Lu sur Aide militaire à l’Ukraine : la fin du pacifisme pour Les Écologistes ?
Après l’altercation entre Donald Trump et le président ukrainien, Les Écologistes ont appelé à un engagement militaire renforcé auprès de l’Ukraine. Une déclaration qui tranche avec l’héritage écologiste.
La scène est apparue surréaliste : Donald Trump et Volodymyr Zelensky en pleine altercation à la Maison Blanche, le 28 février, devant les caméras des journalistes. Le président ukrainien s’entretenait avec son homologue étasunien sur les contours d’un accord sur les minerais de son pays, sur lequel Donald Trump fait pression. Hasard du calendrier, en France, un débat était organisé le 3 mars à l’Assemblée nationale sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe. Les forces politiques françaises y ont expliqué les stratégies qu’elles recommandent.
Traditionnellement positionnées du côté du désarmement, les forces de gauche ont souligné leurs inquiétudes face à la gravité du moment. Les Écologistes ont, eux aussi, affirmé leur velléité de ne pas courber le dos face à l’attitude du président étasunien.
D’emblée, le ton était donné : « Pour la première fois depuis 1945, la peur de la guerre s’insinue en chacun de nous. La menace russe se concrétise et la protection américaine s’étiole », a entamé Cyrielle Chatelain. La présidente du groupe Écologiste et Social a salué la « pugnacité du peuple ukrainien » qui a réussi à faire « échouer le plan de Vladimir Poutine ».
Lire aussi : Le désarmement est la colonne vertébrale des révoltes écologiques
Compte tenu du contexte inédit, Cyrielle Chatelain a mis fin au pacifisme traditionnel des Écologistes dans un discours solennel. Elle a annoncé le soutien de son parti à « un engagement militaire et financier renforcé à destination de l’Ukraine ».
Fustigeant la passivité de l’Europe qui s’en est « paresseusement remise aux États-Unis », et « a renoncé à s’imposer comme un acteur majeur sur la scène internationale », elle a souligné l’attachement de sa famille politique à une défense européenne : « L’Union européenne doit s’affirmer comme une force politique, ce qui implique aujourd’hui dans ce contexte de s’affirmer comme une force militaire. »
L’aide militaire à l’Ukraine doit passer « par la fourniture d’équipements de défense avancée », « la formation des forces ukrainiennes » et le « renforcement de troupes européennes dans les pays frontaliers de l’Ukraine ». Une montée en puissance de la militarisation, en somme.
Une bascule déjà engagée
Deux pierres angulaires guident désormais la vision du groupe Écologiste et Social quant à l’affaiblissement financier de la Russie : utiliser les 209 milliards d’euros d’avoirs publics russes pour financer la résistance et la reconstruction de l’Ukraine ; et arrêter l’achat de gaz, de pétrole et d’uranium russes. « Chaque euro versé à Gazprom [le géant gazier russe] ou aux compagnies fossiles est 1 euro qui finance la guerre russe », a insisté Cyrielle Chatelain.
Signe de l’importance donnée à la lutte contre le réchauffement climatique, l’accélération de l’indépendance énergétique du pays reste le socle de leur stratégie. Soulignant que la France est « l’un des plus gros importateurs d’engrais russes », Cyrielle Chatelain a insisté sur l’urgence face à « la sortie de l’agriculture intensive ». Sans en détailler les contours, la présidente du groupe Écologiste et Social a plaidé pour « un plan de désescalade nucléaire ».
Lire aussi : Engrais chimiques : comment l’agriculture française finance la guerre de Poutine
« Nous avons conscience que nous ne sommes pas dans cette logique actuellement, précise à Reporterre la chef de file des Écologistes à l’Assemblée nationale. Mais si des négociations de paix venaient à être engagées, la question de la dénucléarisation doit être portée de manière multilatérale. »
Ce discours à l’Assemblée nationale tranche-t-il réellement avec les traditions, appelant à une démilitarisation, de sa famille politique ? Pour le cofondateur de l’Observatoire des armements, Patrice Bouveret, rien ne tient ici d’une rupture, mais il s’agit de l’héritage d’une bascule engagée il y a quelques années : « Cela traduit une coupure entre les élus du parti et sa base qui se retrouvait dans les valeurs “pacifisme, féminisme et écologie”. » L’expert pointe un manque de réflexion collective à l’intérieur des Écologistes sur les questions de défense.
« La question du pacifisme n’est pas de rester inerte face à la loi du plus fort »
Deux visions avancent en parallèle au sein du parti : créée il y a un an, une commission défense cohabite désormais avec la commission Paix et désarmement, créée en 1984 lors de l’AG fondatrice des Verts.
« La question du pacifisme n’est pas de rester inerte face à la loi du plus fort, dit Cyrielle Chatelain à Reporterre. La question ici est : “Soutient-on la résistance d’un peuple pour une valeur qui a toujours été celle des écolos, c’est-à-dire le droit d’autodétermination des peuples ?” C’est dans cette lignée que le groupe a réaffirmé son soutien à l’Ukraine, de manière financière, humanitaire et militaire. »
Une défense écologiste en pointillés
En 2013, un texte venait poser les premières bases de ce qui s’apparenterait à une politique de défense à la sauce écologiste. En réponse au « Livre blanc sur la sécurité nationale » — permettant au gouvernement de présenter ses grandes orientations sur ce sujet —, la sénatrice d’alors, Leila Aïchi, publiait le « Livre vert de la défense ». Fruit d’une réflexion collective chez les Verts, il visait à créer un trait d’union entre les enjeux environnementaux et l’adaptation du modèle militaire aux tensions engendrées par le changement climatique.
En somme, une forme d’interdépendance entre les politiques pour un développement durable et celles pour la recherche de la paix, comme cela avait déjà émergé en 1992 lors de la déclaration finale du troisième Sommet de la Terre de Rio de Janeiro.
« À long terme, il faut également engager des politiques qui s’attaquent aux causes de l’appareil militaire », pouvait-on lire en guise d’introduction de ce livre vert. La feuille de route insistait déjà sur l’importance de renforcer une cohérence stratégique de la défense à l’échelle européenne. Il appelait à une mise en commun des moyens des pays membres de l’Union européenne, à la création de zones sanctuarisées et démilitarisées, ainsi qu’à orienter une partie du budget de la recherche militaire pour soutenir la transition écologique.
Une dizaine d’années plus tard, force est de constater que certains points de la politique de défense des Écologistes restent en suspens : quels principes définissent les contours d’une politique de défense écologiste ? Faut-il poursuivre une alliance à l’international ? Sous quelle forme ? Comment organiser la préparation militaire tout en protégeant le vivant ?
« Les parlementaires écologistes deviennent de plus en plus proches des positions officielles de la France sans qu’il n’y ait remise en cause ou interrogation sur ces questions-là. Ils perdent le côté novateur qu’avaient les écologistes sur ces questions », regrette Patrice Bouveret.
Afin de redéfinir les contours d’une politique stratégique de la défense, Damien Girard, député écologiste et membre de la commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale, prépare un rapport. A priori loin d’une remise en cause de la logique militaire, donc.