Pour décrédibiliser l’adversaire, le détournement de vocabulaire est une pratique courante. Depuis le début de ce mouvement, des expressions ont refait surface, utilisées par les commentateurs médiatiques et politiques, qui disent le mépris dans lequel « ceux qui luttent » sont tenus. Aux traditionnelles expressions (« prise d’otage », « culture de la grève »…) s’en ajoutent de nouvelles, dont la Macronie se délecte et qu’elle propage de studios en plateaux…
Actions « sauvages » :
Qui dérangent le ron-ron d’un « conflit social de basse intensité », comme défini récemment par le sondeur Frédéric Dabi pour le Journal du dimanche. Exemple : les « coupures sauvages de courant », dénoncées à l’Assemblée nationale par le premier ministre, dépassé par le patron des députés LR Damien Abad, parlant mercredi sur CNews d’ « actes de barbarie », « contraires à l’État de droit ». L’appel à la raison est venu de la « jusqu’au-boutiste » CGT, qui, dans un communiqué daté du 22 janvier, estimait que le « vrai scandale » réside dans le fait que des « dizaines de milliers de foyers (572 000 en 2018, estime-t-elle – NDLR) sont plongés dans le noir et le froid » par manque de moyens financiers.
Galère :
Conséquence logique du taux de soutien à la mobilisation actuelle (51 % des Français expriment toujours leur soutien à la mobilisation, selon l’Ifop pour le Journal du dimanche), de nombreuses rédactions qui dépêchent leurs petites mains dans l’enfer du RER A ou de la ligne 13 du métro parisien ont abandonné le vocable « prise d’otage ». Mais la « galère » reste leur moyen de transport médiatique privilégié (« la galère des usagers sans solution pour Noël », le Figaro du 19 décembre), notamment celle des touristes (voir « galère des touristes dans la capitale », Actu.fr, 3 janvier)…
Grogne :
Un renvoi à « l’animalité des manifestants (…) incapables de produire une pensée, une parole, une action politique », traduit Acrimed dans un « lexique médiatique pour temps de grève et de manifestations » réactualisé à chaque mouvement social. Se décline comme suit : « Grogne des avocats lillois » (la Voix du Nord, le 16 janvier), « Grogne des enseignants du lycée » (le Républicain lorrain, le 20 janvier)…
Pédagogie :
Langage de la « raison » : dès les premières oppositions au projet, un reportage du JT de 13 heures de TF1 (le 14 décembre) expliquait que « le gouvernement veut croire que sa pédagogie peut convaincre ». Hélas ! Hier, sur le site de Challenges, Sophie de Menthon, une des figures du Medef, se désolait que Macron comme son gouvernement « ont minimisé l’importance de faire de la pédagogie sur les réformes »…
Progressistes/contestataires :
Se dit des syndicats anciennement « réformistes », étiquette posée par l’exécutif à la CFDT et à l’Unsa. Par opposition, la CGT, FO et Solidaires sont « contestataires », « protestataires », voire « jusqu’au-boutistes ». On peut réfuter le « en même temps » macronien, et s’entendre sur celui proposé par le secrétaire général de la CGT, qui lors de son congrès en mai 2019 se voulait à la fois « réformiste » et « contestataire ». Car le progressisme (pas celui qu’ont maladroitement tenté de définir dans Le progrès ne tombe pas du ciel deux anciens conseillers présidentiels, Ismaël Emelien et David Amiel), n’est-ce pas induire une notion de « progrès » dans la société, à l’inverse d’un recul de l’âge de la retraite ?
Réforme :
Celle du moment est toujours déclinée avec une majuscule, « La réforme ». Ce qui positive le message malgré son caractère imposé. Par déduction, toute proposition contraire est une « contre-réforme ». Or, rappelait Philippe Martinez dans le Monde en septembre 2015, il faudrait « qu’on se mette d’accord sur ce qu’est une réforme. La casse du Code du travail, ce n’est pas une réforme. La semaine de 32 heures (proposée par la CGT – NDLR), c’est une réforme ».
régimes Spéciaux ou spécifiques :
L’emploi du premier terme est à bannir. Alors, le gouvernement tente de populariser le second. « La nuance est subtile », soulignait RTL, le 7 janvier, en écrivant qu’Édouard Philippe « réfute l’accusation selon laquelle les régimes spéciaux, destinés à disparaître, vont devenir des régimes spécifiques ». Pas pour Marc Fiorentino, porte-parole de meilleurplacement.com, « précurseur de l’assurance-vie en ligne depuis 1999 » (sic), invité hier à s’exprimer sur le site Internet LesEchos.fr : « Nous savions déjà que cette réforme n’avait plus d’universel que le nom, tant les régimes spécifiques, on ne dit plus régimes spéciaux, sont nombreux. » Depuis, derrière les policiers et gendarmes, plusieurs professions sont en effet passées du régime « spécial » au régime « spécifique ».