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Les retraités, ces artisans indispensables du lien social

SOLIDARITÉ Le gouvernement veut faire travailler les Français deux années de plus. Une mesure de régression sociale pour les actifs d’aujourd’hui, qui aura en plus des effets délétères sur l’ensemble de la société, en termes de liens intergénérationnels et d’entraide.

Publié le
Vendredi 13 Janvier 2023
Getty Images / Xi Xing Xin
 

«Comment ferait- on sans eux? » Cette réflexion, c’est celle de parents qui partent sereinement travailler en déposant leurs enfants chez les grands-parents ; ou celle de ces personnes âgées, dépendantes ou isolées, qui bénéficient des visites régulières de leurs proches, libérés des contraintes du monde du travail. Vingt-trois millions d’heures de garde hebdomadaire sont assurées par les grands-parents pour leurs petits-enfants, soit l’équivalent de 650 000 emplois à temps plein, selon une étude de Silver Valley, réseau spécialisé dans l’économie des personnes âgées. La moitié des aidants familiaux auraient aussi plus de 60 ans. La crise sanitaire a mis en lumière le rôle essentiel de cette tranche d’âge au sein des associations de solidarité. Ainsi, nombre de distributions alimentaires ont dû fermer, au plus mauvais moment, faute de bénévoles (réputés fragiles et donc confinés) pour distribuer les colis…

Pas moins de 42 % des 55-65 ans, nouveaux retraités ou sans emploi, œuvrent dans au moins une association, contre 30 % des actifs et des étudiants. Essentiels aussi pour la démocratie, les retraités représentent plus de la moitié des maires de France et 30 % des nouveaux édiles. Si on recule l’âge de cessation d’activité professionnelle, « on va se retrouver avec des gens moins disponibles pour tout, et ça pourrait avoir un effet sur la vie politique locale », alertait récemment Loïc Trabut, chercheur à l’Institut national d’études démographiques, sur France info. Nombre d’activités non marchandes, pourtant indispensables au fonctionnement de la société, pourraient être lourdement impactées par le projet de réforme des retraites.

N’oublions pas que l’espérance de vie en bonne santé des ouvriers reste inférieure de dix ans à celle des cadres. Par ailleurs, c’est dans les premières années que l’on profite pleinement de sa retraite avec sa famille, pour soi, bien sûr, mais aussi en effectuant des activités d’utilité publique. Le gouvernement veut faire travailler les Français deux années de plus: les classes populaires pourraient se voir amputées sérieusement de cette « seconde vie ». Témoignages de ces retraités si utiles à la collectivité.

« Je suis passé d’exécutant à directeur de camping »

DENIS CAMPHIN62 ans, Lille

Ancien technicien d’intervention à EDF, Denis Camphin a commencé à travailler avant 18 ans. Il a ainsi pu partir à la retraite à 55 ans, voilà maintenant huit ans. « On travaillait le plus souvent à l’extérieur, à genoux ou dans des positions délicates, pour effectuer les branchements et j’ai trimballé chaque jour pendant plus de trente ans une sacoche à outils de plus de 10 kilos sur l’épaule. Aujourd’hui, j’ai des problèmes aux articulations et une épaule très endommagée: mon médecin a tout de suite fait le lien avec mon ancien métier… »

Malgré les séquelles de la pénibilité de son travail, Denis est aujourd’hui loin d’être inactif. Déjà investi dans les activités sociales d’EDF quand il était encore salarié, il s’y consacre encore plus assidûment depuis qu’il est à la retraite. Désormais, il assure bénévolement, chaque année, l’encadrement dans des centres ou des colonies de vacances du comité d’entreprise, lors de la période estivale. De la Côte d’Azur à la baie de Somme en passant par l’Auvergne ou les Alpes, Denis connaît la France comme sa poche! « Où que ce soit, il s’agit ni plus ni moins que d’être directeur de camping ou d’une résidence, avec toutes les responsabilités que cela comporte: gestion du personnel, organisation, économat, affectation des vacanciers, supervision des animations culturelles et sportives… »

Des tâches d’encadrement que Denis n’avait jamais eu à effectuer dans son activité professionnelle, mais auxquelles il est désormais rompu, au point de donner des formations à ses ex- collègues qui veulent, eux aussi, prendre le relais. « Ça s’appelle tout simplement l’éducation populaire », revendique ce père de 7 enfants, 16 fois grand-père et déjà deux fois arrière-grand-père. Certes, le montant de sa retraite est modeste, mais les rencontres faites grâce aux activités sociales de son entreprise lui donnent « l’impression d’avoir 1 000 vies et c’est une richesse inestimable ».

Et comme la solidarité et le partage se vivent en toutes saisons, l’homme s’est trouvé d’autres activités, hors temps de vacances. Bénévole dans une épicerie solidaire, il s’apprête à prendre la présidence d’une amicale de donneurs de sang. Sans oublier sa participation au réseau solidaire du comité d’entreprise d’EDF: « On va voir les anciens agents de notre région, on discute avec eux, on identifie leurs besoins et, parfois, on les aide même à renouer des liens avec des ex- collègues de leur génération qu’ils avaient perdus de vue. » 

« Des compétences extrêmement utiles à toute la société »

JEAN-YVES FLAUX

 73 ans. Ancien instituteur reconverti en commissaire enquêteur.

S’il avait dû travailler jusqu’à 64 ans? Il ne l’imagine pas un instant. Toute sa carrière professionnelle, Jean-Yves Flaux, 73 ans, a œuvré comme instituteur spécialisé auprès d’enfants en difficulté, en Normandie. Un travail prenant qui nécessite une énergie sans faille. « J’aurais eu le sentiment de passer à côté d’une étape importante de ma vie », assure celui qui a pu bénéficier d’une retraite à 55 ans. « Et oui, ça a existé! » sourit-il. Avec sa femme, Aline, 66 ans, ils ont pris le temps de profiter de leurs cinq enfants et six petits-enfants. Surtout, la vie active ne s’est jamais arrêtée.

L’ancien maire d’Anceaumeville (Seine-Maritime), un village de 700 âmes, s’est reconverti en commissaire enquêteur durant une dizaine d’années. « J’ai toujours été passionné par l’urbanisme », dit-il. Il vit cette nouvelle expérience, tout en étant actif dans une association, « comme la plupart des retraités ». Lorsque Aline le rejoint à la retraite, huit ans plus tard, « une vie de couple plus riche s’est ouverte à nous ». Aline s’est découvert une passion pour le jardinage. Le couple retape une maison en ruine dans les Alpes durant des années, dont bénéficie aujourd’hui toute la famille. Et parce que l’étincelle ne s’éteint jamais, Jean-Yves Flaux a reproposé ses services en tant qu’urbaniste, il y a trois ans, à la commune alpine, une petite station confrontée à la pression foncière et au réchauffement climatique.

« J’ai travaillé à un plan de développement du village pour les années à venir », explique- t-il. Quand on montre du doigt sa génération, qualifiée de privilégiée, il hausse les épaules. « Il serait intéressant de mesurer le volume d’activités des retraités, rétorque-t-il. Entre la garde des petits-enfants, le bénévolat dans les associations… Quand on a cumulé des expériences, des compétences et lorsqu’on a la liberté de son temps, c’est extraordinaire de faire valoir toutes ces connaissances. C’est valorisant pour soi et extrêmement utile à toute la société. »

« Mes engagements associatifs m’ont ouvert de nouveaux horizons »

MARIE-FRANCE GEORGES

 69 ans, Paris

Grande voyageuse durant sa vie professionnelle, cette ancienne cheffe d’entreprise de 69 ans s’est passionnée pour les cultures chinoise, russe, du monde arabe et du Moyen-Orient, où elle a souvent séjourné « avant que la mondialisation n’uniformise les modes vie et de consommation ». En 2015, alors que la guerre chasse les Syriens de leur pays, elle fait régulièrement des allers-retours à l’aéroport pour accueillir celles et ceux qui arrivent à Paris, les emmène voir la tour Eiffel, leur offre l’hospitalité le temps qu’ils accèdent à un hébergement et les accompagne dans leurs démarches de demande d’asile…

C’est ainsi qu’elle découvre la Cimade où, cédant progressivement les rênes de son entreprise de textile, elle s’engage en tant que bénévole. Elle effectue des actions de sensibilisation contre les idées reçues sur les exilés et assure aussi l’accueil lors de permanences juridiques destinées à aider les personnes à se repérer dans les méandres du droit français en matière d’immigration. Pour Marie-France, cette activité est « une fenêtre ouverte sur le monde ». Issue d’un père allemand et d’une mère arménienne, elle a parfaitement conscience du racisme que les gens venus d’ailleurs doivent endurer.

Mais elle refuse pour autant d’adopter une attitude compassionnelle vis-à-vis de ceux qui franchissent la porte de la Cimade. « Parfois, je connais bien leur pays d’origine, donc je trouve facilement comment lier la conversation avec eux… En les orientant, j’ai l’impression de rendre un peu de l’hospitalité qui m’a été offerte partout où je suis allée. » Cerise sur le gâteau, Marie-France s’est fait une sacrée bande de copines, bénévoles comme elle à la Cimade, et adeptes du « militantisme joyeux ». Par ailleurs, l’infatigable sexagénaire œuvre aussi dans une association qui favorise l’accès à l’emploi des personnes en difficulté en leur apprenant comment se présenter, écrire un CV, et même en leur fournissant des tenues grâce à un vestiaire solidaire.

Des engagements multiples qui lui permettent de rester en prise avec les réalités actuelles de la société et aussi d’évoluer. « Je ne voulais pas devenir une retraitée sclérosée, repliée uniquement sur ce que j’aimais et pensais quand j’étais jeune. Mes engagements associatifs m’ont ouvert de nouveaux horizons et ont fait de moi une citoyenne », constate Marie-France, qui avoue même: « Maintenant, il me serait impensable de ne pas aller voter alors que j’ai souvent omis de le faire durant ma vie professionnelle. »

« Mes petits-enfants adorent que je leur raconte comment était la vie quand j’avais leur âge »

FRANÇOISE GAUDRON

 65 ans, Orléans

Ancienne assistante sociale, qui a terminé sa carrière en tant que cadre en charge des aides au logement dans une caisse d’allocations familiales, Françoise, 65 ans, est à la retraite depuis deux ans. « J’aurais voulu partir avant, mais la décote était telle que, vivant seule, je ne pouvais pas me le permettre. Les deux dernières années ont été particulièrement difficiles, notamment à cause de la réforme mal ficelée des APL et la dématérialisation à marche forcée qui m’obligeaient à faire un travail qui n’était plus en adéquation avec mes valeurs », affirme celle qui a cessé son activité en avril 2020, à la veille du premier confinement.

Très proche de ses cinq petits-enfants aujourd’hui âgés de 6 à 13 ans, cette grand-mère se réjouissait d’avoir plus de temps pour s’occuper d’eux. Elle ne savait pas à quel point: « Dès que les écoles ont été fermées, mes deux petites-filles de 4 et 5 ans sont venues vivre chez moi. Leur père, pompier de Paris, et leur mère, technicienne de laboratoire, étaient tous deux réquisitionnés, l’un pour transporter des malades du Covid et l’autre pour faire des tests à tour de bras. » Ensuite, ce sont deux de leurs cousins qui sont arrivés. Alors que toute sortie était proscrite, Françoise a déployé des trésors d’inventivité pour les rassurer et les distraire durant cette période difficile. « On faisait des jeux, la cuisine et, surtout, ils et elles adoraient quand je leur racontais comment était la vie quand j’avais leur âge… »

Aux plus grands, elle transmet aussi la mémoire familiale, de sa mère communiste et de son père militant CGT et engagé dans les FFI durant la Seconde Guerre mondiale. « Ainsi, ils développent un rapport plus direct et incarné à l’histoire qu’ils étudient à l’école », explique la dynamique sexagénaire, qui a désormais la charge de ses petits-enfants à chaque période de vacances scolaires. Même si « c’est un sacré budget, surtout avec l’inflation galopante », et que « quand les petits sont là c’est du 24 heures sur 24 », Françoise parvient tout de même à trouver le temps de faire de la gym et a même rejoint l’association les Compagnons bâtisseurs, qui aide les habitants des quartiers populaires à effectuer des travaux de rénovation dans leur habitation. L’occasion de « mettre à profit les compétences en matière de logement acquises durant (sa) vie professionnelle ».

Tag(s) : #luttes citoyennes, #Luttes sociales
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