Paris dépasse Moscou et se hisse au deuxième rang mondial des exportations d’armes, derrière les États-Unis. Sans aucun contrôle du Parlement sur ces ventes.
le 13.03.24 à 13:59
Parmi les livres de chevet d’Emmanuel Macron, les Somnambules, de Christopher Clark. Dans cette somme, un postulat : celui de la marche aveugle des dirigeants européens vers le conflit de 1914-1918. Sans doute pour l’historien australien, comme pour le chef de l’État, une chose prime-t-elle : la solitude des hommes face à la prise de décisions. Leurs renoncements, aussi.
Ce serait oublier un peu vite les rivalités impérialistes dans laquelle la France est pleinement engagée. Dernier exemple en date avec la toute récente livraison de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). Pour la première fois, Paris détrône Moscou et se hisse au deuxième rang mondial des exportations d’armes, derrière Washington. La diminution des ventes de la Russie (-53 %) s’explique principalement par les ressources mobilisées dans le cadre de la guerre en Ukraine.
Absence de transparence
Entre 2014-2018 et 2019-2023, les États-Unis ont augmenté leurs transactions de 17 %, quand la France, qui n’hésite pas à livrer des technologies à cheval entre civil et militaire à Israël et à contourner l’embargo contre la Russie, a poussé l’effort jusqu’à 47 %. Selon Katarina Djokic, chercheuse au Sipri, « la France profite de l’opportunité d’une forte demande mondiale pour stimuler son industrie de l’armement par le biais des exportations ». Principaux destinataires de ces achats : l’Asie (42 %) et le Moyen-Orient (34 %).
Ainsi, après l’Inde nationaliste, qui représente à elle seule 30 % des exportations françaises, le Qatar et l’Égypte reçoivent-ils principalement des avions de combat. L’insertion de la France dans la stratégie Indo-Pacifique de rivalité avec la Chine, élaborée par les États-Unis, trouve là sa traduction militaire. New Delhi, de la même manière qu’elle mène ses affaires diplomatiques, met un point d’honneur à diversifier ses relations et garde la Russie pour principal fournisseur (36 %).
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Outre qu’elle alimente les tensions et participe aux violations des droits humains ou aux crimes de guerre, la stratégie d’Emmanuel Macron pose un problème démocratique. Aucune commission parlementaire d’évaluation des exportations d’armements n’a été mise sur pied malgré la promulgation de la loi de programmation militaire, en août 2023.
« Sébastien Lecornu (le ministre des Armées – NDLR) renvoie la balle aux présidences de l’Assemblée et du Sénat, alors qu’en matière de défense, l’aval gouvernemental est la norme implicite. Encore une manœuvre pour escamoter le débat (parlementaire) ? » fait mine d’interroger l’Observatoire des armements.
Le premier cor du hard power européen
L’organisation regrette que l’ensemble des gouvernements européens alimentent la « logique de guerre et de profit tous azimuts » : « Derrière le soutien largement instrumentalisé à l’Ukraine (le Fonds européen de la défense est né trois ans avant le conflit), n’y a-t-il pas plutôt la volonté de développer des outils de puissance permettant à l’UE de peser par la voie des armes sur la marche du monde ? » questionne le Sipri.
Père fondateur de l’Union, Robert Schuman assurait que « l’Europe, avant d’être une alliance militaire ou une entité économique, doit être une communauté culturelle dans le sens le plus élevé de ce terme ». Aujourd’hui, l’UE prétend s’affirmer autour du hard power et, dans cette partition, la France entend jouer le premier cor.