Voici que, dans un bruit de bottes et de déambulateurs, revient le vocabulaire des nostalgiques de l’extrême droite.
L’appel des vingt généraux, publié par Valeurs actuelles, est un fait grave qui mérite de ne pas être laissé sans réplique. Ils s’en prennent à « un certain antiracisme », à « l’islamisme » et au « laxisme » qui menacent la République de « délitement » et appellent ouvertement leurs collègues d’active à se préparer à « la guerre civile (qui) mettra un terme à ce chaos croissant ». Pas un mot bien sûr pour dénoncer les inégalités et les injustices qui sont le vrai terreau de ce supposé « chaos ».
Parmi les fleurs de rhétorique de cette prose militaire, arrêtons-nous sur une expression : « les hordes de banlieue ». « Horde » est un mot qui apparaît en français au XVIe siècle, sous la plume d’Agrippa d’Aubigné, mais il existait sans doute avant. Il vient du mongol « ordu » qui désignait le palais ou le camp de la troupe nomade. Le mot a donné « ordu » en turc, « orda » en russe, « horde » en allemand et en français. On connaît la célèbre Horde d’or, ou Grande Horde des petits-fils de Gengis Khan qui ont envahi le territoire russe au XIIIe siècle. Par extension, le mot « horde » a servi à qualifier toute troupe errante et menaçante. L’utiliser aujourd’hui pour parler d’une partie des jeunes de banlieue renoue avec le vieux discours réactionnaire sur les « classes dangereuses ». Avec une connotation nettement raciste qui stigmatise le danger venu d’ailleurs, de l’étranger. Les hordes sont toujours ceux qui, surgis des fins fonds de l’Orient, menacent et envahissent. Ce sont les barbares.
Selon Hérodote, les Égyptiens nommaient barbares tous ceux qui ne parlaient pas leur langue. Pour les anciens Grecs, les barbares étaient ceux qui étaient étrangers à leur civilisation. Pour les Romains, les peuples qui se situaient au-delà du « limes », la frontière de l’empire. Mais ces barbares pouvaient accéder à la civilisation en faisant acte d’allégeance. Plus tard, le terme s’est spécialisé et l’on a parlé des côtes barbaresques de l’Afrique du Nord pour parler du pays des Berbères…
Plusieurs commentateurs ont justement fait observer que cet appel des généraux intervenait soixante ans après le putsch, en avril 1961, des généraux pro-Algérie française. Ces militaires, au lieu de se taire, dans la tradition de la Grande Muette, radotent ou yoyotent. De quoi donner raison à Boris Vian qui écrivait dans sa pièce le Goûter des généraux :
« – Dites-moi quel est le pluriel de général ?
– Je ne sais pas moi, des généraux ?
– Dégénérés. Un général, dégénérés. C’est comme pour les maréchaux : un maréchal des maraîchers. »