Lu sur Les 4 raisons qui conduisent l’Allemagne au bord de la panne de courant - L'Humanité
Des conditions météo hivernales, sans vent ni soleil, avec donc des éoliennes et des panneaux solaires hors de service, conjuguées à l’insuffisance de centrales relais due à l’arrêt du nucléaire, entrainent une pénurie de production électrique. Ce qui génère une explosion des prix sur un réseau laissé entièrement aux mains du marché.
le 10 janvier 2025

Terrible conjonction allemande : avec l’entrée dans l’hiver, la consommation de courant grimpe au moment où se multiplient les périodes de calme plat et de brouillard qui réduisent quasiment à néant la production électrique des éoliennes et des panneaux photovoltaïques.
Conséquence de ce scénario météo, intervenu début novembre puis à la mi-décembre, l’électricité s’est faite plus rare et donc beaucoup plus chère, nourrissant un très vif débat intérieur. La dépendance à des installations au fonctionnement intermittent et une soumission de tous les instants aux lois du marché ont créé un cocktail explosif. Les prix ont grimpé jusqu’à l’insoutenable et même fait craindre l’impensable : l’organisation de délestages pour soulager localement les réseaux et éviter un black-out général.
1. Des réseaux proches de la rupture
L’intermittence des installations éoliennes et solaires rend nécessaire la mise en route d’autres sources de production électrique « pilotables », indépendantes des sautes d’humeur climatique pour maintenir les réseaux sous tension. Loi essentielle du genre électrique : un équilibre parfait est requis à tout moment entre l’offre et la demande de courant.
Or, si l’Allemagne dispose d’une grande densité d’équipements éoliens et solaires, ses ressources « pilotables » sont de plus en plus maigres. L’arrêt, au printemps 2023, des trois derniers réacteurs nucléaires qui avaient contribué encore pour près de 6 % à la production globale de courant l’année précédente, s’avère rédhibitoire. Les centrales atomiques présentent en effet l’avantage de pouvoir être rapidement montées en puissance, ce qui permet de gommer les « creux » météorologiques de production quand Éole et Hélios boudent ensemble le ciel allemand. Selon un mode d’autant plus efficace que la production nucléaire n’émet aucun gaz à effet de serre.
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Pour faire face, le réseau fédéral doit actionner vaille que vaille ses centrales thermiques classiques. Mais celles-ci peinent à atteindre rapidement le niveau de puissance requis. Surtout, elles brûlent du gaz, de la houille ou du lignite, ce charbon primaire recordman mondial des émissions de CO2.
2. Le marché… climatophobe
Le lignite est très sollicité outre-Rhin car il est le plus compétitif des combustibles sur le marché totalement libéralisé de la production d’électricité. Il figurait ainsi, encore en 2023, en seconde position, à 17 %, au tableau des sources du mix électrique allemand. Comme ces deux centrales installées par le groupe RWE, géant multinational de l’énergie, à proximité de son immense mine de lignite à ciel ouvert de Garzweiler, dans la Ruhr, qui constituent les plus grosses souffleries de gaz à effet de serre d’Europe.
À la Bourse de l’électricité installée à Leipzig et baptisée EEX (pour European Energy Exchange), les prix explosent dans les périodes sans vent ni soleil. À la mi-décembre 2024, ils ont ainsi dépassé les 900 euros le mégawattheure.
À ce compte-là, l’affaire est très lucrative pour les mastodontes du privé qui se partagent le marché. Au point que plusieurs médias ont pu dénoncer, en décembre, des rétentions délibérées de puissance grâce à un maintien hors circuit de certaines centrales sous couvert de maintenance. Car une pénurie de courant plus forte a pour effet immédiat de doper plus encore les prix. Impossible de suivre le rythme pour les clients industriels, soumis à des tarifs dits dynamiques qui évoluent au jour le jour avec le prix du marché.
Les particuliers et les petites entreprises qui ont souscrit des contrats à long terme échappent certes à ces fluctuations. Ce qui n’empêche pas le prix moyen du courant allemand d’être l’un des plus élevés d’Europe à plus de 42 centimes d’euro le kilowattheure, soit près du double du tarif réglementé d’EDF en France.
3. Le biogaz, arnaque d’État
Dans la palette des énergies estampillées « renouvelables » par les autorités allemandes, celles issues de la méthanisation des déchets agricoles ont représenté quelque 8,5 % de la production électrique en 2023, soit 43,5 milliards de kilowattheure. Le recours à très grande échelle de cette biomasse et son intégration dans le libre jeu du marché ne sont pourtant pas franchement concordants avec les intérêts du climat comme d’une agriculture vraiment durable. `
Attirés en effet par les rendements de ce type de production électrique à partir de centrales au gaz méthane, lui-même produit par les effluents de la pourriture du maïs, de gros « investisseurs » ont pris le contrôle de près de 2 millions d’hectares de terre. Le combustible récupéré dans leurs méthaniseurs, grâce à la décomposition d’un bien mal nommé « bio-maïs », détient l’une des plus fortes teneurs en gaz à effet de serre.
Et le label « renouvelable », justifié par la capacité de reproduire les récoltes au fil des saisons, lui décerne un vrai-faux laissez-passer climatique officiel. Alors même que son usage obéit à une logique agro-industrielle intensive d’accaparement des terres et d’investissements résultant de paris spéculatifs. Une véritable arnaque d’État.
4. Un accélérateur de désindustrialisation
Le déclenchement de la guerre en Ukraine a lourdement pénalisé l’industrie L'Allemagneallemande. Alors que Berlin avait misé sur un accès privilégié au gaz naturel russe bon marché, les prix de l’énergie ont explosé. L’alignement atlantiste du gouvernement Scholz a conduit en effet à remplacer le combustible russe par du très cher gaz naturel liquéfié (GNL) expédié par méthanier depuis les États-Unis. Et loin de soigner le malade, les errements de la politique dite de transition énergétique entretiennent la fièvre.
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Ainsi, le 17 décembre 2024, l’entreprise sidérurgique Riesa, en Saxe, a-t-elle décidé d’arrêter sa production pour plusieurs jours. Dépendante de grosses livraisons d’électricité, elle a jugé insupportable de devoir payer une facture exorbitante, le prix du mégawattheure ayant pulvérisé ce jour-là le seuil des 900 euros sur le marché spot de Leipzig.
Dans la période, des dizaines d’entreprises grosses consommatrices d’électricité ont choisi de suspendre de façon analogue leurs productions. Au plus mauvais moment, accélérant la crise de désindustrialisation qui frappe de plein fouet le modèle économique allemand.