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Il y a cent ans, le 11 Novembre
Publié le
Vendredi 11 Novembre 2022
Nicolas Offenstadt
Nicolas Offenstadt
© Albert Facelly
 

Je songeais à bien d’autres choses en me promenant en cette fin octobre dans les rues de Manchester. Et puis, en les voyant, tout me revint de ces mémoires de la Grande Guerre : les fameux « poppies », ces coquelicots rouges artificiels, de la tradition du souvenir britannique de 14-18, qui rappellent les terribles champs des Flandres. On les voit partout, ou presque, à l’approche du 11 novembre, jour marquant du calendrier britannique où s’observent deux minutes de silence. Ils s’affichent sur les institutions publiques et beaucoup les portent à la boutonnière. On peut en trouver dans les boutiques locales, même au supermarché. Comme en France, mais avec des spécificités, la Grande Guerre a bouleversé la société britannique, qui en conserve une dense mémoire, renouvelée par la célébration du centenaire.

Mais ce 11 novembre 2022 est aussi pour la France celui d’un centenaire. En effet, il a fallu attendre 1922 pour que le jour de l’armistice devienne un jour férié et chômé. Ce sont les anciens combattants qui l’ont ainsi imposé. En effet, le gouvernement aurait souhaité qu’il soit célébré le dimanche suivant, pour des raisons économiques. Et c’est sous la pression de ces hommes, tout juste revenus du front, que la loi d’octobre 1922, il y a cent ans donc, a rendu le 11 novembre férié. C’est que la « mémoire » n’est pas une lisse unanimité, pas plus celle de la Grande Guerre que les autres. Elle est discours et combats, elle s’inscrit dans des luttes sociales et politiques. Ceux de l’immédiat après-guerre ont donc permis qu’existe un 11 Novembre du souvenir combattant qui soit un jour férié.

Mais depuis une loi de 2012, ce souvenir se dissout pourtant. Pour le 11 Novembre précédent, la présidence de la République, au temps de Sarkozy et de l’histoire bling-bling, avait annoncé en effet que la cérémonie serait « consacrée au souvenir de tous les soldats morts au combat, sur le territoire national ou hors du sol de France, dans l’accomplissement de leur devoir, et non plus à la seule commémoration de l’armistice de 1918 ». Cette volonté de confondre les guerres est évidemment un enjeu politique très présent, c’est la fortification d’un grand récit héroïque.

Qu’est-ce que ce 11 Novembre qui, jusque-là, commémorait d’abord la fin de la Grande Guerre ? C’est assurément, pour une part, une fête de la victoire des alliés, et de la France en particulier. Mais c’est aussi, dès le début des années 1920, et pour les anciens combattants en particulier, un jour de deuil, pour ancrer le souvenir de leurs camarades tombés au combat, loin du militarisme.

Depuis quelques décennies, pour de multiples raisons (souci de « rationalisation » des politiques mémorielles, de limitation des jours fériés, etc.), plusieurs propositions de fusionner les célébrations ont émergé. Avec cette marche vers un « Memorial Day » à la française, un jour qui commémore tous les morts des guerres, comme aux États-Unis, c’est à la fois l’histoire et la mémoire qui s’abîment. L’histoire parce que la Grande Guerre est une expérience unique de mobilisation de l’ensemble d’une société dans un temps de conscription généralisée. Il y a là peu à voir avec des guerres coloniales, dont certaines n’ont concerné qu’une armée de métier dans un tout autre contexte, et peu à voir aussi avec les opérations extérieures d’aujourd’hui qui relèvent d’une armée de professionnels. Cette fusion des temps permet en fait de tenir un discours sur les guerres présentes. Tout mélanger, c’est aussi empêcher que les célébrations soient l’occasion de spécifier ce que fut la « Grande Guerre », qui ne fut certes pas la « der des ders ». L’histoire n’a rien à y gagner. Les mémoires non plus, car le 11 Novembre est un moment où les mémoires sociales de la Première Guerre mondiale trouvent un large espace de déploiement. Pour la fidélité aux combattants de 14, pour l’histoire, pour les mémoires, il faut donc sauver, malgré la loi, le 11 Novembre comme un temps spécifique pour la Grande Guerre.

Tag(s) : #Paix
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