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Lu sur Soirée-débat à la Sorbonne sur les conséquences environnementales des guerres et des armes nucléaires - L'Humanité

Soirée-débat à la Sorbonne sur les conséquences environnementales des guerres et des armes nucléaires

Le 19 mai, à la Sorbonne, s’est tenu un important débat, en présence d’un public nombreux, co-organisé par le Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE) et le Mouvement de la Paix, visant à alerter sur les conséquences environnementales dramatiques des guerres et des armes nucléaires. Des spécialistes et militants sont intervenus pour avancer des éléments précis et avertir l’opinion publique, désormais sensible aux questions environnementales, sur les méfaits terribles des guerres sur l’état de la planète. Dans son introduction, Christian Pellicani, président du MNLE, a rappelé l’action militante de longue haleine que réalise cette association, née il y a plus de 40 ans, pour alerter l’opinion et mener des batailles juridiques en vue de la préservation de l’environnement. 

 le 23 juin 2025

Chloé Maurel

docteure en histoire  

Depuis la Seconde Guerre mondiale, les conflits armés et les expérimentations nucléaires ont eu des effets dévastateurs sur l’environnement mondial. Outre les pertes humaines, les écosystèmes ont été ravagés, les sols contaminés, les eaux polluées, et les espèces locales menacées ou exterminées. Les avancées technologiques en armement ont multiplié l’ampleur et la persistance des dégâts écologiques, souvent irréversibles à l’échelle humaine. 

Pendant la Guerre du Vietnam (1955-1975), l’armée américaine a utilisé la guerre chimique comme stratégie militaire, notamment avec le napalm (un gel incendiaire à base de benzène) et surtout l’agent orange, un défoliant contenant de la dioxine, un perturbateur endocrinien et cancérigène. Environ 80 millions de litres de défoliants ont été déversés sur le sud du Vietnam, affectant plus de 3 millions d’hectares de forêts et de cultures. La dioxine a contaminé les sols et les rivières. Encore aujourd’hui, certaines régions présentent des taux 100 fois supérieurs aux normes sanitaires. Selon la Croix-Rouge vietnamienne, plus de 3 millions de personnes ont été exposées et 150 000 enfants sont nés avec des malformations. 

Mais plus proches de nous encore, les conflits récents ont été tout aussi dévastateurs pour l’environnement : les Etats-Unis, encore eux, ont incendié plus de 600 puits de pétrole au Koweït lors de la première Guerre du Golfe (1991) ; les feux ont duré plusieurs mois, libérant d’énormes quantités de CO₂, de soufre et de suie dans l’atmosphère. Des “pluies noires” se sont déversées sur le pays, contaminant les sols et les nappes phréatiques. En mer, le déversement intentionnel de 8 millions de barils de pétrole a provoqué la plus grande marée noire de l’histoire à l’époque. Puis, les Etats-Unis à nouveau, dans leurs interventions en Irak à partir de 2003, ont utilisé des bombes à uranium appauvri, laissant des traces radioactives dans les sols. À Falloujah, les taux de cancers et de malformations congénitales ont explosé après l’utilisation d’armes non conventionnelles. 

La période actuelle est encore plus préoccupante : en Ukraine depuis 2022, la guerre menée par la Russie expose plusieurs installations nucléaires à des risques majeurs, notamment la centrale de Zaporijia. Des incendies de dépôts pétroliers et d’infrastructures industrielles entraînent la libération de toxines dans les écosystèmes. 

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, le pays a subi des destructions massives de son environnement naturel. Ces impacts ont des répercussions à la fois locales et mondiales, affectant la biodiversité, les ressources en eau, les sols, l’air et le climat. En Ukraine, plus de 3 millions d’hectares de forêts ont été touchés par des incendies, des bombardements et des activités militaires. En 2024, 92 100 hectares y ont brûlé. Ces incendies ont émis 25,8 millions de tonnes de CO₂, soit une augmentation de 118 % par rapport à la moyenne annuelle d’avant-guerre.  

 

Aujourd’hui hélas, après trois ans de guerre, plus de 30 % du territoire ukrainien est contaminé par des mines et des munitions non explosées, et des produits chimiques tels que des huiles de machines, des métaux lourds, des pesticides et des engrais ont été libérés dans l’environnement. Environ 30 % des aires protégées de l’Ukraine ont été endommagées, affectant des écosystèmes uniques tels que les steppes et les zones humides. En outre, la destruction du barrage de Nova Kakhovka a privé plus de 500 000 hectares de terres agricoles de leur irrigation, menaçant la production alimentaire. Et la baisse du niveau d’eau a compromis le refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, augmentant le risque d’accident nucléaire.  

Enfin, la guerre à Gaza, menée avec une cruauté inhumaine par le gouvernement d’Israël depuis le 7 octobre 2023, a provoqué la destruction des cinq stations de traitement des eaux usées de l’enclave, entraînant le rejet quotidien de 130 000 m³ d’eaux usées non traitées dans la mer Méditerranée, contaminant les plages, les sols et les nappes phréatiques avec des agents pathogènes, des microplastiques et des produits chimiques dangereux. Et 5 des 6 installations de gestion des déchets solides ont été endommagées, provoquant l’accumulation de 1 200 tonnes de déchets par jour autour des camps et des abris. La destruction des infrastructures hydrauliques a entraîné une contamination des sources d’eau potable, L’utilisation de munitions contenant des métaux lourds et des produits chimiques explosifs a contaminé les sols et les nappes phréatiques. Et entre le 7 octobre 2023 et janvier 2025, 80 % de la couverture forestière de Gaza a été perdue ou endommagée. L’air aussi a été très pollué, notamment par les bombardements et par des poussières de débris. 

Face à ces catastrophes provoquées par l’homme, les militants pacifistes agissent et sensibilisent l’opinion publique et les décideurs politiques, aujourd’hui aveuglés par une surenchère guerrière, aux conséquences dramatiques des guerres pour l’environnement. Le terme « écocide », qui a été introduit dans les années 1970 pour décrire les destructions environnementales massives, gagne du terrain. Des pays, au nombre desquels la France et l’Ukraine ont déjà intégré l’écocide dans leur législation nationale. Le Parlement européen a adopté en 2024 une législation criminalisant les actes environnementaux graves. Il est urgent de poursuivre la sensibilisation des peuples et des citoyens afin de faire advenir un mouvement d’opinion massif pour dire STOP aux guerres !  

Edith Boulanger

Mouvement de la Paix, rédactrice en chef de Planète Paix 

« Les guerres tuent pendant quelques jours ou quelques années et polluent pendant des siècles » (Association « Robin des Bois »). Deux fléaux menacent l’humanité : les armes nucléaires et le dérèglement climatique. Mais on parle peu des conséquences, à court et long terme, des armées, en guerre ou non, sur l’environnement et sur le dérèglement climatique. Comme sur leur impact physique, social, politique et psychique sur les populations. C’est un cercle vicieux : les armées dérèglent le climat et génèrent en retour une augmentation des inégalités qui touchent les plus vulnérables, ce qui crée de nouveaux conflits ou exacerbent les conflits en cours. Etc… 

L’intensité des catastrophes climatiques augmente et cela est dû aux activités humaines, dont les guerres font partie. Au côté des quatre grands secteurs émetteurs de Gaz à Effet de Serre – GES – le secteur militaire n’est jamais évoqué. Si les armées étaient un état, elles seraient le 4ème état le plus émetteur de GES (environ 20% des émissions mondiales).  

Ce silence rend difficile de prendre en compte les dégâts, sur terre, mer et atmosphère, occasionnés par tout conflit armé !  

On ne montre pas assez la violence qualifiée de lente après la violence immédiate, très spectaculaire : agent orange déversé au Vietnam aux conséquences désastreuses sur l’environnement et l’aspect sanitaire et social plus de cinquante plus tard, milliers d’hectares de forêt endommagés en Ukraine, bébés naissant malformés encore au Vietnam et à Gaza actuellement… 

L’environnement n’est pas qu’une victime des conflits, c’est aussi une arme : chantage autour de la centrale nucléaire de Zaporijia, instrumentalisation de l’eau, plantation d’opiacés plus rentable pour acheter des armes, etc. 

Les pays en guerre sont parmi les plus touchés par des changements climatiques : 12 pays sur les 20 les plus touchés par les conflits font partie des pays les plus vulnérables au changement climatique. De même, il y a une relation entre les pays les plus émetteurs de GES et les pays les plus dépensiers en dépenses militaires. Les armées sont aussi productrices de déchets, y compris nucléaires, productrices de produits toxiques et grandes consommatrices de minerais certes utiles à la transition énergétique mais aussi aux besoins des armées. Les ressources naturelles sont en cause dans 40% des conflits recensés ces 60 dernières années. Les reconstructions sont très énergivores. Un satellite photographie chaque jour, pour l’UNESCO, les sites de Gaza bombardés.  

Pourtant en mars 2025, 53 % des Français pensent que les investissements dans la Défense sont compatibles avec les critères ESG (Environnement, Social et Gouvernance).  

L’augmentation des dépenses des armées se fait au détriment des autres budgets publics. En 2024, dans le monde, + 9,4 % sur 2023, soit 2718 Md$. En France, +6,1%. Cet argent manque pour le respect des accords des différentes COP contre le dérèglement climatique. 

En tant que Mouvement de la Paix, nous devons souligner les liens entre Paix et climat, promouvoir la Culture de la Paix. 

Abraham Béhar

président de l’association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN) 

Depuis le début des hostilités entre la Russie et l’Ukraine en 2014, mais surtout à la suite de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine le 24 février 2022, ce conflit a fait des milliers de victimes, provoqué l’exil de 6,6 millions de réfugiés ainsi qu’un choc économique majeur, et n’a pas épargné l’environnement (20 millions de tonnes de déchets métalliques, 1 500 000 tonnes de débris et de gravats, la pollution chimique généralisée ainsi que les explosions ont rendu stériles des millions d’hectares de terres agricoles du grenier à blé de l’Europe. Le 4 novembre 2024, les dommages environnementaux s’élevaient, d’après le ministère de l’Environnement ukrainien (Eco Zagroza), à 94 milliards d’euros. 

Les déchets métalliques sont très toxiques pour l’homme, notamment le cadmium. Une exposition prolongée au cadmium chez l’homme peut induire une atteinte rénale, une fragilité osseuse, des effets sur l’appareil respiratoire, des troubles de la reproduction ainsi qu’un risque accru de cancer, en particulier du poumon. Il est aussi suspecté d’entraîner des effets sur le foie, le sang et le système immunitaire. 

Par ailleurs, l’exposition aux composés du nickel est associée à une augmentation du risque de cancer du poumon et de la cavité nasale et à des fibroses du poumon. Le nickel et ses composés sont considérés comme un cancérogène à seuil. 

Le plomb est également très toxique. L’augmentation de la plombémie est aussi associée à une diminution de l’acuité auditive. Cet effet est sans seuil mais de faible amplitude avec perte de 2 décibels, lorsque la plombémie augmente de 100 µg/Le plomb est également responsable de troubles de l’attention avec un effet dose-dépendant. Le plomb est fœtotoxique,  

Enfin, les incendies dans les centrales nucléaires, comme à la centrale de Zaporijjia, le 26 janvier 2023, à la centrale de Khmelnitskyi, le 25 octobre 2022, et à la centrale Sud Ukraine, le 18 février 2022, sont très dangereux. La situation du personnel de Zaporijja est préoccupante, leurs conditions de travail sont très dégradées depuis l’occupation russe. 

Pour nous, soignants engagés dans la prévention, quelle est notre prescription ? Notre raison professionnelle première est la défense obstinée du droit à la vie. C’est dire si la question d’un cessez le feu est cruciale pour nous, L’enjeu final étant sa prolongation  vers une paix juste. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi un engagement international pour nettoyer ce malheureux pays de tous ces déchets, sans oublier le déminage minutieux nécessaire.  

Annick Suzor-Weiner

physicienne, vice-présidente de Pugwash-France et d’IDN-France

« L’homme (…) par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce ». A qui doit-on cette prophétie ? à Greta Thunberg ? Non… elle a été proférée par le biologiste Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), bien avant la mise au point de l’arme nucléaire. Hélas celle-ci rend cette prophétie encore plus menaçante, combinant l’inconscience vis-à-vis de l’environnement avec la réelle capacité de l’anéantir, et nous avec… 

La prise de conscience publique de ce danger ultime peut être datée du 9 juillet 1957, où fut publié le Manifeste Russel-Einstein : l’explosion de la première bombe H américaine (atoll Bikini, 1954), 1000 fois plus puissante que la bombe A d’Hiroshima, avait terrifié les deux savants, aboutissant à ce « Message au Monde » (émis peu après le décès d’Einstein), puis à la création du Mouvement Pugwash, en 1957. 

Hélas, ce message est trop peu écouté, et les puissances nucléaires disposent d’un potentiel encore plus dévastateur qu’on ne croit, avec la capacité d’altérer le climat et l’environnement : c’est l’hiver nucléaire, refroidissement durable du à l’absorption du rayonnement solaire par les poussières injectées dans la stratosphère lors d’une explosion nucléaire : tant lors d’une guerre nucléaire locale (mais peut-elle le rester ?) que générale, l’effet sur les cultures et les animaux, au-delà même des zones irradiées, serait dévastateur et la famine s’installerait.  

Les ravages environnementaux et sur la santé causés par les 2000 essais nucléaires (dont 210 pour la France), aussi bien atmosphériques que souterrains, avant le moratoire institué en 1996 par le traité d’interdiction des essais, sont maintenant bien documentés. Ils doivent servir d’alerte pour les pays nucléaires, dont la puissance cumulée peut conduire à l’extermination directe ou indirecte de l’humanité entière.  

Inversement, le changement climatique peut notablement altérer la protection des arsenaux nucléaires, par le risque d’incendies et de montée des eaux (sites côtiers), augmentant encore le risque d’accident et le coût de maintenance de ces arsenaux, sans même parler de leur modernisation, en cours chez tous les tenants de la dissuasion nucléaire, au détriment des besoins vitaux des populations.  

Quels remèdes à ces constats accablants sur les risques réciproques et cumulés des armes nucléaires et du dérèglement climatique ? Devant l’inconscience des gouvernants comme des grandes entreprises, il faut mobiliser la société civile et surtout la jeunesse, trop peu ou inégalement informées de ces risques. C’est tout le travail actuel des associations engagées sur ces sujets, en particulier des branches françaises des associations ICAN (Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires) et Pugwash (Conférences sur la Science et les Affaires du monde). Plus spécifiquement, l’association IDN (Initiatives pour le Désarmement Nucléaire) vient de lancer un « Observatoire des périls planétaires », qui souhaite rassembler les expertises tout en favorisant leurs interactions, insistant sur l’interdépendance des périls environnementaux, climatiques et géopolitiques.  

Ces périls planétaires vont façonner le monde à venir, c’est pourquoi il est nécessaire que les dirigeants prennent conscience de leur responsabilité et que les solutions soient collectives et transversales, en réponse à la transversalité des dangers.  

Pour rester optimiste, laissons parler un grand penseur et auteur, Victor Hugo, longtemps exilé : « Si étrange que semble le moment présent, quelque mauvaise apparence qu’il ait, aucune âme sérieuse ne doit désespérer. Les surfaces sont ce qu’elles sont, mais (…) les courants sous-marins existent ; pendant que le flot s’agite, eux, ils travaillent. On ne les voit pas, mais l’inaperçu construit l’imprévu. Sachons comprendre l’inattendu de l’histoire ». 

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