Les enjeux du scrutin du 12 juin sont clairs. Et doublement démocratiques. Il faut voter parce qu’une participation importante irait déjà à l’encontre de la stratégie présidentielle. Et il faut voter pour cette union de la gauche qui ramène les débats là où on fait les lois, c’est-à-dire entre les murs de l’Assemblée.

 

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Un président de la République qui fait campagne pour l’abstention, est-ce possible ? En le disant ainsi, on risque de provoquer des cris d’orfraie. C’est pourtant ce à quoi on assiste depuis la réélection d’Emmanuel Macron le 24 avril. Le chef de l’État a surtout montré, dans cette campagne législative, un art consommé de l’escamotage démocratique. Il a semblé avoir fait sienne la devise « moins j’en dis et mieux je me porte ». On a sans doute estimé à l’Élysée que l’annonce intempestive de la relance de la réforme des retraites, c’était déjà trop. Et sur ce sujet qui cristallise le débat gauche-droite, président et ministres se sont donc surtout employés à brouiller les pistes. Si bien que personne ne sait plus très bien à quoi servira ladite réforme dont les expertises confirment qu’elle n’est pas nécessaire. Dans un entretien à la presse régionale, le 3 juin, Emmanuel Macron a affirmé qu’il s’agira de « financer nos transformations ». On ne saurait être plus imprécis. À part ça rien, sinon des objectifs définis à la serpe : l’indépendance, le plein-emploi, la neutralité carbone, l’égalité des chances, et « la » réforme institutionnelle… À ce niveau de généralité, qui pourrait aller contre ? Sauf à laisser parler une incrédulité instruite de l’expérience. Puis, des propos lénifiants sur le changement de méthode. Exit « Jupiter », qui décide tout depuis son Olympe, voici Héphaïstos, le dieu du feu et de la forge. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron s’est lui-même défini lors du premier conseil des ministres du nouveau gouvernement. Une divinité industrieuse qui travaillerait le pays comme on chaudronne les métaux. Voilà la France chauffée à blanc, prise entre le marteau et l’enclume… Il faut parfois se méfier des slogans.

Emmanuel Macron n’a repris la parole que pour annoncer, dans l’entretien déjà cité, la future création d’un « Conseil national de la Refondation ». On aime le sigle « CNR » qui, bien sûr, évoque le Conseil national de la Résistance, mais on se méfie de ce nouveau machin « composé d’élus, de citoyens et de représentants des forces politiques économiques, sociales et associatives ». Le Président nous a déjà échaudés avec des « grands débats » qui ressemblent à ces commissions dont Clemenceau disait qu’elles sont parfaites pour noyer le poisson. Mais il y a plus grave. L’annonce de ce « CNR » à une semaine du premier tour des législatives délivre un message paradoxal à des électeurs déjà hésitants. Ce ne serait donc pas à l’Assemblée que les choses se décideraient… Après un long silence anesthésiant, voilà qui n’est pas fait pour encourager une participation déjà estimée faible, entre 45 et 47 %, selon les sondages. Si bien qu’il n’est pas exagéré de dire que le Président fait implicitement campagne pour une abstention qui devrait, à bas bruit, lui assurer une majorité. De quoi pouvoir ensuite agir à sa guise. Pour quoi faire ? « Les Français sont fatigués des réformes qui viennent d’en haut », a proclamé Jupiter en voie de repentance. À vrai dire, beaucoup de Français ne veulent plus de réformes du tout si l’on entend ce mot tel que le lexique néolibéral l’a dévoyé depuis maintenant quatre décennies.

Les enjeux du scrutin du 12 juin sont donc clairs. Et doublement démocratiques. Il faut voter parce qu’une participation importante (on n’ose pas dire « massive ») irait déjà à l’encontre de la stratégie présidentielle. Et il faut voter pour cette union de la gauche qui ramène les débats là où on fait les lois, c’est-à-dire entre les murs de l’Assemblée. Celle-ci peut être majoritaire en voix ; elle ne le sera sans doute pas en sièges au lendemain du second tour. La machine institutionnelle et ce qu’on appelle la prime aux sortants devraient l’en empêcher. Mais une forte opposition de gauche pourrait changer radicalement les termes du débat. Non seulement par son travail parlementaire, mais aussi par la relation directe que cette gauche protéiforme devrait entretenir avec la société en revivifiant la notion de mandat.

La Nupes vient confirmer ce que nous avons toujours écrit ici : anthropologiquement et socialement, la gauche n’a jamais disparu. Elle n’était qu’orpheline de ses représentations politiques. La « tambouille » mélenchonienne, qui a mis du temps à infuser, et que l’on appelle désormais « union », constitue, malgré les différends programmatiques, un formidable attracteur politique (1).

À lire > Nupes : Les ambitions d'un programme d'union

La campagne de la Nupes, à l’inverse de celle du nouveau consortium présidentiel renommé « Ensemble ! » (2), est intrinsèquement démocratique en ce qu’elle tente de mettre en mouvement la société. En s’efforçant de redonner vie à la démocratie parlementaire, et en portant un coup au régime présidentiel, elle montre le chemin d’une vraie réforme institutionnelle. « Mettre un peu de VIe République dans la Ve », résume Jean-Luc Mélenchon. Malgré le quinquennat qui superpose malencontreusement deux échéances électorales, il s’agit de démontrer que les législatives ne sont pas la simple duplication de la présidentielle. C’est à l’Assemblée que s’expriment la diversité de notre société et la conflictualité politique et sociale, pas à l’Élysée.

Enfin, un mot pour rire en guise de conclusion. La chute de Manuel Valls dans la circonscription des Français de la péninsule ibérique, battu dès le premier tour, pourrait n’être qu’une plaisante anecdote. Elle est tout de même un peu plus que cela, tant le personnage aura incarné jusqu’à la caricature les trahisons de la social-démocratie, et un zèle opportuniste sans limites. Tout ce que l’on aime.


(1) À propos de l’un des différends les plus potentiellement destructeurs pour la Nupes, il faut lire l’analyse de Pierre Khalfa et Jacques Rigaudiat sur la notion de « désobéissance aux traités européens ». Voir Le Monde du 2 juin.

(2) Cette dénomination usurpée fait l’objet d’une action en justice pour plagiat, Ensemble ! étant depuis 2013 le nom du Mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire dont Clémentine Autain et l’une des porte-parole.