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Vague d’arrestations à Bure, un avocat en garde à vue

21 juin 2018 / Émilie Massemin (Reporterre)

Mercredi, au moins sept opposants au projet d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo ont été placés en garde à vue, ainsi qu’un avocat. Dix lieux de vie ont été perquisitionnés. Cette vaste opération des forces de l’ordre vise à nourrir un dossier d’association de malfaiteurs à l’encontre des militants. L’arrestation d’un avocat est une grave atteinte aux droits de la défense, jugent 50 de ses confrères.

« C’est un coup de filet énorme », souffle au téléphone Juliette Geoffroy, porte-parole du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra). Mercredi 20 juin au matin, au moins sept opposants au projet d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo ont été placés en garde à vue (dont un avait déjà été relâché à 15 h). « Ils ont ciblé des personnes aux profils complètement différents, parfois, c’est même étonnant. Concrètement, des personnes qui avaient pris un peu de recul par rapport à la lutte. Ça aurait pu tomber sur n’importe qui », précise Juliette Geoffroy. Mercredi soir, les associations et collectifs d’opposants avaient choisi de ne pas encore divulguer les identités de ces gardés à vue.

Selon le procureur de Bar-le-Duc Olivier Glady, contacté par l’AFP et qui n’avait pas, mercredi soir, donné suite à la sollicitation de Reporterre, ces arrestations ont été effectuées « dans le cadre d’une commission rogatoire d’un juge d’instruction portant sur trois faits commis en 2017 ». Les faits concernés sont le départ d’incendie volontaire commis par des militants en juin dans l’hôtel-restaurant du laboratoire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), qui porte le projet Cigéo, des dégradations commises à l’écothèque — un musée sur les déchets radioactifs appartenant également à l’Andra — et la manifestation illégale du 15 août, durant laquelle un manifestant, Robin Pagès, a été gravement blessé par une grenade. Ils ont entraîné le lancement d’une enquête pour « association de malfaiteurs » à l’encontre des militants.

Mais « ce déploiement judiciaire et policier exceptionnel visant la lutte anti-Cigéo est la suite d’une semaine de répression, ont précisé des opposants à Cigéo dans un communiqué. Il vise nos rassemblements et notre vie sur ce territoire. Durant cette semaine, la présence militaire entre les villages de Bure et de Mandres-en-Barrois a été constante, s’accompagnant de nombreux contrôles d’identité et fouilles de véhicules. Durant la journée de mobilisation et le week-end, du 16 et 17 juin, au moins dix-neuf interpellations ont eu lieu. Ce lundi, trois personnes ont été lourdement condamnées à la suite de la manifestation du 16 juin, dont deux camarades qui sont actuellement en prison. Depuis le début de la semaine, six personnes ont été interpellées dans Bure et ses alentours. Cette intimidation est permanente mais les moyens mis en œuvre sont toujours énormes — centaines de militaires de la gendarmerie mobile, drones, ULM, caméras en tout genre ».

L’avocat d’opposants également placé en garde à vue
Me Étienne Ambroselli à Bar-le-Duc (Meuse), en février 2017.

En outre, l’avocat d’opposants à Cigéo, Me Étienne Ambroselli, a vu son domicile — où se trouve son cabinet — perquisitionné vers 10 h mercredi matin ; mercredi après-midi, il était également en garde à vue. Contactés par Reporterre, le membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris, présent à la perquisition, et l’avocate de Me Ambroselli n’avaient pas, mercredi soir, souhaité divulguer d’information sur cette garde à vue. Laquelle a provoqué une vague de protestation chez ses confrères, qui ont publié un communiqué signé par 50 avocats. « On est outré du fait que notre confrère, par l’exercice de ses fonctions, se retrouve en garde à vue, s’indigne Me Samuel Delalande, avocat et collègue de Me Ambroselli. Cela dénote un palier de répression supplémentaire, qui est extrêmement grave parce qu’il porte atteinte à la fois au droit de se défendre et de défendre. Et porte atteinte à certains piliers de la société actuelle. »

« Je suis particulièrement inquiète parce qu’il s’agit d’une atteinte à l’avocat de la défense, enchérit Laurence Roquès, présidente du Syndicat des avocats de France. C’est extrêmement préoccupant pour la démocratie. » Le placement en garde à vue d’un avocat de militants politiques n’est « pas courant, mais il existe. Dans d’autres temps, cela s’est déjà produit. Cela dénote qu’on passe un cran, en s’attaquant à l’avocat de la défense. Comme, toutes proportions gardées, cela a été vu dans d’autres pays comme en Turquie ou en Espagne, lors du procès des Basques. S’attaquer à l’avocat, c’est réduire la défense au silence. C’est donc une violence faite au procès démocratique ».

Dix lieux de vie perquisitionnés

Juste avant la vague matinale d’arrestations, quelque 200 gendarmes ont perquisitionné au moins dix lieux de vie d’opposants à Cigéo, dans les communes de Biencourt-sur-Orge, Ancerville, Chennevières, Cirfontaines-en-Ornois, Verdun, Commercy et Montiers-sur-Saulx, en Meuse et en Haute-Marne. La Maison de résistance, à Bure, n’a pas été épargnée.

Maxime [*], opposant à Cigéo habitant de Montiers-sur-Saulx, dormait tranquillement chez des amis de Commercy quand les gendarmes ont débarqué, à 7 h du matin. « D’un coup, on entend que la porte d’entrée est en train de se faire défoncer, sans sommation. Cela a duré trente secondes à une minute, avant que la porte cède, raconte-t-il. Sont entrés dans l’appartement cinq à dix gendarmes du peloton spécial d’intervention de la gendarmerie [Psig], accompagnés de deux gendarmes-enquêteurs et de gens dont j’ai eu du mal à identifier la fonction. J’étais en caleçon, à peine sorti du lit. Ils ont bondi sur moi. J’ai entendu “Police, à terre, mains dans le dos”. Un flic m’a plaqué au sol et m’a passé les menottes en les serrant assez fort, histoire que le sang ne puisse plus circuler. Et que cela achève de choquer, de sidérer et de faire perdre ses moyens. Une perquisition est une opération de violence totale, visant à te montrer que tu n’es en sécurité nulle part et qu’ils peuvent venir te réduire à rien au cœur même de ton intimité. » Quelques instants plus tard, les gendarmes lui ont retiré ses menottes et lui ont permis de s’asseoir. Ils ont saisi son ordinateur, son appareil photo, son téléphone portable et le reste de son matériel informatique. Maxime apprendra peu après que son domicile de Montiers-sur-Saulx a également été perquisitionné et que les deux habitants de la maison de Commercy où il a passé la nuit ont été placés en garde à vue.

« Pourquoi, selon vous, les opposants non violents cautionnent-ils la casse ? »

Le jeune homme a quant à lui été conduit à la gendarmerie où il a été entendu en audition libre jusqu’à midi. Les gendarmes lui ont posé plusieurs séries de questions sur les associations d’opposants à Cigéo, la Maison de résistance, le bois Lejuc, etc. « Le but de cette opération de renseignement était de comprendre comment cette nébuleuse de la lutte, qui est peut-être un peu incompréhensible pour eux, s’organise. Exemples de questions : “Y a-t-il une hiérarchie à la Maison de résistance ?” », raconte Maxime. Au moment d’aborder la tentative d’incendie volontaire à l’hôtel-restaurant de l’Andra, les questions se sont faits plus précises : « “Cette action-là était-elle préparée ? La manifestation qui s’est rendue à l’hôtel-restaurant avait-elle prévu cette action ou est-ce que la situation a dégénéré ? Les opposants sont-ils toujours d’accord sur les modes d’action ?” Et la question finale, incroyable : “Pourquoi, selon vous, les opposants non violents cautionnent-ils la casse ou les casseurs, alors que cela décrédibilise leur action ?” »

Pour Maxime, « leur but est de produire la scission entre une opposition qui serait historique, non violente, et une association de malfaiteurs constituée d’opposants incontrôlables. Mais à Bure et dans d’autres luttes, comme à Notre-Dame-des-Landes, le mouvement essaie d’articuler recours juridiques, actions de terrain et actions populaires — et non de les opposer ou les sectoriser. Mais le gouvernement cherche à mettre les gens dans des cases : un avocat doit rester un avocat, une association citoyenne doit rester une association citoyenne, et quelqu’un de cagoulé c’est forcément un casseur. Chacun rentre dans le rang, chacun joue son rôle, et il ne faut surtout pas que ces gens se mélangent et s’agrègent, deviennent inassignables ».

Une démonstration de force après la manifestation du 16 juin

Que cette vaste opération ait lieu trois jours après la grande manifestation du 16 juin qui a rassemblé 3.000 personnes à Bar-le-Duc n’a rien d’un hasard, selon Juliette Geoffroy : « C’est une démonstration de force après notre propre démonstration de force. Gérard Collomb a dit qu’on n’entendrait plus parler de Bure, on a montré que ce n’était pas le cas. On a un discours qui porte, y compris quand on parle de respect pour toutes les formes de lutte et qu’on montre notre détermination commune à travailler ensemble. »

Ainsi, le réseau Sortir du nucléaire a dénoncé « ce coup de force des autorités, nouvelle preuve de la dérive sécuritaire du gouvernement, qui traite des militant.e.s et des habitant.e.s comme des terroristes pour essayer de détourner l’attention des problèmes colossaux posés par Cigéo ». Et de multiples rassemblements de soutien aux opposants ont été organisés un peu partout en France, même si certains ont également été réprimés. « À Bar-le-Duc, la manifestation a été empêchée par la préfecture, qui a occupé la place. Et à Paris, les manifestants ont été nassés place Saint-Michel », indiquait mercredi soir à Reporterre Charlotte Mijeon, la porte-parole du réseau Sortir du nucléaire.

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