"Départementales: comment la gauche a joué contre son camp"
Au-delà de la nécessaire et urgente réflexion politique que doivent engager la gauche et singulièrement le PS à la suite de cette défaite, une interrogation me semble légitime : comment a-t-on pu accumuler autant de décisions contestables dans la préparation de ces premières élections départementales ? Qu’on en juge.
1- On annonce que les départements doivent disparaître (bientôt ? en 2021 ? plus tard ? jamais ?), mais dans le même temps, on vante leurs mérites dans la perspective des prochaines élections départementales. Comprenne qui veut !
2- On augmente la taille des cantons, (multiplication par 3, 4 ou même 5 pour les cantons ruraux) et celle des intercommunalités (au moins 20 000 habitants), en même temps qu’on promet de favoriser la politique de proximité, tout en annonçant l’objectif de réaliser de fortes économies sur les budgets de fonctionnement. Difficile d’être plus contradictoire !
3- On se propose de modifier les compétences des conseils départementaux et on laisse se développer des incertitudes, sans que la loi qui doit les définir soit votée avant les élections. Bel argument donné aux adversaires !
4- On fixe le seuil pour participer au 2ème tour à 12,5% des inscrits. L’idée affichée est de limiter les triangulaires au second tour et de favoriser le rassemblement de la gauche. Dans le contexte de montée du FN et de la droite, ce système élimine de nombreux candidats socialistes.
5- On décide qu’il y aura une seule consultation dans l’ensemble de la France tous les 6 ans, au lieu de 2 élections (un vote dans la moitié des départements, suivi, 3 ans plus tard, par un vote dans l’autre moitié). Conséquence : ce scrutin prend une valeur de test national.
6- On insiste sur l’enjeu politique d’ampleur nationale que représente l’issue de ce scrutin, ce qui fait passer au second plan le caractère local de chaque consultation départementale. Au lieu de subir les conséquences du « vote sanction » contre la politique gouvernementale, il aurait été possible de valoriser le bilan positif des équipes sortantes de gauche.
7- On organise le matraquage anti-FN, avec une argumentation dramatisante à base d’anathèmes (« mise en cause des valeurs de la République », « faute morale »). Négliger la critique programmatique a produit l’effet contraire sur un électorat attiré par le Front national pour d’autres raisons. Cette attitude est apparue comme une tactique destinée à masquer les insuffisances de la politique gouvernementale. Ainsi, au parcours chaotique d’une réforme encore non aboutie a succédé une démarche politique contre-productive.
Dernière interrogation : comment ceux qui ont prôné les vertus du rassemblement de la gauche au second tour de ces élections, alors qu’ils n’ont pas eu de mots assez durs contre les autres composantes de la gauche, pourront-ils justifier leur absence de volonté de réaliser un vrai rassemblement autre qu’électoraliste ? La « défense de la République » passe par la cohérence entre les actes et les discours. A défaut, le camp de la contestation du monde politique (qui alimente le FN) risque malheureusement de se trouver renforcé.
Paul Quilès
ancien ministre socialiset