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Lu sur Comment comprendre l’ordre international ? – jacquesfath.international

Vous trouverez ci-dessous, le texte de mon intervention en introduction d’une conférence-débat organisée le 8 juin à Montataire, par Espace Marx60, dans le cadre d’une fête du PCF sur le thème d’un monde de paix et de solidarité. 

Une thèse domine aujourd’hui, celle d’un « retour » de la guerre… A vrai dire, les guerres n’ont jamais cessé… Mais il s’agit aujourd’hui de ce que l’on appelle la guerre de haute intensité (haut niveau de destruction et de létalité…), une guerre interétatique, avec une implication des plus grandes puissances. C’est notamment de cela dont nous allons parler.

Je vous explique ma façon de voir.

L’ordre international actuel peut se comprendre à partir de deux moments primordiaux.

C’est d’abord, comme premier moment, l’installation, en 1945, de ce que l’on appelle l’ordre international libéral, avec la création des Nations Unies. Il s’agit d’un ordre institutionnalisé, normé. Pour sa fondation les puissances occidentales et en particulier les États-Unis ont joué un rôle majeur.

Le deuxième moment crucial fut celui de l’effondrement de l’URSS et du monde soviétique. La fin de la Guerre froide. Ce moment-là va ouvrir un nouveau contexte de décomposition de ce qui fut installé en 1945. Ce fut une rupture décisive avec de lourdes conséquences dans l’histoire européenne et mondiale.

Cela me conduit à deux remarques.

Premièrement, les puissances occidentales, États-Unis en tête, ont traité cet échec du soviétisme comme une victoire des puissances occidentales. Dans ce nouveau contexte, l’OTAN et l’UE ont choisi d’élargir leurs zones d’influence et de prééminence stratégique jusqu’aux frontières d’une Russie alors très affaiblie. Ce processus n’a jamais été accepté par les Russes… même si Eltsine adopta des attitudes particulièrement favorables aux États-Unis.

Deuxièmement, l’échec des régimes dits de l’Est européen porte des leçons. Des leçons sur le mode de développement, sur la démocratie et le pouvoir politique, sur ce qu’on appelle socialisme… Évidemment. Mais il porte aussi des leçons sur la question de la puissance, car l’effondrement de l’URSS, c’est aussi l’affaiblissement sévère et probablement durable d’une grande puissance mondiale ayant contribué, avec les États-Unis, à structurer l’ordre international durant la Guerre froide. Ce que la Russie n’est plus en capacité de faire aujourd’hui.

Ceci devrait – je le souligne au passage – contribuer à sérieusement relativiser ce que l’on présente aujourd’hui comme la menace russe sur l’Europe (j’en dirai un mot plus loin).

Quant aux États européens, ils auraient, nous dit-on, perdu le sens du tragique… c’est à dire de la conscience de la guerre possible, voire probable. Les Européens n’auraient donc pas voulu regarder les réalités en face, le danger russe, et le danger chinois en particulier. Ils ne sont donc pas préparés à la guerre. Il faudrait maintenant qu’ils le deviennent puisque, nous dit-on, la guerre est déjà là. C’est la « guerre hybride »… celle qui se fait avec des moyens et des méthodes spécifiques d’ingérence, de déstabilisation, de pression économique et idéologiques…Mais c’est autre chose que la guerre elle-même.

Il faudrait donc que les Européens (États et peuples) se préparent sur tous les plans : militaire, politique, financier, industriel, psychologique… jusqu’à l’économie de guerre.

Quel est le vrai problème ?

Il est clair que les dangers de grande guerre, on dit aussi de guerre majeure, sont élevés. Il y a déjà la guerre en Ukraine (avec ses limites et ses dangers), la guerre israélienne contre le peuple palestinien (et ses aspects régionaux), et en Asie, un risque de guerre sino-américaine qui se traduirait certainement par un affrontement de très haute intensité. On a vu aussi une inquiétante confrontation indo-pakistanaise opposant deux pays dotés de l’arme nucléaire. Les risques sont réels dans un contexte de tensions et de course aux armements…

Pourtant, sauf en Palestine et au Proche-Orient, où la stratégie israélienne et le processus génocidaire en cours font surgir des questions particulières, on constate une relative maîtrise de ces conflits. Si le pire n’est jamais certain, tout reste possible. Nul ne peut prévoir les conséquences d’une erreur de jugement, d’un accident ou d’une escalade non maîtrisée. D’autant que les règles et les pratiques de ce que l’on appelle la sécurité collective, selon les conceptions définies par l’ONU, sont mises à l’écart, tout comme la diplomatie, dans un contexte international où ce sont les logiques de puissance et les politiques de force qui dominent.

On touche là à quelque chose d’essentiel : la contradiction entre les principes et les pratiques. Entre, d’une part, les règles et les valeurs définies par l’ensemble du droit international, par les Nations Unies (avec la Charte), et d’autre part, les logiques concrètement à l’œuvre : la puissance, les politiques de force, les unilatéralismes, les stratégies impérialistes.

Cette question-là doit être soulevée car il faut des normes respectées pour pacifier les relations internationales, et d’abord pour contribuer à des relations de sécurité mutuelle et de coopération.

C’est parce que ces normes et le droit ne sont plus respectés, et même rejetés, que les tensions, les risques de guerre augmentent. Il n’y a quasiment plus, ou plus assez de règles et de dispositifs collectifs respectés pour au moins freiner et domestiquer les logiques de puissance.

Ce processus de désintégration du multilatéralisme, de l’action collective et du droit doit se lire en parallèle avec la dévastation néolibérale des sociétés, avec la mise en cause de la démocratie, des institutions politiques, judiciaires et sociales, et des secteurs publics. C’est ce qu’ont exprimé, peu ou prou, des mobilisations sociales comme « Occupy Wall Street » aux États-Unis, ou bien « les Printemps arabes », voire les « gilets jaunes »… et tant d’autres batailles sociales et syndicales plus structurées.

Il n’y a donc pas un processus de montée à la guerre que les Européens n’auraient pas voulu voir. La situation ne se résume pas à cela. Il y a d’abord des compétitions stratégiques et des contradictions d’intérêts de puissance qui ne cessent de contribuer à une dégradation profonde des relations internationales, à l’émergence de volontés de revanche, à l’aggravation d’injustices, d’inégalités et de besoins vitaux non satisfaits. Les processus sont donc beaucoup plus complexes qu’on ne le dit.

Je prends un exemple qui touche à l’actualité. Il est souvent répété que Vladimir Poutine est « le seul responsable » de la guerre en Ukraine. Il est vrai que le régime de Poutine a pris la responsabilité de déclencher la guerre. Contre le droit international, contre les principes et les buts de la Charte des Nations Unies, et même contre les propres engagements que la Russie a pris en 1994, dans le cadre des trois mémorandums de Budapest qu’elle a signé, et qui donnent des garanties de sécurité et d’intégrité territoriale à l’Ukraine.

Au regard du droit international, la responsabilité russe est donc évidente. Mais il faut aussi poser une question politique : comment en est-on arrivé là ? On ne peut pas réfléchir aux conflits et aux guerres en évacuant les stratégies mises en œuvre, le géopolitique. On échappe pas à l’histoire, et à la contextualisation des événements. Et c’est probablement pour cela que l’idée et le mot même de contextualisation ont été banni du débat public et médiatique pour pouvoir éviter toute explication raisonnée, et toute mise en cause des thèses occidentales.

J’explique un peu les choses car ce qui s’est passé avec la fin de la Guerre froide est fondamental pour comprendre la suite. L’écroulement de l’URSS et du système d’alliances qui lui était lié, a, en effet, constitué une césure historique, un basculement stratégique majeur dans la géopolitique mondiale.

Au lieu de saisir le moment crucial de ce changement d’ère afin de contribuer à installer un nouvel ordre international et un nouvel ordre de sécurité en Europe, les États-Unis, avec les Européens ont donc volontairement interprété la fin de l’URSS comme une défaite historique de la Russie. Ils ont ainsi décidé d’élargir l’espace stratégique otanien jusqu’aux frontières de la Russie. Ce qui fut logiquement considéré par Moscou comme une fragilisation de leur sécurité et une menace directe. Pour les puissances occidentales, ce fut une forme d’escalade d’opportunité. Il n’y eu, à l’époque, aucune négociation sérieuse avec la Russie sur les nouvelles conditions de sécurité internationale et sur un nouvel ordre nécessaire.

Washington engrange alors une soit disant « victoire » comme un acquis de la puissance américaine. Mais dès qu’il fut au pouvoir (dès l’an 2000) Poutine n’a cessé de chercher à reconstituer la puissance russe, en particulier sur le plan militaire, en cherchant à regagner une partie des territoires et de la grandeur perdus. Certains ont interprété ce choix comme l’ambition d’une reconstitution du vaste empire des Tsars ou de l’ex-puissance soviétique. On en est loin. Puisque même la conquête de l’Ukraine reste pour Moscou une ambition difficile à réaliser.

La guerre en Ukraine est dans son essence, dans son origine une guerre OTAN/Russie. Et c’est aussi le résultat des choix… qui n’ont pas été faits. Je m’explique.

Lorsque des événements et des ruptures décisives bousculent l’histoire, la nécessité s’impose alors d’édifier de nouvelles règles de vie et de sécurité communes, un nouvel ordre. C’est ce qui a été fait en 1945, et à d’autres moments de l’histoire… En 1991, les puissances occidentales ne l’ont pas voulu. Il est vrai que la stratégie américaine fut explicitement marquée, en permanence et dans la durée, depuis la Seconde guerre mondiale, comme celle de l’endiguement puis du refoulement stratégique de l’URSS, puis de la Russie. En 1991, lorsque l’URSS s’effondre, Clinton, alors Président des États-Unis, n’a pas dérogé à cette orientation stratégique primordiale des États-Unis, en tant que puissance globale.

Dans le même esprit, je le souligne au passage, la stratégie américaine est aussi, depuis longtemps, celle du refus explicite de voir émerger une puissance rivale, un compétiteur de parité, ce qui explique le conflit actuel avec la Chine. Là, pour Washington, ce n’est pas gagné…

Cela me conduit à rappeler quelque chose qu’on a tendance à faire semblant d’oublier, alors que c’est déterminant. La sécurité est forcément un processus de réciprocité. Elle nécessite des dispositions de confiance mutuelle, une coopération d’intérêt partagés, de la concertation. Contrairement à ce prétendent les puissances occidentales, on ne peut pas dire qu’un État est totalement libre d’adhérer à une alliance politique et militaire comme l’OTAN en vertu d’un choix souverain non négociable. La Charte de l’ONU établit précisément le contraire. Elle fixe, en effet, les principes et les pratiques de la sécurité collective. Nul n’est en sécurité si les autres, y compris les adversaires, ne le sont pas. En matière de sécurité internationale, ce qui doit dominer, c’est la responsabilité collective. Il n’y a ni sécurité, ni paix par la force et par l’expression unilatérale de la puissance… Celle-ci produit surtout des escalades et des risques.

Ce principe essentiel de sécurité collective est aujourd’hui bafoué par la décision de Poutine d’engager la guerre en Ukraine. Comme il fut bafoué hier avec les guerres américaines décidées dès 2001 par G. W. Bush. Nous pouvons mesurer que la Russie n’est guère en capacité d’obtenir une vraie victoire en Ukraine, de la même manière que l’échec fut au bout de cet hubris, cette démesure des États-Unis pour un Grand Moyen-Orient du libéralisme, du libre-échange et du modèle occidental sous l’égide américaine. Ce qui est en cause, c’est donc bien d’abord les logiques de puissance qui créent des impasses, des crises majeures et cette dangereuse dégradation des relations internationales depuis près de 35 ans.

Cette dégradation est profonde. C’est, au fil des années, après la Guerre froide, un processus de décomposition progressive de l’ordre international. Avec le mépris inquiétant du droit international et du multilatéralisme. Avec le démantèlement de ce que l’on appelle l’architecture de sécurité collective comprenant les traités signés établissant des limitations et des contrôles des armements, et les traités de désarmement.

Je donne un exemple. Si le Traité New Start (signé en 2010) concernant les armes nucléaires stratégique n’est pas prorogé avant sa dernière échéance, le 5 février 2026, il n’y aura plus aucun accord en validité et en application sur les armes nucléaires stratégiques. C’est alarmant pour la sécurité internationale.

Mais pourquoi un tel processus de décomposition ?

Dans le contexte ouvert avec la fin de la Guerre froide on assiste à une mutation géopolitique : une multiplication des acteurs de puissance. Une émergence de la Chine comme compétiteur de premier rang face aux États-Unis. Une montée des affrontements sur les ressources, les technologies, les marchés, les zones d’influence et, bien sûr, sur la hiérarchie des puissances. Dans cette redistribution de la puissance et cette compétition d’intérêts, les pratiques et les règles de la sécurité collective deviennent des obstacles. La force l’emporte sur le droit. La bataille fait rage pour l’hégémonie. Les États-Unis ne veulent pas d’un compétiteur à leur mesure, comme la Chine. L’Europe a du mal à exister dans cette confrontation de géants où l’on voit intervenir d’autres puissances nouvelles, notamment le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, la Turquie…

Dans ce grand affrontement, la prééminence des logiques de puissance bloque les coopérations pourtant indispensables sur des enjeux globaux aussi importants que le climat et le développement durable, les hautes technologies et l’intelligence artificielle, les droits sociaux, et bien sûr la paix et le désarmement, notamment nucléaire.

Dans ce contexte de brutalité internationale, on a même atteint un summum de violence désinhibée et de sauvagerie au Proche-Orient. En s’appuyant sur l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 qui fit environ 1200 victimes (et 250 otages), en particulier des civils (ce qui constitue un fait de gravité exceptionnelle), Israël s’est engagé dans une guerre dont l’objectif n’est pas d’attaquer le Hamas et sa direction, mais tout le peuple palestinien. Le nombre global des victimes de la guerre israélienne dépasse probablement les 100 000. A Gaza, la destruction des infrastructures et services est réalisée à 90 %. Les autorités israéliennes cherchent la déportation ou le nettoyage ethnique des Palestiniens. Elle veulent finir le travail engagé par la Nakba, en 1948.

Un processus génocidaire est engagé. L’intention est manifeste. La justice internationale s’est emparée de cette tragédie hautement criminelle sans que la France, ses partenaires européens et les États-Unis ne cherchent vraiment à l’arrêter au risque d’en être demain considérés comme complices. Tellement s’impose la réalité consternante de non assistance à un tout peuple en danger.

Ce paroxysme dans la violence politique a lui aussi ses causes inscrites dans l’histoire, celle de la colonisation, de l’occupation. Il s’agit, comme l’a expliqué si bien Elias Sanbar (ancien ambassadeur de Palestine à l’UNESCO), d’une colonisation de remplacement d’un peuple par un autre.

Dans ce crime de portée historique l’inacceptable impunité d’Israël est garantie en particulier parce que cet État est un partenaire stratégique privilégié des puissances occidentales, dont la France. Ce sont des logiques de puissance qui, ici encore, dictent leur loi au mépris des valeurs humaines fondamentales.

La fin de la Guerre froide a donc ouvert ainsi un contexte incertain, compliqué et dangereux. L’ensemble des contradictions politiques, sociales, économiques, technologiques… prennent une dimension stratégique en accroissant les risques de confrontation. Toutes ces réalités, associées à des politiques qui tuent la diplomatie, tracent une trajectoire d’insécurités majeures et de grandes guerres possibles.

La course aux armements, y compris nucléaire et de haute technologie, est alimentée par le développement d’un tel contexte. En 2024, on a atteint un record des dépenses militaires mondiales à 2718 milliards de dollars.

Évidemment, nombre de questions nouvelles sont posées. J’en choisis deux.

Première question. Avec Trump, l’OTAN est-elle morte ? Autrement formulée : est-ce la fin de l’atlantisme et du camp occidental ?

Pour les Européens et pour les administrations américaines sur une ligne classique, comme celle de Biden, l’OTAN est une alliance politico-militaire fondée sur des nécessités stratégiques et politiques communes, et sur des exigences idéologiques (les « valeurs occidentales »).

Pour Trump, cette approche n’a plus de pertinence. Il considère l’OTAN comme un enjeu d’opportunité et de circonstances. Ce n’est donc plus un impératif de principe et une nécessité politique. C’est une contingence.

En vérité, il est difficile de savoir ce que serait le comportement de Trump en cas de crise de très grande dimension en Europe, ou en Asie avec une implication de la Chine… Avec des risques de guerre majeure. Dès l’instant où les exigences de valeurs et de principes s’effacent, les choix stratégiques peuvent varier selon les circonstances et les intérêts propres des États-Unis, tels qu’ils seraient définis par Trump lui-même. Il n’y a plus de principes établis, mais avant tout des choix d’opportunité.

On peut aussi remarquer qu’il n’y a ni rupture totale avec les politiques précédentes, ni unanimité aux États-Unis sur une telle approche, y compris, semble-t-il, au Pentagone. Selon des experts et certains médias, un « chaos total » régnerait au ministère de la défense des États-Unis.

Enfin, l’OTAN n’est pas seulement une alliance stratégique. C’est aussi un cadre et un moyen d’hégémonie et de profits garantis pour Washington et pour les industriels américains de la défense. Malgré ou avec Trump, la mort de l’OTAN n’a pas encore sonné. D’ailleurs, l’Administration américaine a affirmé sa volonté de rester dans l’OTAN. Et Trump assistera au sommet de l’OTAN les 24 et 25 juin, à La Haye.

Deuxième question. Une économie de guerre, qu’est-ce que cela signifie ?

C’est la guerre en Ukraine qui est invoquée comme la raison essentielle d’une économie de guerre en France et d’un réarmement en Europe, face à la menace russe. Il faut aussi s’interroger (je l’ai déjà souligné) sur ce que les dirigeants européens désignent comme la menace russe. Moscou est d’ailleurs suspecté de vouloir lancer des offensives militaires contre certains États membres de l’OTAN. Cependant, est-ce si simple…

– en 2020, la Russie n’a pas pu jouer un rôle majeur dans la 2è guerre du Haut Karabagh. Guerre dans laquelle, contre les Arméniens, la Turquie a soutenu l’Azerbaïdjan de façon décisive. Ce fut le fait principal.

– en décembre 2024, dans un contexte régional complexe, la Russie n’a pas pu sauver le régime de Bachar el Assad, son allié syrien, balayé en quelques jours par une offensive armée dirigée par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham, issu du front djihadiste al-Nosra, lui même héritier d’al-Qaïda. Pour l’essentiel, ça s’est passé sans ou contre Moscou.

– enfin, au cours de l’année 2024, la Russie n’a pu conquérir que 0,66 % du territoire ukrainien. Cela ressemble davantage à un enlisement qu’à une conquête. En Ukraine, la Russie a fait la preuve, dès le début de la guerre, d’un manque de puissance militaire et de puissance globale.

Il faut donc un jugement plus prudent et plus exigeant quant aux motivations avancées pour justifier un réarmement en Europe.

Il faut aller chercher d’autres explications.

Les États-Unis veulent contrer la montée de la Chine, et ils en font leur priorité. Les Européens voudraient devenir des acteurs capables de peser dans les rapports de force en Europe, notamment dans la guerre en Ukraine. Les uns et les autres cherchent une réaffirmation de leur puissance, et de leur suprématie pour les États-Unis. Cela nécessite une reconfiguration stratégique.

Depuis Barack Obama, les États-Unis veulent se dégager de l’Europe afin de pouvoir opérer le basculement (le pivot) souhaité vers l’Asie, et la Chine. Afin de permettre cela, il faut obtenir des Européens des investissements militaires et financiers beaucoup plus importants afin de suppléer à un retrait des États-Unis du continent européen.

Mais ce retrait semble plus problématique qu’on veut bien le dire. Il faut mesurer, en effet, que pour les États-Unis, leur présence militaire, stratégique et politique en Europe constitue une affirmation de puissance, avec des dispositifs militaires très importants, permettant aux États-Unis de disposer d’un poids politique, et de pouvoir intervenir bien au-delà de l’Europe : au Proche-Orient, en Méditerranée ou en Afrique. La présence américaine en Europe exprime donc les moyens et les intérêts d’une puissance globale. Il n’est pas si facile de s’en dégager… D’ailleurs, des retraits sont annoncés, mais pas un retrait d’ensemble.

Il reste que les questions de sécurité en Europe sont systématiquement traitées aujourd’hui comme des enjeux militaires, sans que jamais la question ne soit posée de règlements et d’options politiques et diplomatiques pour pouvoir enfin, un jour, intégrer tous les acteurs, y compris la Russie, dans la reconstruction en Europe des conditions nécessaires à un contexte de sécurité collective.

L’économie de guerre, cependant, n’est pas qu’une question de sécurité. C’est aussi un enjeu touchant au mode de développement. Pour l’ONU, nous assistons actuellement à « une crise mondiale du développement »… Les dépenses militaires planifiées ne peuvent que l’exacerber. Dans le monde actuel, une contradiction majeure monte de façon irrépressible entre, d’une part, une trajectoire choisie d’ambitions de puissance et d’exigences militaires et technologiques toujours plus élevées, avec les lourdes charges économiques et budgétaires que cela représente, et d’autre part, les conséquences sociales et politiques qui en résultent.

Il faut donc poser la question : quel monde voulons-nous ? Sur quelles exigences sociales ? Comment construire une sécurité humaine favorable à la sécurité et à la paix ?

Quelques mots rapides de conclusion

Quelque chose m’apparaît aujourd’hui comme un élément décisif du mouvement du monde, ce que certains appelle (Farid Zakaria par exemple) « la montée des autres ». La montée des autres, c’est à dire la progressive et irrépressible affirmation historique des dominés d’hier. Ce n’est pas une nouveauté. C’est l’affirmation du Sud global, avec la récente création des BRICS, qui commence à mettre à l’ordre du jour, malgré le haut niveau du défi, un processus dit de désoccidentalisation, voire de mise en cause du dollar. Ce sera certainement très difficile, mais ces thématiques expriment le besoin et une poussée pour une transformation réelle des relations internationales. Ce qui révèle la nécessité pressante d’une réponse à la crise du mode de développement capitaliste, et aux enjeux globaux.

Déjà, l’esprit de la désoccidentalisation de l’ordre international s’exprime dans le refus d’ensemble des pays du Sud global (au-delà de leurs hétérogénéité) quant aux politiques de guerre occidentales (ils n’appliquent pas les sanctions contre la Russie), et quant à la pratique systématique du deux poids deux mesures, toujours au détriment des Palestiniens. C’est une fracture très significative dans les relations internationales.

Ce n’est certainement pas un hasard si l’ONU est aujourd’hui tellement mise à l’écart et stigmatisée pour son impuissance à résoudre les problèmes. Pourtant, ce qui conduit à l’impuissance, c’est d’abord, justement… la puissance, les logiques de puissance, et l’illusion de la force qui va avec. Après la première Guerre du Golfe, les puissances occidentales n’ont pu remporter aucune victoire dans les guerres entreprises. Les problèmes mondiaux ne cessent de s’aggraver. La trajectoire actuelle des relations internationales le montre au quotidien. Il est vraiment temps de penser et d’agir tout autrement.

En cette année 2025, nous pouvons marquer le 80è anniversaire de la création de l’ONU en décidant d’accorder à celle-ci beaucoup plus d’importance dans la définition des alternatives nécessaires. Il faut réinsérer les Nations Unies dans le débat public.

Pour beaucoup, l’actualité et l’histoire témoigneraient du fait que la guerre constitue irrémédiablement le mode de règlement des conflits. On rappelle souvent la formule de Clausewitz : la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Cette formulation est très discutable, car elle tend à enfermer la pensée dans une continuité de guerres et d’intermèdes de paix fragiles.

C’est une formulation d’apparence banale, mais elle confine la réflexion au postulat de la guerre comme une fatalité, ou comme invariant de la nature humaine. C’est une erreur fondamentale que l’on ne devrait plus commettre. Il faut sortir de cette pensée unique fondée sur le primat de la puissance et de la force dans les relations humaines et dans le politique. Il est vrai que la guerre est une réalité difficile à dépasser. On peut difficilement le nier. Alors il faut donner raison à Edgar Morin qui exprime le juste constat « d’une humanité qui a du mal à devenir humanité ». Ce qui permet de rappeler qui sont les acteurs principaux, et qui détient la clé des solutions à ouvrir : les peuples dans le monde et dans leur société. C’est en quelque sorte un appel à, plus que jamais, faire de la paix un grand combat politique et social.

Jacques Fath


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