Lu sur Quel service public local à l’horizon 2030 ? – Anicet Le Pors
Congrès de la FNCDG PT, Lille, 4–6 juin 2025
La Fédération nationale des centres départementaux de gestion (FNCDG), présidée par Michel HIRIART, a tenu son congrès au Grand Palais de Lille du 4 au 6 juin 2025. Il a été ouvert par une Table-ronde : « Quel service public local à l’horizon 2030 ? »

Cette table ronde, animée par Séverine Bellina, journaliste, a réuni les personnalités suivantes :
- Grand témoin ; Anicet LE PORS, Ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives. Ancien sénateur et conseiller général des Hauts-de-Seine. Conseiller d’État honoraire, économiste au ministère de l’Économie et des Finances, ingénieur de la Météorologie nationale aujourd’hui Météo France.
- Éric LANDOT, avocat au Barreau de Paris
- Pierre-André DURAND, préfet d’Occitanie et de la Haute-Garonne et Président de l’association du corps préfectoral
- Philippe LAURENT, maire De Sceaux, président du CSFPT Conseil sup√©rieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et président de la AFCRE (association française des communes et des régions d’Europe)
- Stéphane DELAUTRETTE, Député de la Haute-Vienne, Président de la délégation à la décentralisation et aux collectivités territoriales (ancien maire, ingénieur environnement, ADEME)

Cinq problématiques ont constitué le fil conducteur de cette table-ronde :
- Que recouvre la notion de service public local ? Comment a-t-elle évolué et comment évoluera-t-elle à l’horizon de cinq à dix années ?
- Quels défis devront relever les collectivités territoriales et les établissements publics locaux pour maintenir un service public de qualité ?
- Quelles évolutions des modes de gestion des services publics locaux et de l’organisation des collectivités territoriales dans un contexte de contraintes financières, juridiques, organisationnelles ?
- Comment rendre le service public local plus efficient ?
- Un renforcement de la décentralisation est-il souhaitable ?
Quel service public local à l’horizon 2030 ? Les deux paradigmes
(Résumé de l’intervention d’Anicet Le Pors)
On a découvert il y a quelques années un texte de la fin du XIIIe siècle réglementant l’activité d’un tambour public dans un village. On l’aurait considérée aujourd’hui comme le statut particulier d’un communicant d’une collectivité publique. Je me souviens aussi que durant la deuxième guerre mondiale je fréquentais quotidiennement un cantonnier dans mon village breton d’origine (Plouvien, dans le Finistère) qui, lorsqu’on lui demander quel était son statut, répondait avec un peu de gêne :« Je suis assimilé » ». Il voulait dire par là qu’il n’était pas fonctionnaire comme l’instituteur qui, lui, avait de la chance car il travaillait sous l’État ». Ce souvenir d’enfance m’est revenu lors de l’élaboration du statut de la fonction publique territoriale. J’y ai vu comme une revendication de dignité. C’est pourquoi j’ai tenue à convoquer ces deux ancêtres dans notre débat. Et aussi pour témoigner qu’il existe une histoire de la fonction publique territoriale malheureusement le plus souvent occultée par celle de la fonction publique de l’État.
Un fort déterminisme historique pèse sur ce que sera la situation des collectivités locales à l’horizon 2030 est sur la place qu’y occuperont les services publics locaux. Les irrégularités politiques conjoncturelles rendent également difficile la prévision. On peut néanmoins avancée des hypothèses concernant les services publics locaux et la fonction publique territoriale
Les tendances lourdes de l’évolution historique du service public
C’est d’abord une sécularisation et une structuration du pouvoir exécutif, ce qui entraîne une expansion de l’administration et une tendance à son autonomisation.
C’est aussi une socialisation des besoins fondamentaux en expansion et des moyens destinées à leur satisfaction : hausse de la dépense publique et des prélèvements obligatoires, augmentation des effectifs publics.
On assiste également à une affirmation de principes et de concepts : intérêt général, service public, fonction publique. Une théorisation du service public est tentée à la fin du XIXe siècle par l’école française du service public. Il y a service public lorsque sont réunies les conditions suivantes : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public, un droit et un juge administratif, une couverture financière par l’impôt et non par les prix. Léon Duguit pense que l’État peut être regardé comme une coopération de services publics. On considère que ce fut l’époque de l’âge d’or du service public. Comment prolonger cette réflexion ?
Quelle place pour les services publics dans la société aujourd’hui ? Le service public moyen et finalité de l’intérêt général
Un collectif de jeunes hauts fonctionnaires Nos services publics a montré l’écart croissant entre les besoins fondamentaux à satisfaire et les moyens budgétaires qui leur sont affectés[1]. D’où deux conséquences : un mécontentement croissant de la population face à l’insuffisance des services publics, d’autres part, l’ouverture d’opportunités lucratives pour des intérêts privés.
De quoi l’intérêt général et le service public sont-ils donc les noms ? Les idéologies messianiques de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle (libéralisme, justice redistributives, marxisme) se sont affaissées sans parvenir à définir de façon convaincante la notion d’intérêt général. Le conseil d’État a pu caractériser telle ou telle activité comme relevant d’un intérêt général, mais sans définir l’intérêt général lui-même tout en s’identifiant comme « Maison du service public ». La loi n’exprime pas la volonté générale, mais une volonté majoritaire regardée comme générale.
C’est finalement le service public, par son inscription effective dans la société qui identifie l’intérêt général et détermine le rôle et la responsabilité de chaque collectivité publique.
Le service public apparaît ainsi comme le paradigme fédérateur de la société toute entière.
Quelle place du services publics local et de la fonction publique territoriale : du « maillon faible » à la` « référence sociale » en 2030
La fonction publique territoriale avait été ignorée de toutes les réformes statutaires antérieures de la fonction publique de l’État, notamment en 1946 et 1959. La simple mise en cohérence des dispositions alors figurant dans le livre IV du code des communes risquait de donner naissance à un statut fondée sur le système de l’emploi contre celui de la carrière pour les fonctionnaires de l’État. La difficulté a été surmonté par la création de la fonction publique unifiée à trois versants. Il a ainsi été répondu à l’aspiration à la dignité des agents publics locaux (les « communaux ») » devenus fonctionnaires de plein droit, tandis que la fonction publique territoriale accédait à une véritable identité du fait également du transfert de compétences du représentant local de l’État aux assemblées délibérantes par la loi du 2 mars 1982.
Toutefois, étant donné son passé, la fonction publique territoriale était regardée dans les années 1980, comme le « maillon faible » de l’architecture juridique retenue. Sa réforme statutaire est à l’origine de sa réussite spectaculaire. Elle a conféré aux agents communaux les mêmes droits et garanties qu’aux fonctionnaires de l’État. Elle a presque doublé ses effectifs. Elle s’est dotée d’organismes de gestion structurants : conseil supérieur et membres du conseil commun, conseil national de la fonction publique territoriale, centres départementaux de gestion animées par la fédération, etc. Elle a témoigné d’un grand dynamisme. Elle est devenue la « référence sociale » de toute la fonction publique. Ce qui invite à un encouragement soutenu de la garantie fondamentale de mobilité reconnue par le statut.
Quelle sera la situation des collectivités publiques locales en 2030 ? Sous réserve de changements conjoncturels inattendus, la situation dépendra du rapport entre poursuite des dénaturations et utilisation des atouts. D’un côté, : contractualisation des emplois permanents, confusion entre statut et gestion, servilité vis-à-vis du modèle de management de l’entreprise privée ; de l’autre : proximité et connaissance des besoins, dynamique des techniques et des qualifications, configuration démocratique de la rencontre de l’élu, du fonctionnaire et du citoyen. De quoi être raisonnablement optimiste, voire de pouvoir ouvrir à terme la perspective d’un « nouvel âge d’or » du service public en général.
La fonction publique territoriale et, par-là, le service public local peuvent ainsi apparaître comme le paradigme de l’organisation territoriale des collectivités et des établissements publics locaux.
Pierre Teilhard de Chardin, jésuites et paléontologues, « On empêchera plutôt la terre de tourner que l’homme de se socialiser »
[1] Collectif Nos services publics, préface A. Le Pors Rapport sur l’état des s services publics, Paris, Équateurs, Paris, 2024




