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Lu sur http://anicetlepors.blog.lemonde.fr/

Le coup de force de Fillon – l’Humanité, 29 novembre 2016

« La population française n’acceptera pas le coup de force de Fillon »

 

Anicet Le Pors ancien ministre communiste de la Fonction publique (1981-1984) et père du statut actuel des fonctionnaires réagit au programme de François Fillon en matière de service public. Il appelle à résister à cette offensive qui »déstabiliserait profondément la société française ».

François Fillon sera le candidat de la droite pour les élections présidentielles avec un programme destructeur pour les services publics. Comment analysez-vous cette offensive?

François Fillon représente une figure réactionnaire classique. Celle qu’ont magnifiquement décrite en leur temps Balzac et Zola. Figure d’un monde où la cupidité, l’affairisme et la confusion des intérêts bâtissaient les fortunes et assuraient les pouvoirs. Une société où l’intérêt général était méconnu, les services publics marginalisés, le peuple supplétif. Replacé dans notre époque, ce fils de notaire provincial, aujourd’hui au service de la finance internationale, présente les mêmes dispositions : son objectif central n’est ni l’intérêt général ni les services publics qui en assurent la poursuite, mais la réduction de la dépense publique pour favoriser l’accumulation du capital, rendre les riches plus riches et les pauvres encore plus démunis. Le discours a, au moins, le mérite de la clarté.

 Il annonce la suppression de 500 000 postes dans la fonction publique, est-ce seulement possible sans mettre en danger la République?

 Il ne fait pas de doute que s’il parvenait à ses fins la déstabilisation de la société serait profonde. Mais je ne pense pas qu’il faille développer un discours alarmiste à ce sujet. Souvenons-nous que, déjà, Nicolas Sarkozy appelait en 2007 à une « révolution culturelle » dans la fonction publique, au développement de recrutements de « contrats de droit privé négociés de gré à gré », à la réduction massive des effectifs amorcée par le non remplacement d’un emploi sur deux de fonctionnaires partant à la retraite. Cela n’a pas été sans effet mais, pour l’essentiel, il a échoué. Dans la crise financière de 2008 chacun a du admettre que le service public avait joué le rôle d’un puissant « amortisseur social ». Je fais la prévision que la population française n’acceptera pas davantage le coup de force Fillon.

 François Fillon compte également imposer les 39 heures à tous les agents, payées 37. Quel est le risque, pour l’ensemble des salariés ?

 La fonction publique a toujours été une grande référence sociale en matière de rémunérations ou de conditions de travail. La proposition de François Fillon a bien un caractère emblématique et vise tous les salariés du public comme du privé : travailler plus pour gagner moins. La justification des 500 000 suppressions d’emplois de fonctionnaires par l’élévation de la durée hebdomadaire du travail est indigente et stupide : les heures d’un fossoyeur ne sont pas substituables à celles d’une secrétaire de mairie (et réciproquement). Les oppositions à cette mesure et à la réduction des effectifs seront imposantes : principe de libre administration des collectivités territoriales, de continuité des services publics, hostilité générale des syndicats, colère des fonctionnaires, refus de la population de voir réduire les services publics de proximité, et même, je le pense, fortes réticences de la haute fonction publique.

 En creux, c’est le statut même de la fonction publique qui pourrait disparaître. Quel impact sur la qualité des services publics ?

 Pourquoi faut-il un statut des fonctionnaires ? Pour que les besoins fondamentaux de la population soient assurés de manière démocratique et efficace. Il faut pour cela que les agents du service public, parce qu’ils servent l’intérêt général, soient compétents (recrutés par concours), indépendants (propriétaires de leur grade) et responsables (respectueux des principes républicains). C’est la conception française exprimée, dans les conditions de l’époque, par le statut de la loi du 19 octobre 1946 dont nous commémorons le 70e anniversaire cette année et que le statut de 1983 a approfondi et étendu à 20 % de la population active[1]. Revenir sur cet acquis progressiste aboutirait à un démantèlement du service public. Les forces existent en France pour l’empêcher.

 A l’opposé, dans votre livre[2], co-écrit avec Gérard Aschieri, vous appelez à un « âge d’or  du service public », qui « doit intégrer les changements du monde ». Quels en seraient les contours ?

 L’idéologie dominante voudrait nous convaincre et obtenir la résignation populaire avec l’idée que le libéralisme serait l’horizon indépassable de l’histoire et le management la forme la plus achevée de la citoyenneté. Ridicule. Tout montre au contraire, dans tous les domaines, que  le monde développe des interdépendances, des coopérations, des solidarités qui portent un nom en France : le service public. Dans les contradictions et souvent les violences, certes, des valeurs universelles tendent à s’affirmer, des dispositifs matériels et immatériels se mettent en place, peu à peu le genre humain prend conscience de l’unité de son destin. À l’autre pôle l’individu, par delà les transcendances et les allégeances, est appelé à plus de responsabilité personnelle. Les grands défis du XXIe siècle qui disqualifient François Fillon.

 

[1] Voir l’Humanité du 21 octobre 2016.

[2] La fonction publique du XXI° siècle Anicet Le Pors et Gérard Aschieri, Éditions de l’Atelier, 2015.

Tag(s) : #Service public
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