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Les créanciers de la Grèce lui maintiennent la tête sous l’eau
Par Jérôme Latta | 24 mai 2017
Malgré un énième train de mesures d’austérité, l’Eurogroupe a ajourné un versement de 7 milliards d’euros et, surtout, refuse toujours d’alléger la dette grecque. En dépit de toute rationalité économique, et aux dépens d’une population de plus en plus paupérisée.
De nouvelles hausses d’impôts, y compris pour les revenus juste au-dessus du seuil de pauvreté, une 13e (ou 14e, on a perdu le compte) baisse des retraites depuis le début de la crise en 2010, un plan de privatisations supplémentaires : l’assemblée grecque a adopté jeudi dernier un nouveau train de mesures d’austérité applicables pour la période 2019-2021 [1]. Les syndicats avaient appelé à trois jours de manifestations et de grèves, mais à la Vouli, la courte majorité gouvernementale de Syriza et des Grecs indépendants (153 députés sur 300) a tenu.
Ces nouvelles concessions du gouvernement, décidées en avril dernier en accord avec l’Eurogroupe et le FMI, étaient supposées faciliter les négociations avec les créanciers du pays afin d’obtenir d’eux le déblocage de nouveaux prêts internationaux, destinés à honorer des échéances précédentes. La Grèce doit en effet verser 7 milliards d’euros à la BCE en juillet prochain, au titre du troisième plan d’aide adopté en juillet 2015 qui court théoriquement jusqu’en 2018.
Las, ce lundi, la réunion des ministres des finances de la zone euro (Eurogroupe) s’est achevée sans accord sur cette nouvelle tranche d’aides, les discussions étant compromises par les divergences entre le FMI et – principalement – l’Allemagne représentée par Wolfgang Schaüble sur l’autre enjeu majeur des négociations : l’allègement de la dette grecque dont le Fonds est partisan, au contraire du ministre des Finances de Berlin.
Alexis Tsipras espère en effet depuis son élection une réduction de cette dette publique devenue insoutenable, et menace désormais d’annuler les nouvelles mesures adoptées si un accord n’est pas obtenu sur ce point. Le premier ministre compte sur le FMI, qui a fini par se ranger à la nécessité de cet aménagement, voire sur un changement des rapports de forces au sein de l’UE.
Lors d’un échange téléphonique précédant la réunion de lundi, Emmanuel Macron a ainsi assuré le chef de l’État grec de sa volonté de « trouver un accord pour alléger dans la durée le poids de la dette ». Les élections allemandes de septembre pourraient aussi modifier la donne. En attendant, notre nouveau ministre de l’Économie Bruno Le Maire, muni de la « feuille de route » confiée par son président, n’a pas pesé sur les débats, même s’il se dit optimiste pour la suite. La partie est remise à la prochaine réunion de l’Eurogroupe, le 15 juin.
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« Il n’y a plus d’excuses pour tergiverser encore sur la question de l’allégement de la dette », a assuré le ministre des Finances grec (cité par l’AFP), Euclide Tsakalotos, qui fait valoir les efforts consentis et les objectifs atteints, dont personne ne peut plus disconvenir chez les plus intransigeants membres de la Troïka. Selon Le Monde, les négociateurs grecs auraient justement repoussé les compromis envisagés parce qu’ils « redoutent un demi-accord » n’incluant pas de volet sur la dette.
Il est à craindre que le gouvernement Tsipras se nourrisse de plus d’illusions que d’espoirs. « La décision concrète et définitive sur l’allègement de la dette viendra à la fin du programme d’aide en 2018 », a prévenu Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe déterminé à maintenir le chantage aux réformes. Wolfgang Schaüble veut pour sa part attendre la remise d’un rapport établissant que la Grèce a bien mis en œuvre les mesures promises – ni les chiffres ni les images attestant la misère croissante du pays ne sauraient faire foi à ses yeux.
Alexis Tsipras a promis de porter une cravate si la restructuration de la dette aboutissait, mais pour l’heure, l’étranglement de son pays se poursuit. L’acharnement austéritaire n’a en effet débouché sur aucune amélioration de la situation sociale et économique. Les données récentes établissent le retour de la récession, avec un nouveau recul du PIB au premier trimestre 2017 [2]. Après la stagnation de 2016, les 2,7% de prévision de croissance pour 2017 ont d’ores et déjà été révisés à 2,1% pour la Commission européenne, 1,8% pour le gouvernement. La dette publique, qui devait baisser selon les administrateurs de la purge, a progressé pour frôler les 180% du PIB [3].
L’inefficacité économique du dogmatisme des créanciers a un coût social de plus en plus exorbitant. « L’économie capitaliste de la Grèce est condamnée à une dépression permanente qui se traduit socialement par une paupérisation massive de la population », résume l’économiste Charles-André Udry. L’énième coup porté aux retraites touche précisément un des principaux maillons de solidarité : « Rien de plus douloureux quand on sait que près de la moitié de la population grecque arrive à survivre grâce aux pensions de leurs parents ou grands-parents », déplore le journal Eleftheria Tou Typou cité par Courrier International.
Entre autres indicateurs désastreux, le taux de pauvreté atteint les 30%, le chômage touche un jeune de 18 à 24 ans sur deux et se paie par un exode massif à l’étranger, tandis que le démantèlement des services sociaux empêche d’amortir les effets d’une crise qu’aggrave continument le manque d’investissements dans l’économie.
Peut-être faudra-t-il le temps de l’histoire pour que l’Europe, celle de l’UE, prenne conscience et mesure de ce qu’elle a infligé à un de ses pays membres, et sache au nom de quels intérêts elle l’a fait. Pourtant, tout se déroule sous nos yeux, en pleine connaissance de cause.
Notes
[1] En guise de compensation, le gouvernement a prévu des dispositions anti-pauvreté, et un plan de soutien à l’activité à partir de 2019 (conditionné par ses bailleurs à l’atteinte des objectifs budgétaires).
[2] -0,1% par rapport au précédent, -0,5% par rapport au premier trimestre 2016.
[3] L’intransigeance européenne semble sans fin : ainsi est-il exigé qu’un excédent budgétaire primaire de 3,5% du PIB soit obtenu chaque année au moins jusqu’en 2022, sous peine de nouvelles mesures de rigueur automatiques. Un objectif considéré comme irréaliste par le FMI et qui compromet toute reprise économique.