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Sur http://www.unir.asso.fr/2008/02/13/recomposition-politique%e2%80%a6/#more-184

Christian Picquet

13 février 2008

Qui peut encore feindre de l’ignorer ? Les municipales ouvriront, selon toute probabilité, le grand chantier d’une recomposition du champ politique hexagonal. Le « trou d’air » qui affecte présentement Nicolas Sarkozy dans les sondages, sa disgrâce auprès des secteurs populaires qui l’avaient porté à l’Élysée en lui faisant crédit de son discours sur le pouvoir d’achat, la sanction électorale qui va frapper les candidats du pouvoir dans de très nombreuses communes sont de nature à accélérer des reclassements jusqu’alors en suspens. À droite et à l’extrême droite, ils vont rouvrir l’espace de tous les courants qui cherchent à incarner une solution de rechange à un sarkozysme qui n’apparaît plus, autant qu’auparavant, garant de victoires. À gauche, ils vont pousser aux clarifications stratégiques.

À cet égard, à un mois du scrutin, la question de l’alliance au centre apparaît bel et bien au cœur de la mutation en cours du Parti socialiste. Avant même le premier tour, dans des métropoles aussi importantes que Dijon, Montpellier, Tours, Roubaix ou Grenoble, les listes emmenées par de grandes figures de ce dernier incluent des représentants du Modem. L’argumentation de la rue de Solferino, selon laquelle il ne s’agirait que « de ralliements individuels et non d’un accord de parti à parti », ne résiste pas à l’analyse. Elle exprime plutôt la crainte que la reconnaissance de cette nouvelle démarche ne provoque, à gauche, un traumatisme d’autant plus dangereux que les sections socialistes ont, dans plusieurs villes dirigées par des communistes, rompu les alliances traditionnelles qui unissaient le PS au PCF. Au demeurant, pour le second tour, ce n’est un mystère pour personne que des accords en série se trouvent d’ores et déjà en cours de négociation avec les amis de François Bayrou. Y compris à Paris, où Bertrand Delanoë vient, une nouvelle fois, de le reconnaître dans un entretien donné au Journal du dimanche.

L’alliance au centre devient réalité

Quoique ébranlé par les défections en cascade de notables faisant le choix du ralliement à l’UMP, le centriste béarnais affiche dorénavant une visée dont il faut reconnaître la cohérence : une « alliance des reconstructeurs », qui rassemblerait « toutes les grandes familles de la République, des forces de gauche, des forces du centre démocratique et la partie la plus consciente de la droite républicaine ». Un scénario qui ressemble à s’y méprendre à celui qui a, de l’autre côté des Alpes, présidé à la formation de l’Union sous l’égide de Romano Prodi. Et qui éclaire la démarche du chef de file du Modem, lorsqu’il s’emploie, contre vents et marée, à bâtir un appareil politique à sa main pour, le moment venu, en faire le centre de gravité d’une alliance avec le social-libéralisme.
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Bien sûr, ici, nous n’en sommes encore qu’au prologue d’une semblable évolution. Tout dépendra, in fine, de ce qui se passera au cœur de la gauche et sur le front des mobilisations sociales. D’ailleurs, le débat à fleurets mouchetés qui se déroule au sein de l’appareil socialiste révèle une certaine inquiétude à l’idée que la crise sans fin de la principale composante de l’opposition parlementaire pourrait offrir à François Bayrou les clés d’une future alternance institutionnelle. Mais, et il s’agit bien là du trait fondamentalement nouveau du moment politique présent, il ne s’exprime désormais plus de refus de principe d’une recomposition au centre, autrement dit d’un rassemblement qui, pour la première fois depuis très longtemps, viendrait transcender le clivage gauche-droite (s’il n’a jamais manqué de tentatives en ce sens dans le passé, elles se sont en général achevées sur des échecs cinglants). En écrivant « plus de refus », il me faut évidemment préciser : sont seulement évoqués les courants ayant une chance d’influer sur les destinées du PS, non les secteurs de gauche dont on voit mal, en dépit du courage de leurs militantes et militants, de quels moyens ils pourraient bien disposer maintenant pour redresser leur formation.

Pour être plus précis, l’affrontement qui se profile entre Ségolène Royal et Bertrand Delanoë pour le leadership de la « vieille maison » ne saurait s’interpréter comme mettant aux prises un blairisme à la française et l’héritage de la reconstruction d’Épinay (qui, en 1971, s’était fondée sur la stratégie d’Union de la gauche), mais comme une confrontation entre deux variantes d’une même adaptation aux exigences contemporaines de la gestion du capitalisme libéral. Une confrontation qui ressemble quelque part à celle qui, en Italie, a opposé les partisans d’une coalition sous les auspices de l’ancien président de la Commission européenne, aux amis de Walter Veltroni qui, eux, prônaient le rassemblement des Démocrates de gauche (les sociaux-libéraux lointainement issus de la dérive du PCI) et des démocrates-chrétiens de la Marguerite au sein d’un même parti, sous la houlette des premiers.

Parlons franchement. Quel que soit le scénario qui prévaudra, il menacera la gauche et le monde du travail d’une régression catastrophique, doublée d’une authentique désintégration idéologique. L’exemple italien, encore lui, vient attester que ce genre de processus prélude inexorablement à de grandes défaites. Sauf si le glissement à droite de l’échiquier politique traditionnel - qui, en France, ne traduirait ni l’état de l’opinion, ni l’évolution en profondeur du peuple de gauche - se voit contrebalancé par l’émergence d’une nouvelle force, résolument à gauche et à même de dessiner les contours d’une alternative crédible de changement social. On peut, pour s’en convaincre, se livrer à la comparaison rapide des cas allemand et transalpin : face à l’alliance gouvernementale de la droite et du SPD, l’émergence de Die Linke outre-Rhin (quels que soient par ailleurs les problèmes que connaît cette expérience) a aidé au déploiement de résistances sociales spectaculaires, à la reconstruction d’un rapport de force face à l’offensive libérale, et même à une évolution à gauche du débat politique ; à l’inverse, la satellisation de Refondation communiste par le « centre gauche » a produit la disparition pure et simple de toute issue porteuse d’espoir pour les classes populaires, permettant à Berlusconi de revenir aux portes du pouvoir, plus menaçant que jamais. 
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Combattre ou cautionner

De ce point de vue, l’embarras que manifestent simultanément la direction du Parti communiste ou les courants de la gauche socialiste se révèle préoccupant. Non, bien sûr, que l’on puisse les suspecter d’adhérer à des alliances dont ils savent pertinemment qu’elles généreront une confusion dévastatrice. L’histoire de ce pays constitue, au demeurant, un puissant antidote contre ce genre de dérives : le rejet des politiques de « troisième force » (comme on désignait, sous la IV° République, les majorités parlementaires unissant la SFIO à certaines fractions conservatrices) a toujours distingué gauche de reniement et gauche de transformation. Cela dit, l’absence de bataille à la mesure de l’enjeu peut vite rendre otage, ou caution, de choix totalement contradictoires avec un engagement réellement orienté à gauche.

Ce 8 février, le conseil national du PCF aura, par exemple, dénoncé « les manœuvres d’élus socialistes » cherchant « leur salut du côté du Modem ». Mais il aura simultanément refusé une proposition rejetant toute participation à des listes ouvertes à droite, se contentant d’encourager « les communistes confrontés à ces situations à continuer de se battre pour affirmer la visibilité des idéaux progressistes » (l’Humanité du 11 février). Que comprendre à une position aussi tortueuse ? Alors que des sections du PCF ont déjà fait le choix de figurer sur des listes allant jusqu’au Modem, doit-on se préparer à en voir bien d’autres céder à la volonté de leurs partenaires socialistes entre les deux tours, pour se retrouver à leur tour en partenariat avec ce secteur de la droite (à Paris notamment) ? Verra-t-on demain des élus communistes participer, main dans la main avec ces partisans affichés de l’orthodoxie libérale que sont les centristes, à des majorités municipales tournant franchement le dos aux besoins des populations en matière de logement social, de services publics ou de gestion municipalisée de l’eau ? L’adaptation à la norme du libéralisme, qui représentait déjà la tendance dominante de nombre de municipalités d’Union de la gauche, va-t-elle se généraliser, emportant avec elle toute lisibilité des choix d’orientations fondamentales qui fracturent la gauche ? Des questions qui valent également pour les socialistes de gauche qui ont, pour le moment, choisi de ne rien dire de leur attitude si, d’un tour à l’autre, les listes dont ils sont membres s’ouvraient à droite.

En entendant Marie-George Buffet se féliciter à l’avance de l’accroissement du nombre d’élus de son parti à l’issue des scrutins municipaux et cantonaux, on comprend mieux les motivations tactiques d’un positionnement en demi-teinte. Sauf qu’un gain obtenu à la faveur d’une poussée électorale survenant en pleine désillusion sarkozyenne ne saurait ni effacer l’échec de la présidentielle, ni relativiser la discussion sur l’avenir qui se mène entre communistes, ni rouvrir par lui-même « la question de la construction d’une alternative de changement réel », pour reprendre les termes d’un responsable communiste, Jean-François Gau. « Nous pouvons écorner l’idée que le Parti communiste est mort », dit encore la secrétaire nationale du PCF. Très bien ! L’ambition semble toutefois fort étriquée face à ce qu’il faut bien considérer comme une crise historique de la gauche, au possible changement de conformation de cette dernière, et à la marginalisation durable dont elle menace les forces de transformation sociale.

Un « pôle démocrate » s’esquisse à travers la convergence du PS et du Modem. Il ne fait que souligner davantage l’urgence d’une autre gauche… De rupture celle-là…

Tag(s) : #Débats
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