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La proportionnelle a bon dos. Roger Martelli répond à Jacques Julliard
Par Roger Martelli| 22 avril 2013
Dans le dernier numéro de Marianne, Jacques Julliard se lance dans une diatribe contre Mélenchon et le Front de gauche. « Une stupidité, la VIe République », assène-t-il en titre. Pourquoi ? Parce qu’elle réintroduirait la représentation proportionnelle. Il a tort. Ce qui est stupide est de laisser les institutions en l’état. Ou de penser que l’on peut les améliorer en respectant leur esprit. Jacques Julliard se trompe doublement.
Il se trompe d’abord sur le constat historique. Ce qui a tué la Quatrième République, ce n’est pas la représentation proportionnelle. Ce sont les guerres coloniales et, plus encore, la guerre froide. Pour une raison toute simple : la guerre froide tend à substituer, au conflit de la droite et de la gauche, celui de l’Est et de l’Ouest. À gauche, le Parti communiste est durablement isolé ; à droite, le parti du général de Gaulle, le Rassemblement du Peuple français, refuse toute alliance avec le « régime des partis ». Or le total des deux partis « hors système » approche alors la moitié du corps électoral. Pour constituer des majorités, il semblait alors qu’il n’y avait pas d’autre solution que de rassembler une partie de la gauche et une partie de la droite. Comment, sur cette base, les majorités peuvent-elles être stables, quel que soit le mode de scrutin ? La République n’a pas souffert d’un mode de représentation qui empêchait la formation de majorité, mais de ce que les majorités du centre tuent la gauche dans ses valeurs et donc dans sa dynamique. De quoi peut mourir la gauche aujourd’hui ? De ce qu’elle se positionne au centre, au nom des contraintes de la « gouvernance ». De quoi peut mourir la République ? De ce que la droite est trop à droite pour la respecter et de ce que la gauche n’est pas assez à gauche pour la défendre.
Julliard se trompe par ailleurs sur le constat présent. Si la crise est à la fois économique, sociale, politique et morale, c’est que nous subissons les effets d’une trentaine d’années dominées à la fois par la logique économique de l’ultralibéralisme et par la méthode technocratique de la gouvernance. Le pouvoir de décider s’est concentré, la représentation s’est affaiblie, les citoyens se sont sentis écartés. Or c’est l’esprit même des institutions, son présidentialisme et son tropisme bipartisan qui ont généré cette dépossession. Si l’on veut se sortir de la crise, il faut se sortir de cette logique-là. Si la Cinquième République se limitait au changement de mode de scrutin, je comprendrais à la rigueur les doutes qui s’expriment. Mais qui propose de s’en tenir à cela ?
Le fond de la crise est dans le gouffre qui sépare désormais la société et les institutions politiques. Les citoyens ont le sentiment qu’ils ne sont pas représentés ; ils ont le sentiment que les choses leur échappent de plus en plus. Comment combler ce gouffre ? En améliorant la représentation tout d’abord : en rendant possible une correspondance visible entre les représentants et les représentés, en n’écrasant pas les opinions minoritaires jusqu’à les nier, en déprofessionnalisant la politique, en accélérant la rotation des responsabilités publiques, en élargissant la citoyenneté. Les citoyens se sentent mis à l’écart ? Multiplions les occasions de les associer, de les solliciter, de les impliquer directement, dans l’élaboration de la loi, dans la gestion des biens communs, dans les choix les plus décisifs, nationaux ou supranationaux. Améliorons la représentation et ouvrons la voie à une démocratie d’implication, à la fois politique, économique et sociale.
En bref, essayons-nous à une République nouvelle. Historiquement, cet effort serait une première pour la gauche. Jusqu’à ce jour, la réforme constitutionnelle a été plutôt l’apanage de la droite. La gauche, elle, se réclamait volontiers de la priorité de l’économico-social sur l’institutionnel. Changeons « l’infrastructure », la « superstructure » institutionnelle viendra plus tard. Résultat : la gauche au pouvoir s’est détournée de l’œuvre de subversion institutionnelle (à l’époque du Front populaire), ou elle s’est coulée dans les moules d’institutions dont elle n’avait pas voulu (après 1981). Au final, elle s’est coupée les mains. Ce qui est stupide, cher Jacques Julliard, c’est de penser agir sans ses mains.