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Lu sur Les migrations sont largement dues au changement climatique (reporterre.net)

Les migrations sont largement dues au changement climatique

Alors que le projet de loi Asile et immigration est débattu le 11 décembre, des migrants témoignent à Calais que les effets du changement climatique font partie des causes de départ. Mais le droit ignore ce phénomène.

Calais (Pas-de-Calais), reportage

« Nous vivons une guerre civile, le gouvernement souhaite effacer l’identité africaine du pays », s’inquiète Mohammed Ali, en tendant ses mains vers les flammes. Originaire de la région du Darfour, au Soudan, cela fait quatre mois que cet ancien professeur d’anglais est bloqué à Calais. Comme lui, entre 2 000 et 2 500 personnes y survivent dans des conditions extrêmement difficiles, dans l’attente d’un passage clandestin de la frontière.

Certains ont été poussés par les extrêmes météorologiques à se déplacer jusqu’ici. Les motivations climatiques des migrations ne sont pourtant toujours pas prises en compte dans les politiques migratoires. Et la loi Asile et immigration, débattue le 11 décembre, devrait davantage réduire les droits de ces exilés.

Assis autour d’un maigre feu de bois, sous une bâche tendue entre quelques palettes, Mohammed Ali témoigne des raisons qui l’ont poussé à partir. « Pour arriver à ses fins, le gouvernement arme des milices arabes, les Janjawids. J’ai perdu mon père dans une attaque. Quand notre bétail nous a été volé, j’ai quitté le village. »

Au conflit identitaire se superposent des intérêts pécuniaires. « Ces gens sont aussi motivés par les pillages et l’accaparement de nos terres », ajoute Mohammed Ali. Une motivation attisée, selon certains observateurs, par la récurrence croissante des sécheresses. Pourtant, dans les témoignages des déplacés du Darfour, l’aspect climatique du conflit n’est quasiment jamais mis en avant.

Mohammed Ali est arrivé à Calais depuis quatre mois. © Julia Druelle / Reporterre

Dimension non reconnue

« Est-ce que certaines des personnes qui sont à Calais sont des réfugiées climatiques ? C’est une question complexe », dit Juliette Delaplace, chargée de mission du Secours catholique à Calais. « Lors des discussions que nous avons avec les personnes exilées pour préparer leur demande d’asile, je pense que nous, associatifs et exilés, avons tendance à biaiser un peu : ce que l’on cherche à savoir, c’est si ces personnes peuvent être protégées. Or la Convention de Genève [sur laquelle s’appuient l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile] ne prend pas en compte la dimension climatique de la migration. »

Ce traité international, signé par la France en 1951, vise en effet à protéger les personnes persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques. « Il n’y a pas là de place pour les personnes qui seraient déplacées pour des raisons climatiques. Au moment de la rédaction de leur demande d’asile, elles vont donc avoir tendance à présenter les motifs de leur exil sous les seuls angles reconnus. »

Au statut de réfugié ainsi défini s’ajoute la protection subsidiaire, qui protège ceux risquant la peine de mort, la torture ou les traitements inhumains ou dégradants dans leur pays. Nulle mention ici non plus du facteur climatique.

32,6 millions de personnes seraient actuellement déplacées dans le monde pour des raisons climatiques. Ici, le camp à Calais. © Julia Druelle / Reporterre

« Cependant, quand on cherche les raisons de ces conflits, et notamment au Darfour, on voit que les causes climatiques sont extrêmement présentes », observe Juliette Delaplace. Elles viennent compliquer des situations déjà difficiles dans lesquelles s’entremêlent tensions ethniques, crises démocratiques et pauvreté endémique, et nourrissent la compétition autour de certaines ressources. « Mais on ne remonte en général pas jusqu’à cette causalité-là. »

32,6 millions de personnes seraient actuellement déplacées dans le monde pour des raisons climatiques, en majorité dans leur propre pays, selon un rapport publié en mai par l’ONG Observatoire des situations de déplacement interne.

« Ce n’est pas un environnement viable »

Imrane, contacté au téléphone par Reporterre, fait partie des jeunes exilés dont la demande d’asile a été accompagnée par les associatifs calaisiens. Originaire du Tchad, il a passé quelques mois à Calais avant de se décider à déposer une demande en France. Issu d’une famille d’agriculteurs ouaddaïs, il explique que le changement climatique a aggravé les rivalités ethniques préexistantes dans son pays : l’avancée de la désertification au Sahel a changé les habitudes de transhumance des tribus d’éleveurs nomades, exacerbant les tensions avec celles vivant de l’agriculture.

« Les éleveurs font entrer leurs troupeaux dans nos champs, ravageant les cultures, précise-t-il. Cela entraîne des heurts violents. Toutes les familles sont endeuillées, j’ai perdu mon plus jeune frère. »

Chaque année, ces conflits récurrents font au Tchad plusieurs centaines de morts. « Un jour, alors que je récoltais du riz, des gens sont arrivés avec des centaines de têtes de bétail. Ils ont commencé à nous tirer dessus. Je refusais jusqu’ici de partir, car je ne voulais pas laisser ma mère, mais ce jour-là, j’ai décidé de ne pas rentrer chez moi.  »

Serge a quitté le Niger en janvier dernier. © Julia Druelle / Reporterre

« C’est une accumulation de facteurs qui m’a décidé à partir », relate Serge en dénouant son écharpe. Âgé de 33 ans, il a quitté le Niger en janvier dernier. Hébergé par un citoyen solidaire, Serge n’est pas venu ici dans l’espoir de passer la frontière britannique.

Arrivé en France il y a quelques mois seulement, il a souhaité reprendre ses études au plus vite. Les facilités offertes par l’Université du Littoral — qui propose un accompagnement dans la demande de ce document indispensable à l’inscription — l’ont amené à Calais, même s’il est démuni de titre de séjour. Étudiant en Sciences de la vie, il souhaite à terme travailler à la protection de la biodiversité.

« Les gens de mon village font partie d’une ethnie d’agriculteurs, détaille-t-il. Il y a quelques générations, des nomades appartenant à l’ethnie peule, qui sont surtout des bergers, sont arrivés. Mes grands-parents leur ont donné des terres pour qu’ils puissent s’installer. Mais maintenant, leurs descendants en veulent d’autres et se sont pour cela liés aux groupes terroristes présents dans la région. »

La désertification entraîne une raréfaction des terres cultivables

Ici aussi, la désertification entraîne une raréfaction des terres cultivables, qui, selon les experts, alimente la compétition entre les groupes. « Si tu oses protester lorsqu’ils font paître leurs bêtes dans ton champ, tu risques des représailles. Ce n’est pas un environnement viable. De plus, j’étais visé personnellement, car je fais partie de la minorité catholique. »

« Réfugié », « migrant économique », « migrant climatique » : si l’étiquette accolée à une personne migrante influence la manière dont est perçue sa légitimité à se déplacer, elle est donc difficile à déterminer, parce que les causes des migrations sont souvent interconnectées.

Fin septembre, le Secours catholique a publié un rapport dans lequel l’association plaide pour la reconnaissance de la responsabilité des pays industrialisés — qui ont bouleversé le climat — dans les migrations climatiques, provenant majoritairement des pays faiblement émetteurs de gaz à effet de serre. Il s’agit d’agir à long terme sur les causes du changement climatique, de le gérer et d’en anticiper les effets, afin que les populations touchées puissent avoir le choix de partir de façon libre et consentie, ou de rester en toute sécurité : une émigration « choisie », plutôt que « subie », par les déplacés climatiques.

Ses auteurs défendent un droit à l’immigration plus inclusif, et préconisent une approche de la mobilité environnementale fondée sur les droits humains, prenant « en compte les droits fondamentaux des personnes plutôt que leur statut ». « Il ne s’agit pas d’ajouter une nouvelle étiquette qui serait celle de “réfugié climatique”, explique Juliette Delaplace, mais de développer les possibilités de mobilité libre. » Un double renversement de paradigme, en somme.

Tag(s) : #Réfugiés
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