Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Lu sur Rémunération au mérite ou augmentation générale des salaires ? - L'Humanité (humanite.fr)

Rémunération au mérite ou augmentation générale des salaires ?

Sous couvert de « désmicardiser les salaires », le gouvernement envisage de généraliser la substitution des hausses générales par des revalorisations individuelles dans le public comme le privé.

 le 15 avril 2024 à 18:14

Seul le travail est producteur de richesses. Remettre en cause un relèvement collectif salarial, c’est accroître leur accaparement par le capital.

Thomas Vacheron

Secrétaire confédéral de la CGT

Il a fallu des siècles de drames sociaux et de luttes pour que les travailleur·ses ne soient plus la propriété d’un maître, puis que l’on soit payé pour travailler. En économie capitaliste, les patrons payent les salarié·es pour une heure de travail, en dessous de la valeur de ce qu’elle permet de produire et de ce qu’elle rapporte. Les dirigeants d’entreprise s’approprient une partie du travail : la plus-value, que Marx appelle « surtravail », source de profits.

Seule une partie de la journée couvre le salaire, permettant au salarié de « reproduire sa force de travail », tout le reste de la journée il travaille gratuitement. Même, selon economie.gouv.fr, « la richesse produite lors du processus de production, la valeur ajoutée, traduit le supplément de valeur donné par l’entreprise par son activité (le travail) aux biens et aux services (…). Elle se répartit ensuite entre revenus du travail, revenus du capital (…) ». Il n’y a pas création de richesse sans travail… et il n’y a pas de travail sans travailleur·ses.

Or, la part du travail dans la « valeur ajoutée » ne cesse de diminuer au profit du capital. En quarante ans, ce sont 5 points passés des salarié·es vers les détenteurs de capitaux. Plus ils nous parlent de partage de la valeur, plus elle leur profite. Ce n’est pas le travail qui coûte cher mais le capital. En témoigne la « smicardisation » du pays, où près de 20 % des travailleur·ses sont au Smic, soit plus de 3 millions de salarié·es (près de 60 % de femmes).

Pour maintenir les salaires bas : plus les salaires sont faibles et proches du Smic, plus les aides publiques aux entreprises privées sont importantes (exonérations de cotisations qui affaiblissent notre protection sociale). La faiblesse historique de l’écart entre le Smic (seulement 6e d’Europe) et le salaire médian est dramatique. Le problème n’est pas que le Smic soit indexé sur les prix, c’est que les autres salaires ne le soient pas.

Pour stopper le tassement des salaires et « partager la valeur », augmentez les salaires ! La CGT combat aussi les rémunérations à l’objectif, à la productivité, à la présence ou au mérite par les primes occasionnelles non cotisées. Plutôt que ces « pourboires », des millions de salarié·es veulent vivre de leur travail.

Ces primes accroissent le contrôle des travailleur·ses en les individualisant, cassant les collectifs de travail, poussant à la compétition plutôt qu’à la complémentarité, et faisant porter aux salarié.es le risque de l’activité économique (censé être supporté par l’employeur et justifiant, dans leur idéologie, la rémunération du capital).

S’ensuit une double peine : en plus de pertes de salaire en cas de maladie ou de grève, ces primes, souvent supprimées dès les premières heures, mettent une pression supplémentaire pour que les salariés ne s’arrêtent jamais… aberration conduisant jusqu’à contaminer ses collègues par des maladies pour ne pas perdre sa prime, bien méritée… Voici ce que subissent les salarié·es du privé et bientôt ceux du public ? Personne ne « mérite » cela…

 

Les gains de productivité doivent se traduire par des hausses générales. Le mérite ne doit pas être laissé à la seule appréciation des patrons.

Henri Sterdyniak

Co-animateur des Économistes atterrés

Naturellement, la direction des entreprises préfère les hausses de salaires au mérite, puisque cette pratique est censée inciter les travailleurs à travailler plus et, mieux, que cela renforce son contrôle du comportement des salariés, puisque cela culpabilise ceux qui n’ont pas eu d’augmentation, puisque cela diminue le rôle des syndicats, puisque cela peut se retrouver finalement moins coûteux qu’une augmentation générale des salaires. En sens inverse, pour les syndicats, l’augmentation générale des salaires doit permettre aux salaires de suivre l’augmentation des prix et les gains de productivité du travail. Elle renforce la solidarité entre les salariés au lieu de les inciter à jouer « perso ».

Il est légitime que les salaires augmentent au minimum selon un indice reflétant la hausse du prix de la valeur ajoutée, les gains de productivité de l’ensemble de l’économie corrigés du glissement vieillesse technicité, c’est-à-dire de l’évolution moyenne des salaires induite par la hausse des qualifications et de l’âge des travailleurs.

Il serait soutenable que cet indice soit discuté par les partenaires sociaux et publié à titre indicatif pour servir de point de départ dans les négociations. A contrario, Il n’est pas acceptable que l’indice des traitements soit bloqué comme dans la fonction publique, de sorte que les éventuelles hausses de salaires ne se fassent pas par des primes ou des mesures catégorielles. Au-delà de cet indice, il est légitime que l’évolution des salaires tienne compte du mérite de chaque salarié. Reste à savoir comment ce mérite doit être évalué.

Dans une entreprise capitaliste, c’est exclusivement la hiérarchie qui évalue le mérite du salarié selon ce qu’il rapporte comme profit. Dans une entreprise républicaine, le mérite d’un travailleur doit être évalué par son supérieur, certes, mais aussi par ses collègues et par ses éventuels subordonnés. Par ailleurs, tous les salariés doivent avoir des possibilités d’évolution, par la promotion interne et par l’accès à la formation nécessaire.

Dans de nombreuses branches, il serait souhaitable de repenser la grille des rémunérations, de sorte qu’elle commence au Smic et que les augmentations de salaires à l’ancienneté soient réduites, cela en augmentant les salaires à l’entrée.

Par contre, l’évolution des salaires ne doit pas résulter d’un partage de la valeur ajoutée dans chaque entreprise. Les entreprises qui font des superprofits doivent les restituer à la collectivité soit sous forme d’impôt, soit sous forme de baisse des prix, soit par des investissements dans la transition écologique.

La question de fond reste celle de la hiérarchie des salaires dans les différentes activités. Les métiers de production, les métiers de services à la personne, à prédominance féminine, doivent être revalorisés, leurs contraintes et leurs « mérites » reconnus, tandis que certains métiers de faible utilité sociale, trop bien rémunérés (bureaucratie des entreprises, financiers, communicants, commerciaux, fiscalistes, certains cadres dirigeants) doivent être dévalorisés.

Penser l’alternative, d’Henri Sterdyniak, David Cayla, Christophe Rameaux et Jacques Rigaudiat, Fayard, 2024.

 

Tag(s) : #Luttes sociales, #luttes citoyennes
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :