Les praticiens à diplôme hors Union européenne sont nombreux à se retrouver sans possibilité d’exercer en France depuis le 1er janvier. Une situation kafkaïenne que prolonge la loi immigration.
le 10.01.24 à 16:24
Un début d’année chaotique. Alors que la France connaît une pénurie de personnel médical sans précédent, certains praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) n’ont plus d’autorisation d’exercer, ni de contrat depuis le 1er janvier 2024, faute d’avoir réussi un concours.
Le 2 janvier, Halim, médecin spécialisé en diabétologie dans un hôpital francilien et vice-président de l’association Ipadecc (Intégration des praticiens à diplôme étranger engagés contre la crise), était proche de se retrouver sur le carreau.
« Mon contrat touche à sa fin, ensuite, je ne sais pas ce que je fais. En parallèle, j’ai déposé une demande de renouvellement de titre de séjour pour situation familiale, comme ma conjointe, qui est enceinte, est française. Tout cela est complètement absurde alors que nous sommes insérés depuis des années dans le système hospitalier français », explique celui qui, en parallèle, n’a « jamais cessé de valider des diplômes universitaires en diabétologie, notamment sur les nouvelles technologies de pompe à insuline et en addictologie ».
Dans ce contexte lourd de la loi immigration, Laurent Laporte, du collectif des médecins de l’Ufmict-CGT, qui les soutient dans leur combat, constate que « tout se passe dans une opacité extrême. Plus de 1 000 praticiens étrangers travaillant aux urgences se retrouvent sans rien. Le gouvernement se fout totalement de la population et de l’hôpital public. Il ne sait répondre qu’avec sa xénophobie habituelle. À croire que les gens qui portent ces idées nauséabondes ne se préoccupent pas d’être soignés ».
Mises en place par le ministère en 2020, les épreuves de vérification des connaissances (EVC), un concours très sélectif avec environ 20 % de réussite, sont devenues la seule voie pour accéder au plein exercice (comme pour leurs homologues français). Instauré juste après le tsunami du Covid pour le système de santé, il avait suscité un tollé, empêchant des titularisations massives. En 2023, selon la CGT, ils sont plus de 2 000 à avoir échoué aux EVC et à se retrouver le bec dans l’eau.
« Seuls 300 généralistes sur 4 500 régularisés »
Comme de nombreux confrères, Wilson, médecin urgentiste dans le sud de la Charente, les a ratées de peu. Il estime que ce processus est à revoir de A à Z. « Pour avoir les EVC, il suffit d’apprendre bêtement, or nous n’avons pas le temps de réviser avec le travail. Ce concours ne reflète pas notre niveau, ni nos compétences. Ceux qui le réussissent sont souvent des médecins étrangers qui le préparent à distance. Nous avons en plus appris que 50 % des places ouvertes ont ensuite été supprimées en médecine générale, sans que l’on sache pourquoi. » Si certains arrivent à passer cet obstacle, ils enchaînent ensuite avec deux à quatre ans de parcours de consolidation, avant de finalement devenir, sous conditions, praticiens hospitaliers.
Inès 1, médecin généraliste, dont la dernière affectation était en gériatrie, misait, elle, sur son investissement en première ligne durant le Covid pour obtenir une régularisation sur dossier, rendue possible par la loi Stock. Elle n’a finalement pas fait partie des heureux élus. « Seuls 300 généralistes sur 4 500 médecins ont été régularisés. Les spécialistes ont été privilégiés », souligne celle qui tient à rappeler que « les mouvements migratoires ont toujours été nécessaires à l’économie ».
En arrêt maladie, la blouse blanche de 36 ans a vu son contrat prendre fin au 31 décembre. « Tous les six mois, je devais redemander un titre de séjour et mon contrat était renouvelé, se souvient-elle d’une voix brisée. C’est une énorme source de stress. Là, mon titre va jusqu’à la fin du mois de janvier. Et ensuite ? J’ai développé un cancer et je suis en plein traitement à l’hôpital. Vais-je pouvoir continuer à me soigner ? » Pendant six ans, la jeune femme d’origine tunisienne a enchaîné les contrats sous-payés dans son centre hospitalier du Val-d’Oise.
En tant que stagiaire associée, elle gagnait 1 480 euros net par mois et changeait de service « en fonction des besoins ». « Je mangeais un repas par jour, celui de l’hôpital, explique-t-elle. Je ne viens pas d’une famille riche et je dois aider à payer les études de mon frère. Je n’ai aucun loisir, je ne prends pas de congés car je ne peux pas partir. Je n’ai jamais compté mes heures. »
“Les médecins étrangers hors-UE sont considérés comme les éboueurs du système de santé !”
Laurent Laporte, CGT
La majorité des 10 000 Padhue exerçant en France sont plongés dans la précarité. Halim est praticien attaché associé (PAA), un statut en voie d’extinction qui donne droit à un meilleur salaire, autour de 2 400 euros net. « Avant, quand j’étais stagiaire associé en Alsace, je faisais 10 à 15 gardes par mois pour avoir un revenu correct, sans pouvoir prendre les repos de sécurité. On nous en demande encore plus, vu notre parcours. Aujourd’hui, dans mon service de diabétologie, le seul du département, beaucoup de médecins sont Padhue et un seul a eu le concours. Comment va-t-il pouvoir continuer à fonctionner ? »
Comme le martèle Laurent Laporte, « ils occupent des postes dont les internes français ne veulent pas. Ils travaillent majoritairement dans les déserts médicaux. Alors qu’ils ont parfois des responsabilités dans leur service, ils sont considérés comme les éboueurs du système de santé ! Le gouvernement préfère jouer le turn-over et recruter de nouveaux Padhue qui viennent d’arriver pour les payer encore moins cher… »
Face à cette aberration, l’exécutif se retranche derrière la loi dite Valletoux (visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial de professionnels) comme seule maigre perspective proposée aux Padhue. Elle offre la possibilité d’exercice provisoire de treize mois supplémentaires, à condition de s’inscrire à nouveau aux EVC. Mais le décret d’application n’a pas encore été publié… « Ça ne nous intéresse pas, ça nous maintient encore dans l’incertitude avant le prochain changement de loi ! » tranche Halim, « déçu » par ce qu’il croyait être « le pays des droits de l’Homme ».
Errements législatifs et administration kafkaïenne
Dans la très contestée « loi immigration », une disposition permet aussi la délivrance d’une carte de séjour « talent » de quatre ans, mais elle ne concerne que les lauréats du fameux concours… Pris en étau entre les errements législatifs et une administration kafkaïenne, les docteurs ne savent pas non plus quand se tiendront les prochaines sessions des fameuses EVC, qui n’ont pas eu lieu pendant le Covid, ni en 2022.
Comme le rappelle Laurent Delaporte, des solutions existent pourtant : « Aux Antilles et en Guyane, les Padhue peuvent exercer dix ans et ne sont pas obligés de passer ce concours. Si le gouvernement avait un esprit plus cartésien, il pourrait simplement contrôler leur niveau professionnel, regarder leur dossier, au lieu de tout complexifier et de laisser la pénurie médicale s’accélérer. »
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Ces derniers jours, Wilson multiplie les coups de fil à l’agence régionale de santé (ARS), textes de loi à l’appui, pour tenter de garder son poste. Il se réfère à une instruction de la Direction générale de l’offre de soins (Dgos) du 13 juillet permettant de justifier des dispositions dérogatoires d’autorisation d’exercice, notamment en attente du passage des fameux EVC. « Pour l’instant, ils ne veulent rien entendre, soupire celui qui est arrivé en France en 2019. Or, dans mon service d’urgences, je suis inscrit sur le planning jusqu’en mai. Déjà qu’on ne tient pas quand un collègue est en arrêt maladie, là, c’est impossible pour ceux qui restent. L’injustice est totale. Médecin, c’est ma vie, je ne sais pas quoi faire d’autre. »
Face à l’urgence de sa situation, Inès a fini par solliciter un titre de séjour pour raison médicale. Mais elle se préoccupe avant tout de ses patients : « Que vont-ils devenir ? S’interroge-t-elle. Quand en pédopsychiatrie, où j’ai exercé un temps, les cinq praticiens sont partis, le service a fermé alors que la pandémie a fait des ravages chez les enfants. Je pense aussi à eux. Je sais que je pourrais toujours rebondir en Suisse ou en Allemagne, des pays qui reconnaissent nos compétences, contrairement à la France. » Pour exiger leur réintégration 2, la CGT, l’Ipadecc et le Supadhue appellent à une nouvelle manifestation, le 18 janvier, devant le ministère de la Santé et des Solidarités.
- Le prénom a été changé. ↩︎
- Une pétition de soutien a été lancée pour réintégrer les médecins à diplôme hors Union européenne dans nos services hospitaliers. ↩︎