Discours de M. Tadatoshi AKIBA, Maire d’Hiroshima, Président de Mayors for Peace – Vienne, 4 Mai 2007. (1) Merci monsieur le Président, Le 23 août 1945, juste deux semaines après le bombardement atomique de Nagasaki, une femme donna naissance à un petit garçon. La mère et son enfant faisaient partie des chanceux. Parmi les centaines de femmes enceintes à Nagasaki à cette période, bon nombre furent tout simplement tuées, tandis que tant d’autres firent des fausses couches, accouchèrent d’enfants mort-nés ou sévèrement malformés. Cet enfant chanceux grandit puis devint Maire de Nagasaki, et militant chevronné contre les armes nucléaires. Il connaissait bien les nombreux malchanceux et par conséquent savait d’où il venait et pourquoi il s’engageait. Il y a seize jours, alors qu’il faisait campagne pour la 4ème fois consécutive, ce Maire, mon ami
Iccho ITOH, fut abattu dans le dos par un gangster yakuza. M. le Maire ITOH combattit les armes nucléaires si intensément que l’une de ses dernières pensées pourrait bien avoir été un regret de s’être fait voler la chance de les voir éliminées de son vivant. J’éprouve de la tristesse en y pensant. Monsieur le Président, Le mois dernier nous perdions également une amie, leader de la société civile, Janet Bloomfield. Il est temps pour nous tous de réfléchir aux moyens par lesquels nous pouvons contribuer à accomplir la mission dans laquelle ces deux personnalités étaient tant impliquées. Mayors for Peace a exposé sa vision d’un monde libéré des armes nucléaires d’ici à 2020. Il ne reste que treize ans désormais ; si les dieux le veulent, nous tous qui sommes ici réunis serons encore en vie en 2020. Quel âge aurez vous ? Quel âge auront vos enfants et vos petits enfants en 2020 ? Serons nous capables d’éradiquer le cancer nucléaire de notre planète avant qu’il nous ait tous détruits ? Pourrons nous offrir à notre planète ce précieux cadeau porteur d’espoir et synonyme de santé avant 2020 ? Les pronostics ne sont guère encourageants. Les recommandations unanimes de la Cour Internationale de Justice selon lesquelles tous les Etats sont dans l’obligation de négocier de bonne foi et de parvenir au désarmement sous toutes ses formes ont été mises à mal par dix ans d’inaction de la Conférence sur le Désarmement ! Il y a trois semaines j’ai écrit aux chefs des gouvernements de tous les Etats de la Conférence sur le Désarmement. Je les ai mis au défi de saisir l’opportunité qui était offerte par les actuels Présidents de la Conférence. Comme vous le savez, ces derniers ont proposé une formule pour avancer, simultanément, sur de nombreux fronts, y compris sur le terrain du désarmement nucléaire. Mais les diplomates, à Genève, prennent cette initiative d’aussi loin qu’il leur est humainement permis de le faire. Preuve que cette étape de la conférence nécessite un certain leadership auquel seuls les chefs de gouvernement peuvent prétendre. Chers membres de la Conférence sur le Désarmement Je demande à chacun de vous : avant que la Conférence sur le Désarmement ne se réunisse à nouveau suite à cette commission préparatoire, prenez personnellement vos 2 responsabilités et entreprenez toutes les actions possibles pour persuader le chef de votre gouvernement de faire tout ce qui est en son pouvoir afin que tous ses homologues s’entendent sur la proposition ‘P6’1. Vous aurez peut-être à imaginer ce que par le passé
vous n’avez jamais osé penser. Mais pour accomplir quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant – le désarmement nucléaire – il faut nécessairement entreprendre avec courage beaucoup de choses qui n’ont jamais été faites par le passé. Jusqu’à ce que tous les leaders d’un pays qui soutient déjà la proposition ‘P6’ aient parlé à tous les leaders des pays qui ne la soutiennent pas encore, personne ne doit s’accorder une seconde de répit. Je ne veux pas entendre que votre pays fait déjà tout ce qui est en son possible. Dîtes moi plutôt ce que votre chef d’Etat ou de gouvernement va faire dans les prochaines semaines. Dix jours d’hyperactivité, sans être suffisants, sont nécessaires pour commencer à compenser dix ans d’inaction. Si la Conférence sur le Désarmement est toujours bloquée à la fin de l’été qui s’annonce, la communauté mondiale des ONG plaidera pour la création d’un sous comité sur le désarmement nucléaire à l’Assemblée Générale des Nations Unies. Cette approche fut écartée jusqu’à présent pour laisser aux six présidents des sessions de 2006 de la Conférence sur le Désarmement une chance d’ouvrir une nouvelle voie pour la Conférence. En 2007, nous assistons à l’essoufflement de ce processus, et il est temps d’en tirer les conséquences. Soyons candides : la proposition ‘P6’ n’est qu’un pas de lilliputien dans la bonne direction. Seuls les matériaux fissiles feront l’objet de négociations. Si nous nous référons aux décisions qui en 1995 portaient extension du Traité de Non Prolifération, les discussions actuelles sont obsolètes depuis douze ans. Et même en reconnaissant cela, la plupart des Etats dotés de l’arme nucléaire insistent sur le fait que seule la production de nouveau matériel doit être négociée. Comme c’est facile pour ces Etats, déjà assis sur des monceaux pléthoriques d’armes et de matériel de guerre. Un traité portant interdiction d’acquérir du matériel fissile ne contrariera pas leurs stratégies d’équipement militaire nucléaire d’un iota. Tous les Etats dotés de l’arme nucléaire sont engagés dans des programmes d’acquisition (ou de développement) de nouvelles armes qui pérenniseront leurs forces nucléaires pendant la seconde moitié de ce siècle. L’action la plus positive que ces Etats pourraient entreprendre serait de déclarer un moratoire multilatéral sur leurs programmes d’acquisition d’armes nucléaires. Nos amis, les étudiants de la Campagne du Droit International, qui sont également
les plus jeunes participants à cette conférence, ont mis en évidence que « plutôt que de justifier de manière puérile leurs programmes d’acquisition sur le mode du tout le monde le
fait, les Etats devraient tous observer un temps mort ! ».
Une période de cinq ans sans nouvelle acquisition d’armes nucléaires, combinée à des négociations sérieuses sur le désarmement nucléaire permettrait d’en arriver au point où les plans d’acquisition deviendraient complètement hors de propos. Pensez à l’argent économisé, aux talents redirigés vers les besoins les plus urgents, aux bienfaits générés, et combien nous serons près des objectifs du millénaire fixés par tous les Etats. 3 Alors, qui, parmi les Etats nucléaires, accomplira ce pas positif ? Cette commission préparatoire serait le meilleur endroit pour le faire. Suite à l’insistance du petit nombre d’Etats nucléaires, la proposition ‘P6’ appelle seulement à « des discussions substantielles », pas à la négociation sur le désarmement nucléaire. Alors laissons cette discussion substantielle avoir lieu, mais elle doit rapidement évoluer et se transformer en négociations sur un accord cadre identifiant toutes les mesures à adopter pour parvenir à, et maintenir, un monde sans armes nucléaires. De plus, cet accord devra spécifier les échéances aux termes desquelles chaque mesure doit être opérante. Les treize étapes pratiques du texte adopté en 2000 pourraient servir de point de départ de telles discussions ; le modèle de la Convention sur les armes nucléaires est une autre ressource valable. Un tel cadre donnera aux parties des gages que leurs problèmes de sécurité auront été pris en compte avant que le monde ne soit entièrement libéré des armes nucléaires. Même les discussions du Traité sur l’Interdiction de la Production des Matières Fissiles (Fissile Materials Cutoff Treaty - FMCT) pourraient tirer avantage à être placées dans ce champ élargi. M. le Maire Itoh disait souvent : « Les armes nucléaires et l’humanité ne peuvent pas coexister indéfiniment ». Mayors for Peace souligne ce point en déclarant que ‘Les Villes ne sont
pas des cibles’. La moitié de l’Humanité vit actuellement dans les villes ; les seules cibles
valables à proportion du pouvoir destructeur des armes nucléaires sont les villes. Le concept de dissuasion s’adosse au risque de destruction mutuelle des villes. J’attends encore de voir un seul maire consulté à ce sujet ! Les quelques 1600 villes membres de Mayors for Peace rejettent catégoriquement notre rôle d’otages de cette folie. Et nous pensons qu’en parlant ainsi nous parlons au nom de toutes les villes, voire même au nom de l’Humanité toute entière. La conférence américaine des maires a écrit aux gouvernements russe, chinois et américain pour que cesse cette prise d’otages mutuelle et permanente. En ma qualité de Président de Mayors for Peace, j’ai écrit aux leaders des neufs Etats nucléaires, en leur demandant qu’ils reconnaissent qu’il est parfaitement illégal de prendre les villes pour cibles ou de les exposer aux retombées radioactives. Hormis la notable exception du Royaume Uni, en guise de réponse, ce fut le silence. Comme si nous, les otages, n’avions pas le droit de remettre en question leurs menaces illégales ! La réponse britannique, quant à elle, fut des plus évasives. Je demande aux chefs de délégations des cinq Etats nucléaires du Conseil de Sécurité de réfléchir sur l’opportunité pour eux de répondre à cette question : Avez-vous exclu l’utilisation des armes nucléaires contre des villes ? Je suis sûr que pendant les huit prochains jours, cette assemblée écoutera très attentivement toutes les réponses que vous pourrez apporter à cette question. Permettez moi encore de vous rappeler que la Cour de Justice Internationale a souligné que la simple menace d’une telle utilisation (contre des villes) des armes nucléaires était à elle seule un crime contre l’Humanité. Monsieur le Président, honorables délégués, Cet après midi, vos débats vont reprendre leur cours diplomatique. N’oubliez pas, s’il vous plait, Ms. Bloomfield ni le Maire Itoh ; n’oubliez pas, s’il vous plait, nos enfants et leurs enfants. Ne perdez pas l’enjeu de vue : un Monde sans armes nucléaires ! Texte principal – seul le texte prononcé fait foi – Traduction de l’anglais assurée par de l’AFCDRP 4 (1) Discours prononcé à l’occasion de la contribution des ONG à la commission
préparatoire (prepcom) de révision du Traité de Non Prolifération (TNP) nucléaire. La dynamique du TNP est double : - le traité prévoit des réunions quinquennales des signataires (appelées Conférence sur le désarmement) dans le but d’examiner les conditions d’application du Traité - des commissions préparatoires, dans lesquelles les ONG jouent un rôle croissant se réunissent quant à elles une à deux fois entre deux Conférences sur le désarmement afin de préparer le terrain de cette dernière.