Lu sur LA LETTRE DU 6 JUIN - Regards.fr
La Russie sortie de l’Histoire
Emmanuel Macron a voulu célébrer les 80 ans du D-Day en grande pompe. Dans un contexte mondial particulièrement tendu.
La Russie ne participe pas aux cérémonies de commémoration du débarquement de juin 1944. Que l’on approuve ou que l’on conteste ce choix, il est difficile de ne pas voir les risques qu’il entraîne. Tout se passe en fait comme si nous nous trouvions devant une double impossibilité.
La Russie est l’héritière de l’URSS, c’est-à-dire du pays qui a payé infiniment plus que d’autres sa contribution à la défaite des fascismes du 20ème siècle. Son absence peut ainsi aisément fonctionner comme un camouflet, pour un peuple russe qui a fait un identifiant majeur du souvenir de ses dizaines de millions de morts et de sa fierté d’avoir autant contribué à l’écrasement de la barbarie.
Mais Poutine est celui qui porte la plus haute responsabilité dans l’agression russe contre l’Ukraine, au point d’être considéré par la Cour pénale internationale comme un « présumé responsable de crime de guerre ». S’il est présent en France, faut-il diplomatiquement faire comme si la justice commune n’existait pas, ou faut-il que justice se fasse et que le présumé coupable soit traduit devant elle ?
Écarter la Russie au moment d’une remémoration plus que jamais nécessaire, c’est effacer puérilement de la photo d’hier ceux que l’on ne veut plus fréquenter aujourd’hui. Inviter le premier dirigeant de la Russie, c’est reconnaître que la force prime sur le droit, c’est infliger une blessure supplémentaire aux victimes en cours et c’est donc encourager indirectement le crime. Double impossibilité… Olaf Sholz sera là, sans la moindre représentation officielle de la Russie : redoutable ruse de l’Histoire !
Ajoutons-y une donnée géopolitique, peut-être plus préoccupante encore. Pour signer les capitulations de mai 1945, les vainqueurs étaient quatre : les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie soviétique. Trois se voulaient occidentaux, le quatrième était oriental. Dans le monde tel qu’il va, s’installe l’idée dangereuse que les nouveaux conflits opposent à nouveau l’Occident et ceux qui n’en font pas partie. En écartant la Russie, on redessine l’histoire et, consciemment ou non, on entérine le nouveau paradigme binaire qui organise le désordre du monde. La Russie ne fait pas partie de « l’Occident » et, cette fois, c’est « l’Occident » qui le décide.
Est-ce ainsi que l’on évitera le pire ?
Roger Martelli