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04 novembre 2015
Continuité territoriale
La réforme territoriale initiée par Nicolas Sarkozy en 2009-2010 à été reprise sous le vocable inchangé d’Acte III par François Hollande dans un esprit et selon des modalités indifférenciés.
Rappelons que le cadre de l’organisation territoriale de la France a été mis en place par la création des départements en 1790, la loi municipale de 1884 et la reconnaissance de la région comme collectivité territoriale en 1982. Les débats autour des thèmes de l’aménagement du territoire ou des réformes territoriales ont toujours été éminemment politiques. On se souvient que c’est l’échec du référendum sur la création des régions qui entraina la démission du généra l de Gaulle le 28 avril 1969. Depuis, la réforme territoriale a été rythmée par trois actes.
L’Acte I est consécutif à l’alternance de 1981. Il a été formalisé par la loi du 2 mars 1982 qui a réalisé notamment le transfert de l’exécutif départemental du préfet au conseil général, imposé le contrôle de légalité a posteriori du préfet, annoncé un statut de l’élu et des garanties statutaires renforcées pour les agents publics des collectivités.
L’Acte II est marqué par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République qui modifie la constitution en ce sens. Elle institue un référendum local pouvant être décisionnel, élargit le droit de pétition, prévoit l’autonomie financière des collectivités avec transferts de compétences et la possibilité d’une expérimentation législative encadrée.
L’Acte III a été initié par Nicolas Sarkozy avec la loi du 16 décembre 2010. Il est poursuivi par François Hollande par le moyen de plusieurs lois, ce qui rend particulièrement difficile une vue d’ensemble des réformes.
Une organisation bouleversée
Dans un discours prononcé à St-Dizier le 20 octobre 2009, le Président de la République Nicolas Sarkozy disait vouloir privilégier les « pôles et les réseaux » plutôt que les « frontières et les circonscriptions ». Pour remettre en cause l’organisation traditionnelle, il évoquait l’image du « mille-feuilles », largement reprise ensuite. Cette démarche met en cause l’organisation traditionnelle qui se structure sur la base de six niveaux ayant en réalité une influence déterminante sur l’aménagement du territoire : la commune, la communauté de communes (ou intercommunalité), le département, la région, la nation et l’Europe. Or, trois de ces niveaux sont à dominante politique (la commune, le département et la nation), les autres sont à dominante économique. En démocratie le choix qui s’impose est celui de la supériorité du politique sur l’économique. C’est ce choix qui est contesté par la réforme en cours.
La métropole en est l’instrument principal, c’est le « pôle » annoncé. 14 métropoles seront en place au 1er janvier 2016. La loi du 27 janvier 2014 les a dotées de compétences très larges. Elles reçoivent les compétences jusque-là dévolues aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elles récupèrent également les compétences des communes membres : développement économique, aménagement de l’espace, politiques locales de l’habitat et de la ville, la gestion de services d’intérêt collectif et de protection de l’environnement. Mais c’est sans doute la vocation qui leur est assignée de promotion internationale du territoire dans le « réseau » européen qui caractérise le mieux la spécificité de cette nouvelle entité.
La loi du 15 janvier 2015 a délimité 13 nouvelles régions par agrégation de 15 des 22 anciennes régions. La loi du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRE) en a précisé les compétences. La clause générale de compétence des départements et des régions a été supprimée. La région affirme son rôle important en matière de développement économique, notamment de soutien aux PME. Il revient à la région d’élaborer un Schéma Régional de Développement Économique, d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII), fixant les orientations régionales pour cinq ans. Elle est également chargée de rédiger un Schéma Régional d’Aménagement Durable du Territoire (SRADDT) portant en particulier sur : des orientations d’aménagement, la mobilité, la lutte contre la pollution de l’air, la valorisation de l’énergie, le logement et la gestion des déchets. Les compétences des départements en matière de transport doivent être transférées aux régions dans les dix-huit mois, le département restant responsable de la voirie. La loi tend également à renforcer les intercommunalités, témoignant ainsi de l’affinité région/intercommunalité. La Corse deviendra collectivité avec statut particulier en 2018.`
La complémentarité métropole-région-intercommunalité est évidente, elle conduit à un profond bouleversement des structures existantes, notamment l’existence des communes, spécialement les communes rurales. Les foyers de démocratie que représentent les 36 000 communes sont affaiblis au profit d’un pouvoir technocratique siégeant dans les métropoles en liaison avec le préfet de région qui devient un véritable gouverneur. On peut craindre avec un recul de la démocratie locale un accroissement de la bureaucratie. Le maintien des compétences des communes apparaît ainsi comme une condition de la démocratie locale. Si la nécessité d’une juste et efficace répartition des compétences entre les niveaux d’administration est souhaitable, cela n’entraine pas nécessairement la suppression de la clause de compétence générale, la solution pouvant être recherchée dans l’application d’une subsidiarité démocratique respectueuse tout à la fois des principes constitutionnels de libre administration des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République.
Une austérité financière
Les collectivités territoriales jouent un rôle important dans les investissements publics et le fonctionnement des services publics de proximité. Elles assurent 73% de l’investissement public et n’émargent que pour 10% dans l’endettement public. Au cours des dernières décennies, les gouvernements n’ont eu de cesse de transférer des compétences de l’État aux collectivités territoriales en s’engageant à transférer également les financements correspondants au nom de l’autonomie financière des collectivités, condition indispensable du respect du principe de libre administration posé par l’article 72 de la constitution. Ce qui a été rarement le cas, les collectivités étant de ce fait appelées à supporter une part croissante des politiques d’austérité.
La situation est aggravée par le projet de réduire de 11 milliards d’euros les dotations de l’État aux collectivités de 2015 à 2017. Les élus de toutes tendances ont protesté et manifesté mais ils doivent se résoudre à restreindre leurs dépenses, principalement celles d’investissement, puis celles de fonctionnement ; beaucoup envisageant également une hausse de la fiscalité locale. La suppression de la taxe professionnelle en 2010 et son remplacement par la contribution économique territoriale (CET) dont une partie est basée sur le foncier des entreprises et une autre sur leur valeur ajoutée ne garantit pas pour autant un financement pérenne des collectivité. La réforme peut s’analyser comme un transfert global favorable aux entreprises au détriment des ménages. Le système de financement des collectivités territoriales est devenu si complexe qu’il manque de visibilité, ce qui contribue à accentuer les inégalités entre les collectivités[1]. On peut également nourrir quelque inquiétude concernant la fonction sociale du département affaibli par les politiques engagées. Ainsi, le financement du Revenu de solidarité active (RSA) n’est que très partiellement couvert par l’État alors que le nombre de bénéficiaires croit ; l’État devra financer les déficits avant, vraisemblablement, de re-centraliser son financement.
Les restrictions financières locales portent également sur les crédits des services déconcentrés soumis aux politiques publiques de l’État. La Loi Organique relatives aux Lois de Finances (LOLF) et la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ou le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ont eu des conséquences négatives sur la satisfaction des besoins sociaux et le fonctionnement des services publics locaux. Les collectivités territoriales ont ainsi subi la pression combinée des réductions de crédits décentralisés et déconcentrés. Dans ces circonstances ces collectivités ont pu constituer des contrepouvoirs pour contenir les politiques d’austérité qui ont permis, par exemple, de ne pas subir les suppressions d’emplois à l’instar de celles enregistrées dans les services de l’État.
À partir de 2012, sous le thème de la modernisation de l’action publique de nouveaux instruments ont été mis en place, sans donner pour le moment des résultats convaincants. Ses objectifs sont classiques : réforme de l’État, réduction de la dépense publique, motivation des agents, simplification des relations avec les usagers, etc. Dans ce contexte assez confus on voit mal comment pourrait être mise en œuvre une politique de péréquation verticale (de l’État vers les collectivités locales) et horizontale (des collectivités entre elles) afin de résoudre les inégalités territoriales, faute également d’une véritable politique d’aménagement du territoire, la logique de développement des métropoles se référant à un espace plus européen que national.
Un service public affaibli
La multiplicité des réformes intervenues depuis une trentaine d’années a eu des conséquences sur l’organisation des services et les conditions de travail et de vie des personnels. La création des métropoles, la définition de nouvelles régions, les incertitudes sur l’avenir des départements, les réaménagements incessants entre communes et intercommunalités vont entretenir un contexte défavorable tant à l’efficacité du service public qu’à la sérénité des fonctionnaires et, partant, à leur dynamisme et à leur satisfaction dans l’accomplissement de leurs missions.
L’évolution statutaire des fonctionnaires des services extérieurs des ministères et des collectivités territoriales fait partie de la réforme territoriale. Le statut des fonctionnaires de 1983 a intégré les agents publics territoriaux et hospitaliers dans une fonction publique unifiée « à trois versants ». En trente ans, ce statut a fait l’objet de 225 modifications législatives, la fonction publique territoriales ayant été la plus réformée, 80 fois, apparaissant ainsi comme le « maillon faible » d’une architecture juridique qui, cependant, n’a pas été remise en cause dans son ensemble. Mais elle a pu, dans le même temps être considérée comme l’ « avant-garde » de la fonction publique à venir à la fois en raison de ses qualités propres, que de la part de ceux qui souhaitent revenir à un système d’emploi fondé sur la notion de métier. Le gouvernement actuel, acquis à la conception française de la fonction publique, répugne néanmoins à revenir sur les dénaturations apportées au statut, et refuse, pour des raisons d’austérité, de s’engager dans des chantiers de transformations structurelles qui seraient de nature à ouvrir des perspectives à une fonction publique du XXIe siècle[2].
D’une manière générale, l’influence croissante des règles du marché et de l’idéologie managériale traduite dans le service public par la promotion du New public management a eu pour conséquence de priver les collectivités publiques des outils de rationalisation qui avaient accompagné les décennies d’économie administrée de l’après guerre. Après la suppression du Commissariat Général du Plan (CGP) et de la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale (DATAR) dans sa vocation originelle, la RGPP a supprimé la plupart des organismes de prévision et d’expertise publics (Conseil national d’évaluation, Haut conseil du secteur public, de la coopération internationale, réintégration de la direction de la Prévision au sein de la direction du Trésor, etc.). Dans la réforme en cours il a été annoncé que les directions locales des ministères seraient réduites à huit dans les régions et à trois dans les départements[3]. Il va de soi que les restrictions des dotations affecteront en priorité les crédits d’étude. La création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP rebaptisé France Stratégie) et l’instance de Modernisation de l’Action Publique (MAP) ont pu laisser envisager une réorientation en faveur de la rationalisation de l’action publique. Elle n’a pas été suivie, pour le moment, de résultats probants.
Le risque encouru par l’évolution actuelle de la réforme territoriale est celui d’une régression de la démocratie et d’un affaiblissement des services publics dont les segments les plus rentables pourraient être convoités par le secteur privé à l’occasion de la mise en place des métropoles, ce qui constituera également un terrain favorable à la contractualisation des personnel dans la perspective de la mise en extinction du statut général des fonctionnaires. Seule la convergence des actions des usagers, des fonctionnaires et des élus peut empêcher cette dérive.
ANICET LE PORS
[1] La Dotation globale de fonctionnement (DGF) est la principale source de financement des colletivités territoriales pal l’État. Elle s’élèvera à 32,9 Mds d’euros en 2016 (dont 19 Mds pour les communes, contre plus de 36 Mds en 2015) et pourrait faire l’objet d’une réforme en … 2017.
[2] A. Le Pors et G. Aschieri, La fonction publique du XXIe siècle, Éditions de l’Atelier, 2015. [3] Le 31 juillet 2015 a annoncé de nouvelles répartitions des services déconcentrés de l’État. Ainsi, pour la région Aquitaine-Lilousin- Poitou Charentes, Bordeaux accueillerait 4 DR, Poitiers 1 et Limoges 1.