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Lu sur http://www.regards.fr

 

Marine Le Pen y va franco

 

Analyse, par Catherine Tricot, Sophie Courval| 29 mars 2013

  

Très critique à l’égard du libéralisme et de l’austérité, Marine Le Pen chasse-t-elle désormais sur les terres de gauche ? Enfumage ? C’est d’abord l’expression d’une stratégie politique qui récolte ce que le père a semé.

 

 « La politique d’austérité est une politique folle. Il suffit de regarder ce qui se passe en Grèce, en Espagne et au Portugal. » Ainsi parle… Marine Le Pen. Peu présente ces derniers mois, l’ex candidate à l’élection présidentielle refait surface en enfonçant le clou sur son nouveau terrain de prédilection  : le social. Et elle y va fort. La présidente du Front national ne mâche pas ses mots pour dénoncer l’accord Medef-CFDT sur la flexibilisation du travail ou encore pour mettre en cause les politiques d’austérité. Elle s’insurge « qu’on [les dirigeants] vienne toujours au chevet des patrons du CAC 40 » et s’en prend au modèle allemand qu’elle accuse de « dumping social ». Elle impute la responsabilité de la dette « aux dirigeants politiques qui, en 1973, ont obligé l’État Français à emprunter sur les marchés financiers ». Et prend la défense des services publics : « Dans les campagnes, les Français n’ont plus de police, plus d’hôpitaux de proximité, plus de maternelles, plus de collèges, plus d’armée, plus de tribunaux d’instance, plus de service public, plus de bureau de poste… »

Ce positionnement lui avait déjà réussi lors des élections du printemps dernier. Il semble toujours bien fonctionner. Marine Le Pen progresse dans les sondages, gagne en acceptabilité et serait même devenue une des femmes politiques préférées des Français. Témoignage encore de cette légitimation toute récente, la question posée par David Pujadas en préambule de son émission « Des paroles et des actes », diffusée le 26 février dernier sur France 2 : « Le FN est-il toujours infréquentable ? »

Assurément le FN change de discours et de tactique. Pas d’idéologie. Mieux, Marine Le Pen parvient à élargir le champ de crédibilité de son parti en développant une réponse conforme en tout point aux fondamentaux du mouvement d’extrême droite. Rajeunie, l’actuelle direction du Front a compris qu’avec l’éloignement de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie, l’opprobre qui entourait le FN a perdu de sa force. Alors que le père savait les portes du pouvoir à jamais fermées, le pestiféré de la République s’est attaché à rassembler toutes les mouvances d’extrême droite et s’est attelé à un travail culturel en profondeur. Il n’a jamais été question pour lui de construire une crédibilité politique. Même durant la courte période où un groupe de députés frontistes siégeait à l’Assemblée nationale, les interventions dans l’hémicycle étaient l’occasion de provoquer esclandres et scandales.Radicale différence

C’est avec cela que Marine Le Pen et ses amis rompent. Ils n’en ont plus besoin. Les sillons profonds creusés par le père permettent de s’en affranchir. Car le ciment idéologique a pris, aussi bien chez les militants que chez les électeurs. Quand Marine Le Pen parle de préférence nationale ou de défense de la laïcité, elle n’a pas besoin d’en rajouter. Tout le monde la comprend à demi-mot. Il ne s’agit pas de dissimulation. Tout au contraire, ses interventions sont d’une clarté politique tranchante – autre facteur de son succès. Elle ne joue pas la technocrate et ne se cache pas derrière une quelconque expertise économique. Elle assume une orientation politique. Aux journalistes qui lui font remarquer que ses critiques de l’« accord sur la sécurisation de l’emploi » (ANI) sont quasiment les mêmes, au mot près, que celles de Jean-Luc Mélenchon, elle répond : « Ce n’est pas très étonnant. Nous nous opposons tous les deux, mais avec des solutions radicalement différentes, à la politique ultralibérale menée à la demande de Bruxelles, qui impose la dérégulation du travail au bénéfice des grands groupes et du Medef. » Prenant même la peine de préciser : « Le Medef étant le syndicat de défense des grands patronats. » (sic) Elle admet le parallèle sur le constat mais tranche sur les solutions : « On ne peut pas lutter contre l’ultralibéralisme et la mondialisation si on est pour l’immigration et pour l’Europe. L’Europe impose une dérégulation totale, une privatisation totale. Et l’immigration est utilisée depuis 30 ans pour peser à la baisse des salaires, c’est-à-dire pour créer une concurrence au moins-disant social sur le territoire. » Tout l’oppose donc à Jean-Luc Mélenchon.

Libéral hier, étatiste aujourd’hui : le FN est pourtant toujours le même parti. Son socle idéologique ne se situe pas là. En la matière, il lui est loisible de raconter une chose et son contraire. L’invariant est ailleurs. Il est dans le nationalisme et la construction de boucs émissaires, dans la réponse autoritaire et la détestation de l’individualisme. Son nouveau credo : la défense des oubliés. Efficace  : « Il y a des catégories entières de Français qui vivent une relégation politique, économique, territoriale et culturelle. On va toujours au chevet des banlieues difficiles, il faut arrêter de servir toujours les mêmes. (…) »

La perception que le pouvoir est désormais accessible a bel et bien changé la donne. Marine Le Pen jette aux orties quelques oripeaux trop encombrants. Pour occuper pleinement l’espace de la critique sociale, elle est prête à sacrifier la frange aisée catho. Ils trouveront refuge chez Copé. Marine, elle, ouvre les bras. « Qu’on soit juif, musulman, homo ou hétéro, on est d’abord Français », déclarait-elle durant la campagne présidentielle de 2012. Expliquant à « ceux qui ont mal compris  » que « la préférence nationale, c’est accorder des avantages en matière d’emploi et de logement, pas aux blancs, ni au Français de souche, mais à ceux qui ont la nationalité française quelle que soit leur origine ou leur religion ». Un discours qui se recentre sur les classes moyennes, « ceux qui gagnent 3 000 ou 4 000 € par foyer et que François Hollande considère comme riches », assène-t-elle goguenarde.

« Sur les fondamentaux, Marine Le Pen n’a rien changé, analyse Erwan Le Coeur, politologue, spécialiste du FN. Elle s’est entouré de conseillers qui lui ont fait comprendre que si elle veut conquérir un nouvel électorat, il faut qu’elle soit non plus dans la répression mais dans la protection, et pour cela l’État lui est très utile ». Et d’ajouter : « Si on regarde par ailleurs ce qui n’a pas du tout été expurgé du programme du FN, on obtient un mélange d’autoritarisme et d’étatisme qui fait penser à une vision du monde proche de celle du fascisme initial italien. C’était une théorie qui se disait ni de droite ni de gauche, qui voulait un État totalitaire qui intervienne sur la plupart des sujets de la vie de tous les jours, la place de la famille, la place de la procréation… » Cet alliage, on le doit notamment à la nouvelle garde rapprochée de la présidente, plus proche des mégrétistes que des traditionalistes, et qui compte dans ses rangs un énarque Florian Philippot, propulsé comme vice-président du parti. S’il fallait se convaincre de la fermeté des convictions ultra-droite de Marine Le Pen et de ses proches, il suffirait d’observer les nominations qui interviennent dans l’appareil frontiste. Dernière en date, celle d’un jeune militant ultra-radical imposé au service du groupe des élus régionaux de Lorraine, nouveau fief de Philippot. Même les anciens militants sont écoeurés. Marine Le Pen et sa bande ne sont vraiment pas des tendres. S’ils ont interdit croix gammées et salut nazi, ils n’en demeurent pas moins proches des mouvances les plus identitaires. Ultra-radicaux mais propres sur eux et bien élevés. Ce sont des politiques qui ne font plus d’esclandre. Quand on lui demande si elle est « une Gianfranco Fini à la française  », la réponse est on ne peut plus explicite. Elle ne se reconnaît en aucune façon dans l’action du leader du parti fasciste italien qui a dirigé la transformation de son mouvement dans les années 1990 pour l’intégrer dans le jeu parlementaire italien. « Il a tout abandonné et ne pèse plus que 2 %. »

Ce n’est vraiment pas la voie qu’elle entend suivre. La banalisation l’effraie autant que son père qui ne manque pas une occasion de lui rappeler qu’un FN gentil ne sert à rien. Elle travaille à résoudre cette équation : ferme sur ses orientations et rassembleuse dans ses manières. Son chemin à elle : continuer d’infuser sa cohérence idéologique, et mettre le reste de la droite en demeure de venir sur ses terres. Prochaine étape : les élections municipales et européennes.

 

Tag(s) : #Débats
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