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Lu sur http://anicetlepors.blog.lemonde.fr/

25 janvier 2017

LE STATUT GÉNÉRAL DES FONCTIONNAIRES – 70° anniversaire – Journée d’études de la CGT – Montreuil, 24 janvier 2017

 

4° Table ronde : code du travail et statut général des fonctionnaires,

quels enjeux communs ?

Discussion entre Philippe Martinez et Anicet Le Pors

Anicet Le Pors : Cette journée d’études organisée conjointement par l’Union générale des fédérations de fonctionnaires (UGFF-CGT), la Fédération des services publics (FSP-CGT) et la Fédération santé et action sociale (FSAS-CGT) revêt une particulière importance dans l’histoire de la fonction publique et du mouvement syndical des fonctionnaires. En cela la CGT est fidèle à une tradition fondée sur la légitimité de son attachement au statut général des fonctionnaires. Pour ma part, je me souviens d’avoir participé en 1976 à la commémoration du statut général des fonctionnaires de 1946 pour le 30° anniversaire, ainsi qu’à la célébration du 60e anniversaire du statut dans ce même patio, en 2006.

Je vois, aujourd’hui, trois raisons principales de marquer l’événement du 70e anniversaire du statut général.

En premier lieu, plus que jamais, dans une situation de crise sociale profonde, il convient d’éclairer le présent et l’avenir par l’histoire. L’histoire de la fonction publique en France est pluriséculaire ; mais la promulgation de la loi du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires revêt une signification particulière. Imprégné de l’esprit du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) le statut a constitué en effet une novation importante. Pendant tout le XIXe et la première moitié du XXe siècle avait prévalu la conception d’un fonctionnaire sujet d’une autorité administrative fondée sur un principe hiérarchique autoritaire. Les associations de fonctionnaires, puis leurs syndicats, dénonçaient alors la menace d’un statut carcan formulée par les gouvernements conservateurs.

Dans l’avènement du statut de 1946, il est conforme à la vérité historique de dire le rôle décisif joué par la CGT. Une commission syndicale consultative avait été constituée par le général de Gaulle pour contribuer à la reconquête de l’administration. Elle ne fut guère activée pour la préparation des réformes administratives prises par ordonnances du 9 octobre 1945. Pour préparer l’élaboration du statut, une commission syndicale était composée de 10 représentants de la CGT et de 2 représentants de la CFTC. Jusque-là, la revendication des fonctionnaires était celle d’un « contrat collectif » qu’ils opposaient à la menace du statut carcan. On doit donc souligner l’intelligence et le courage de ceux qui ont alors compris que l’on pouvait donner un contenu démocratique et progressiste à un statut législatif. On doit citer à ce sujet le nom de Jacques Prujà, dirigeant de la Fédération générale des fonctionnaires (FGF-CGT) qui joua un rôle décisif dans l’adoption par la Fédération, ancêtre de l’UGFF-CGT, de la revendication d’un statut général. Ce sont ces qualités qui sont rappelées et honorées lors des commémorations décennales telles que celles du 70e anniversaire du statut général de 1946. Le ministre de la fonction publique de l’époque, vice-président du Conseil, Maurice Thorez, peut alors déclarer que le fonctionnaire est désormais « considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative ». C’est-à-dire un citoyen à part entière.

Mais c’est aussi l’occasion de remarquer que nous sommes pour une bonne part confrontés aux mêmes questions de fond, tout comme nous l’étions dans les années 1980, lors de l’élaboration du statut actuellement en vigueur : choix de la conception du fonctionnaire citoyen, du système de la carrière, d’un juste équilibre entre unité et diversité des administrations, référence à des principes républicains ancrés dans l’histoire. Et à ce sujet je veux ouvrir une parenthèse pour dire que le statut de 1983-1984-1986 a été évidemment une œuvre collective. Tous les ministères ont été sollicités et ont pu donner leur avis. Les fonctionnaires de la direction générale de l’Administration et de la Fonction publique ont exercé pleinement leur compétence. Je veux aussi citer particulièrement les membres de mon cabinet pour le rôle qu’ils ont alors joué : René Bidouze, fonctionnaire des finances, directeur de mon cabinet et ancien dirigeant de l’UGFF ; Pierre Gaborit, professeur des Universités ; Joël Allain, administrateur de l’INSEE ; mais aussi évoquer un collaborateur proche comme Serge Salon, haut fonctionnaire des PTT, qui a élaboré et continue de mettre à jour le code Dalloz rouge sur la Fonction publique. Qu’il me soit aussi permis de saluer la présence dans notre assemblée de Jeanne Siwek-Pouydesseau, éminente chercheuse qui a consacré une partie importante de sa carrière professionnelle à la connaissance de la fonction publique et du mouvement syndical des fonctionnaires. J’ajoute que cette élaboration s’est faire dans le cadre d’une concertation sans précédent avec les organisations syndicales d’un champ administratif considérablement élargi, sans qu’il ait été utile d’évoquer le dialogue social.

 

En deuxième lieu, je pense qu’il faut se réjouir que cette journée d’études ait été établie avec la participation conjointe des organisations syndicales CGT des trois versants de la fonction publique : de l’État, territoriale et hospitalière. Car si le statut de 1946 peut être considéré comme fondateur de la conception française, moderne, de la fonction publique, celui défini en 1983 peut être qualifié de fédérateur puisqu’il regroupe 5,4 millions de fonctionnaires (en indiquant toutefois que l’on englobe dans ce chiffre 17 % de contractuels par commodité statistique) soit un cinquième de la population active du pays, exemple sans équivalent dans le monde. Comme beaucoup de présents à cette journée d’études, j’ai été formé sous l’idée que le fait précède toujours le droit. Je pense que si cette affirmation se trouve souvent vérifiée, la réalité est un peu plus complexe. Ainsi, en l’espèce, si l’unité de la fonction publique « a trois versants » a été fortement soulignée par l’architecture statutaire conçue en dans les années 1980, je ne suis pas sûr que la même unité se soit encore traduite au même niveau dans la réalité de 2017, soit 35 ans plus tard.

C’est pourquoi je pense que la réunion d’aujourd’hui est particulièrement utile à cet égard puisque c’est, à ma connaissance, la plus importante rencontre au niveau confédéral de la CGT des fédérations des trois versants. Il faut s’en réjouir car il y a de nombreuses questions majeures qui invitent à un échange et à une délibération communes permettant un enrichissement mutuel et une meilleure efficacité globale. Je n’ai pas de légitimité pour choisir ces thèmes, ce choix étant naturellement la responsabilité des organisations syndicales, mais je pense, par exemple, à l’approfondissement des principes évoqués au cours de la journée (égalité, indépendance, responsabilité), à la gestion prévisionnelle des effectifs, à la traduction juridique de mobilité présentée par le statut comme une « garantie fondamentale », aux effets de la numérisation, à l’égalité femmes-hommes, à l’organisation de multi-carrières, à la rationalisation des politiques publiques pour leur permettre de desserrer le carcan de l’annualité budgétaire, à la recherche de points d’appui internationaux des services publics, etc.

 

Enfin, en troisième lieu, la novation la plus importante de cette journée d’études est l’occasion qu’elle nous donne de réfléchir à la convergence nécessaire des démarches de tous les salariés, ceux du secteur public et ceux du secteur privé. S’il est entendu pour nous que la loi El Khomri est une loi de régression sociale, je lui reconnais cependant un mérite, celui d’avoir fait de la « hiérarchie des normes » une question de masse, accessible à tous les salariés, alors que la notion était essentiellement jusque-là une préoccupation des juristes. Cette question se pose aujourd’hui aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public et nationalisé. Dans le secteur public, le contrat n’a cessé de gagner du terrain au détriment de la loi « expression de la volonté générale ». Cette évolution concerne aussi bien la gestion administrative publique que la gestion des personnels. Dans le secteur privé le dur débat qui a eu lieu a prouvé qu’il s’agissait d’une démarche conduisant à une diminution des garanties contractuelles collectives, d’une précarisation des situations individuelles. Il y a donc bien une similitude d’évolutions dans les hiérarchies des normes respectives mais qui sont, ensemble, des références communes. Ce peut être la base d’une solidarité public-privé renouvelée.

Cette solidarité est aussi ancienne que l’histoire du salariat. Le privé a donné des références émancipatrices au public (droit de grève, droit syndical, conditions de travail). Le public en a également apporté au privé (garanties d’emploi, systèmes de protection sociale et de retraite, définition du « minimum vital »). Mais si le fonctionnaire est dans une position statutaire et réglementaire, c’est-à-dire protégé par la loi, le salarié du secteur privé ne bénéficie que d’une manière insuffisante de la sécurisation des parcours personnels. C’est à juste titre qu’est évoqué à leur sujet « un nouveau statut du travail salarié » de nature à, par un renforcement de la base législative de la condition salariale et l’élévation des garanties contractuelles dans la hiérarchie des normes, à créer le conditions d’une véritable « sécurité sociale professionnelle ». Il s’agit donc d’améliorer les conditions de vie et de travail de tous les salariés, dans le respect de la spécificité du service public et du fonctionnaire serviteur de l’intérêt général. Pour contester efficacement l’accusation infondée de « privilégiature » des fonctionnaires, La priorité me semble être, dans la situation actuelle, la promotion d’un « statut législatif des travailleurs salariés du secteur privé », ce qui implique la nécessité d’un nouveau code du travail moderne.

Je pense que la conjoncture actuelle qui, à maints des égards, est chargée d’incertitudes, peut en réalité être particulièrement favorable, à la lumière de l’histoire rappelée, au renforcement de l’action commune des trois versants de la fonction publique, en même temps qu’à la convergence des actions des fonctionnaires, des salariés du secteur nationalisé et des salariés du secteur privé. Il convient aussi d’envisager autrement l’avenue. Le libéralisme voudrait nous convaincre qu’il est un horizon indépassable, que ce serait la fin de l’histoire, que tout devrait être circonscrit à ici et maintenant, que le manager serait la figure achevée du citoyen. Il n’en est rien. Notre monde voit se développer des interdépendances, des interconnections, des coopérations, des solidarités qui se condensent en une idée dans notre pays : le service public. Le XXI e siècle promet d’être ainsi l’ « âge d’or » du service public, ce qui fait des fonctionnaires les acteurs de premier rand de la transformation sociale. La CGT, en raison de sa contribution à l’histoire de la fonction publique et des fonctionnaires, à son action présente dans un contexte difficile, a ainsi vocation à être porteuse de cette vision optimiste de l’avenir.

Tag(s) : #Fonction publique
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