a fait à propos des génocides des Namas et des Hereros en Namibie, avec un engagement d’un milliard de dollars. C’est aussi le cas de plusieurs entreprises, comme la Lloyd’s. C’est pour cela que je souhaite que la CDC fasse ce travail.

D’après les enquêtes et les travaux publiés par le New York Times, les montants pourraient atteindre entre 20 et 100 milliards d’euros. Cela paraît faramineux, même si vous dites que le sujet est d’abord mémoriel et culturel ?

C’est tout cela qu’il faut définir, non pas d’un point de vue paternaliste et néocolonial, mais en commun avec les Haïtiens, qui attendent avec impatience ce qui sera annoncé ce 17 avril. Même si certains disent qu’on est dans la repentance… Non, nous sommes dans la vérité et la justice. Reconnaître la vérité sur sa propre histoire – comme nous avons pu le faire à Nantes – a permis d’être plus forts et plus dignes. Ce chantier est mondial : les Nations unies, l’Union africaine, la Caraïbe ont parlé de réparations.

Y a-t-il aujourd’hui une oreille attentive de la part des autorités françaises – qui ne peuvent ignorer que cette question est sur la table – sur ce sujet des réparations auprès des anciens pays colonisés ?

Oui, j’en ai l’impression. J’ai demandé une audience au président de la République, où j’ai évoqué cela. Il était conscient qu’il y a un sujet et m’a fait un retour de son entretien avec Leslie Voltaire. Il ne m’a pas dit ce qu’il comptait faire le 17, mais j’espère qu’il fera un geste.

Vous n’étiez plus premier ministre, mais François Hollande, en 2015, avait reconnu que la France avait une « dette », en présence du chef d’État haïtien de l’époque et de nombreux dirigeants africains, avant de rétropédaler en parlant de « dette morale ». Comment expliquez-vous cette frilosité ?

Quand vous commencez à parler de réparations, tout de suite on va parler chiffres. Il faut d’abord reconnaître, puis voir avec les partenaires ce qu’on peut faire ensuite. François Hollande a eu le mérite d’évoquer la dette d’Haïti. Tout l’enjeu est de savoir ce que nous allons bâtir par la suite, s’il y a une déclaration.

Cela va être observé de très près, notamment par tous les pays du Sud, en particulier de la Caraïbe et d’Afrique. Ils vont regarder comment la France s’y prend, car nous avons fait beaucoup d’erreurs dans le passé. Nous avons besoin de repartir sur de nouvelles bases.

 

Tag(s) : #Décolonisation
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