En inscrivant dans le droit les concepts de l’extrême droite, Emmanuel Macron, son gouvernement et ses députés ont renoncé aux valeurs républicaines. Le texte de la loi immigration voté mardi 19 décembre, le plus xénophobe jamais adopté depuis 1945, marque un tournant dans l’histoire de la Ve République.
le 2.01.24 à 14:26
« Nous devons défendre nos valeurs face aux partis d’extrême droite », a assuré Emmanuel Macron en 2017. « Ce vote m’oblige », rassurait-il, en 2022, ceux qui l’ont réélu uniquement pour faire barrage à Marine Le Pen. Mais en décembre 2023, en poussant ses parlementaires à trouver coûte que coûte un accord avec « Les Républicains » sur la loi Immigration, puis en leur intimant de voter pour un texte nourri par les concepts du Front national, Emmanuel Macron a trahi. Pour ne pas perdre la face, ne pas prendre le risque que la loi de Gérald Darmanin n’aboutisse pas, il est devenu un président qui renonce à la promesse républicaine. Un président qui de plus n’assume pas (malgré ses déclarations d’autosatisfaction lors de ses vœux du 31 décembre), jurant que la loi « ne doit rien au RN », et qui se défausse. Parmi les mesures les plus dangereuses de ce texte, certaines, comme celles instituant une dose de préférence nationale ou la déchéance de nationalité, pourraient être censurées, comme il l’a lui-même prédit. Un pari cynique et dangereux finalement approuvé par le Parlement.
Les frontières de l’extrême droite sont ouvertes
Ils sont rares, les parlementaires du camp présidentiel s’étant souvenus de la devise de la République et de leurs valeurs au moment de voter pour une loi instaurant la préférence nationale et rognant massivement les droits des étrangers. 189 députés macronistes sur 248 ont adopté un texte largement inspiré par l’extrême droite. Parfois (souvent ?) au mépris de leurs convictions : « J’ai pensé voter contre (…). Au final j’ai voté ce texte par solidarité avec un gouvernement et un président en difficulté », a avoué Benoît Bordat (Renaissance). Conclusion : pour les plus de trois ans de quinquennat à venir, tous les renoncements idéologiques semblent désormais possibles. Pour gouverner, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne sont prêts à dire amen aux LR radicalisés. Ce pourrait être le cas à nouveau dès janvier avec une réforme de l’aide médicale d’État (AME) qui promet d’être aussi incohérente du point de vue de la santé publique qu’inhumaine. Et ensuite ? Même en cas de remaniement – comme d’insistantes rumeurs le laisse entendre après l’annonce du report du premier Conseil de ministre de l’année au 10 janvier -, le bouclier républicain qu’était censé représenter le courant macroniste ayant totalement disparu, plus grand-chose ne protège Marianne. « Le texte ne trahit pas nos valeurs », a assuré Emmanuel Macron sur France 5 le 20 décembre. De quelles valeurs le président parle-t-il ?
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Les 88 députés RN ont reconnu les leurs dans cette loi. Hilares dans l’hémicycle, en ce sinistre mardi 19 décembre, ils applaudissent à tout rompre l’évocation, par les parlementaires de gauche, de chacune de leurs propositions historiques incluses dans le projet de loi immigration. Une « victoire idéologique », clament-ils en chœur. Cette loi a illustré à quel point le parti de Marine Le Pen était devenu le centre de gravité, en termes d’idées, de la droite française. « Le Rassemblement national a imposé le terrain de la bataille, commente le politologue au CNRS Bruno Cautrès. Il est difficile de dire si cela renforce beaucoup Marine Le Pen pour 2027, en tout cas ça ne l’affaiblit pas. » Et si elle finit par gagner, nous nous souviendrons de cette date comme d’une étape vers le désastre. À moins que la rupture grave que constitue cette loi ait aussi pour conséquence de rassembler les humanistes, électeurs comme responsables politiques. À gauche, dès le vote de la loi immigration, chaque parti a plaidé pour un rapprochement, après des mois de disputes.
Préférence nationale : la xénophobie faite loi
Les socles de la République, de la Déclaration universelle des droits de l’homme à la Constitution, en passant par le préambule de celle de 1946 stipulant que « Tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés », sont piétinés par cette loi. L’exemple le plus saillant étant l’instauration d’une forme de préférence nationale. Si cette loi s’applique, un « délai de carence » de cinq ans, réduit à trente mois (trois mois concernant les APL) pour les travailleurs, sera imposé aux étrangers avant qu’ils aient droit aux aides sociales (allocations familiales, allocation personnalisée d’autonomie, droit au logement opposable, APL) jusqu’alors universelles.
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Serait instaurée aussi l’exclusion des sans-papiers des dispositifs d’hébergement d’urgence, ce qui en pousserait des centaines dans la rue. Dans une note publiée quelques heures avant le vote, la Défenseure des droits a alerté « sur un texte qui heurte de plein fouet les principes de notre République », prenant en exemple cette priorité nationale aux « effets redoutables de précarisation des personnes présentes sur notre territoire, au détriment de la cohésion sociale ». Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme, souligne que « conditionner le versement d’allocations familiales est une violation des droits de l’enfant : tout enfant doit se voir garantir les moyens de subvenir à ses besoins quelle que soit sa nationalité ».
Antoine Math, de l’Institut de recherches économiques et sociales, rappelle que « penser que les étrangers quitteront le territoire parce qu’ils n’ont plus ces prestations ne correspond à aucune réalité ». Cela ne fera pas non plus augmenter les aides pour les Français. Alors pourquoi, si ce n’est pour instaurer de pures punitions, gratuites, contre les étrangers. Une définition de la xénophobie.
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Une dizaine de mesures contraires à l’idéal républicain
Parmi la liste des mesures dangereuses et antirépublicaines de ce texte peuvent s’ajouter la caution financière imposée aux étudiants étrangers, le délit de séjour irrégulier, la réduction des conditions du regroupement familial, la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour homicide sur un gendarme ou un policier, la restriction du droit du sol… « Des mesures qui contreviennent aux droits de l’homme », rappelle Marie-Christine Vergiat, et marquent surtout un tournant important dans l’histoire du pays des Lumières.
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Il en est ainsi du droit du sol, qui ne sera plus automatique pour acquérir la nationalité française, la loi exigeant qu’une demande soit faite à partir de 16 ans pour l’obtenir à 18. Pas si choquant en apparence, mais cet article ouvre une brèche et sa portée symbolique est grande. « Le droit du sol tel qu’institué en 1889 n’a même pas été changé sous Vichy. Il fait partie des principes de la République », insiste Patrick Weil, spécialiste des droits des immigrés. Jacques Chirac y avait renoncé. Emmanuel Macron l’a fait.