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Lu sur L’union est une culture et pas seulement un programme ou une posture - Regards.fr

L’union est une culture et pas seulement un programme ou une posture

Dans son dernier ouvrage Pourquoi la gauche a perdu. Et comment elle peut gagner, paru en août dernier, l’historien Roger Martelli écrit tout un passage sur l’union, cette problématique qui ne cesse de secouer la gauche. Nous en reproduisons ici les bonnes feuilles, d’une rare pertinence.

La Nupes est un acquis de l’année 2022. Paradoxalement, elle est advenue par la volonté d’un homme, Jean-Luc Mélenchon, qui en avait refusé farouchement le principe dans les années précédentes, et ce jusqu’à l’élection présidentielle qui a confirmé qu’il était bien le candidat perçu comme le plus à gauche et le plus utile. L’annonce de l’accord à gauche a été en tout cas une bouffée d’air pour un peuple de gauche qui souffre de l’éclatement des chapelles et de l’absence d’union. Il reste que les composantes de cette Nupes ne doivent oublier, ni qu’elles ne sont pas sorties de la minorité qui pénalise la gauche depuis 2017, ni que leur alliance ne semble pas mobiliser aujourd’hui la totalité du champ potentiel de la gauche française.

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Et comment elle peut gagner


On discute donc beaucoup, depuis juin 2022, sur l’avenir de cette coalition électorale inédite. Certains la critiquent ouvertement, parce qu’ils la jugent trop « radicale » et trop dominée par la France insoumise, peut-être en fait parce qu’ils regrettent le temps où un Parti socialiste « raisonnable » et recentré dominait la gauche tout entière. D’autres veulent continuer la Nupes, mais s’interrogent sur ses modes de fonctionnement, sur ses procédures de décision, sur le poids considérable de la France insoumise dans son existence visible. Comme c’est souvent le cas, les débats de fond se cristallisent sur des questions particulières, par exemple la définition d’un cadre de décision clairement défini et validé en commun, ou plus encore la stratégie électorale de 2024 à 2027. Et, comme toujours, ces enjeux sont l’objet de passes d’armes entre organisations et courants, où se mêlent la conviction et l’arrière-pensée, le débat de fond et le jeu de position. Un jeu dont l’objectif réel est trop souvent de montrer aux yeux de l’opinion qui est la force réellement unitaire et qui joue la division…

On ne se risquera pas ici à dire que les débats sur les contours, le fonctionnement et les tactiques électorales de la coalition n’ont qu’une importance mineure. Il faudra bien se demander quelle est la meilleure façon de contenir la poussée de l’extrême droite, et d’y parvenir dès les prochaines échéances électorales. Pour l’instant, les indices électoraux existants et les données de sondage nourrissent des argumentaires opposés et, en eux-mêmes, ne permettent pas de trancher de façon péremptoire entre les choix possibles. Faut-il se fixer pour objectif avant tout de dépasser le Rassemblement national, ce que la Nupes rassemblée semble seule en état de faire ? Ou bien faut-il que la gauche dans son ensemble fasse mieux que le total des extrêmes droites, ce qui risque d’être inatteignable pour la Nupes telle qu’elle est et telle qu’on la perçoit, quand bien même elle serait rassemblée ?

Une réponse claire à ces questions devra être donnée dans les tout prochains mois. Mais le choix nécessaire ne devrait pas faire oublier ce qui est aujourd’hui le problème majeur : pour l’instant, la dynamique politique reste à droite, et avant tout du côté de son versant le plus à droite, et cela que la Nupes se présente unie ou divisée. De ce fait, s’il est une carence qu’il faut surmonter, elle ne se situe pas seulement ni même principalement dans la forme de l’union. Elle est avant tout dans le fait que, si l’extrême droite et la droite de gouvernement ont des projets, la gauche rassemblée a un programme, mais pas véritablement de projet lisible, seul capable de donner un sens propulsif à la colère sociale et au désarroi démocratique.

Ajoutons que l’union s’est fondée en 2022 sur un contrat de coalition et sur un programme, mais pas sur une véritable culture de l’union. Que l’on soit ensemble ou pas lors de consultations électorales, une vérité demeure qui devrait à tout moment rester rivée dans les consciences. Cette vérité se décline de trois façons inséparables : l’unité ne vaut rien sans la pluralité qui lui donne toute sa chair ; en sens inverse, « les » gauches n’existent pas sans « la » gauche qui leur évite la parcellisation et un statut minoritaire ; enfin, même en situation de concurrence, tous les courants de gauche sans exception ont une communauté de destin. Or il n’est pas sûr que cette triple conviction soit universellement partagée, dans une gauche trop souvent encline à tracer des limites tirées au cordeau entre le juste et le faux, le légitime et l’illégitime, la fidélité et le reniement.

Toutes les gauches ne se valent pas aux yeux de chaque individu de gauche, mais, à un moment ou à un autre, il sera nécessaire que se constituent des rassemblements de toute la gauche, autour des valeurs communes émancipatrices de l’égalité.

Au sein de la gauche, il n’est certes pas indifférent de savoir qui donne le ton, à condition que la dominante ne tourne pas en hégémonie arrogante. Quand la gauche de rupture est trop minorée, la gauche d’accommodement finit par oublier que le sens du réalisme trouve sa limite quand il accepte, sans garde-fous, les logiques qui tournent le dos aux valeurs de l’égalité. Mais, en sens inverse, si la gauche d’adaptation est minorée à l’extrême, la gauche d’alternative peut finir par oublier que nulle rupture systémique ne peut advenir sans la construction des majorités nécessaires pour la faire aboutir.

Choisir un pôle plutôt qu’un autre est un acte logique, pour ne pas dire nécessaire. Tout faire pour l’enrichir intellectuellement et éthiquement, agir collectivement pour que ce pôle imprime sa marque sur la gauche tout entière : rien n’est plus légitime. Chaque pôle peut certes considérer qu’il est la « vraie » gauche, comme les tenants de la république démocratique et sociale pensaient autrefois qu’ils promouvaient la « vraie », la « bonne » république. Mais la « vraie » gauche n’est pas « la » gauche. La distinction de soi n’implique pas la négation de l’autre. Toutes les gauches ne se valent pas aux yeux de chaque individu de gauche, mais, à un moment ou à un autre, il sera nécessaire que se constituent des rassemblements de toute la gauche, autour des valeurs communes émancipatrices de l’égalité.

Quand la gauche échoue, partout dans le monde, ou quand elle hésite sur son avenir possible, les débats resurgissent périodiquement pour dire que cette gauche pèche par manque de « radicalité » ou, au contraire, par manque de « réalisme ». S’en tenir à ce dilemme équivaudrait à dire que la clé de la réussite ou de l’échec se réduit à une question de plus ou de moins. Ce serait ignorer que la pertinence des politiques choisies dépend avant tout de la maîtrise d’un équilibre entre la légitimité d’un choix (pour s’adapter à un système ou pour le contredire) et la capacité à bâtir des majorités pour le faire vivre.

Pour un parti pris de rupture, l’essentiel n’est donc pas de savoir si l’on doit adopter ou non une posture « radicale », mesurée à la vigueur ou à la virulence des mots et attachée à nourrir en permanence le clivage entre le juste choix et la trahison. Vouloir agir à la racine du problème — c’est le sens littéral de la « radicalité » implique bien plutôt de s’attacher à construire les majorités les plus larges possibles pour rompre avec les valeurs, les critères et les méthodes qui, obstinément conduites depuis des décennies, ont conduit notre continent dans l’impasse. Processus maîtrisé de rupture et patientes constructions majoritaires : tels sont les maîtres mots d’une relance à gauche. On ne se risquera pas ici à dire ce qu’il conviendrait de faire pour remettre sur les rails ce qui relèverait plutôt de l’héritage d’une gauche « d’accommodement ». C’est aux tenants de cette tradition de dire s’ils voient son avenir plutôt vers la droite ou franchement vers la gauche… Pour ce qui est de l’état d’esprit d’une gauche de gauche, en tout cas, on se contentera d’espérer qu’elle n’oubliera jamais que nul à gauche ne devrait être exclu a priori du grand œuvre dont l’Europe et chacun de ses États ont besoin aujourd’hui.

Décider des formes nécessaires — union, pluralité assumée pour faire vivre un tel projet est une affaire importante. Elle ne peut pas passer avant la question du projet lui-même sans lequel les gauches, unies ou rassemblées, n’ont pas de sens et donc n’ont pas de force propulsive. Il ne suffit plus aujourd’hui de clamer la nécessité de l’union : il faut comprendre ce qui la freine, dénouer l’écheveau des contradictions qui l’empêchent, construire ensemble les modalités qui la rendent possible et vivable dans la durée et engager le travail sur le récit commun qui la légitime. Au-delà s’ouvre l’espace nébuleux des postures, de la différence à tout prix, des surenchères, des rancunes… et des nouvelles désillusions.

Tag(s) : #A gauche
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