Le juge des référés du Conseil d'État qui a refusé de suspendre les décrets autorisant le fichage politique était récemment directeur de cabinet de Nicole Belloubet.

 

CET ARTICLE EST EN ACCÈS LIBRE. Politis ne vit que par ses lecteurs, en kiosque, sur abonnement papier et internet, c’est la seule garantie d’une information véritablement indépendante. Pour rester fidèle à ses valeurs, votre journal a fait le choix de ne pas prendre de publicité sur son site internet. Ce choix a un coût, aussi, pour contribuer et soutenir notre indépendance, achetez Politis, abonnez-vous.

 

Une nouvelle atteinte conséquente portée aux droits et aux libertés n’a pas eu la publicité qu’elle méritait. Le 4 janvier, le Conseil d’État a rejeté le référé-suspension contre les décrets du 2 décembre modifiant trois fichiers de police (1) en vue d’autoriser policiers et gendarmes à faire mention des « opinions politiques », des « convictions philosophiques et religieuses », et de « l’appartenance syndicale » de leurs cibles, alors que les précédents textes se limitaient à recenser des « activités ». Identifiants, photos et commentaires postés sur les réseaux sociaux y seront aussi listés, tout comme les troubles psychologiques et psychiatriques « révélant une dangerosité particulière ». Les « personnes morales », telles que les associations, sont également visées.

Auparavant limités aux hooligans et aux manifestants violents, ces fichiers recenseront aussi les données des personnes soupçonnées d’activités terroristes ou susceptibles « de porter atteinte à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République ». Une notion aussi floue qu’extensible qui justifiait pleinement la demande de suspension réclamée par sept organisations syndicales – la CGT, FO, la FSU, l’Unef, Solidaires, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature – ainsi que le Gisti.

Le Conseil d’État ne l’a pas entendu ainsi. Pour lui, ces décrets ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale. Tout juste a-t-il précisé dans ses décisions que la seule appartenance syndicale ou politique ne permettait pas le fichage des personnes et qu’il fallait la relier à des activités portant atteinte à la sécurité ou à la sûreté de l’État. Cette défaillance de la plus haute juridiction administrative à protéger nos libertés de la dérive autoritaire du gouvernement n’est pas nouvelle.

Lire > Le Conseil d’État, ou l’abandon des contre-pouvoirs

Elle s’explique ici par la personnalité du juge des référés qui a examiné ce recours. Avant de réintégrer le Conseil d’État, Mathieu Hérondart était depuis juin 2017 et jusqu’au 6 juillet 2020 le directeur de cabinet de Nicole Belloubet, ministre de la Justice, après avoir été de 2008 à 2013 le secrétaire général adjoint de ce ministère et, en 2007, directeur adjoint du cabinet de Rachida Dati. Il s’est ainsi retrouvé en situation de juger les actes d’un gouvernement dont il était membre il y a encore quelques mois. Ces allers-retours entre le gouvernement et le Conseil d’État conduisent à de graves dysfonctionnements dans la séparation des pouvoirs au détriment des citoyens.


(1) Ces trois fichiers sont le Pasp (prévention des atteintes à la sécurité publique) de la police, le Gipasp (gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique) des gendarmes et l’EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique) utilisé avant le recrutement de fonctionnaires sur des postes sensibles.