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« Je vous en prie, méfiez-vous du modèle allemand ! » Steffen Lehndorff, économiste

Entretien, par Mathilde Goanec| 22 janvier 2013

 

Regards.fr. En quoi les réformes du marché du travail ont eu un effet sur la « paupérisation » du salarié et sur le développement des bas salaires ?

Steffen Lehndorff. Aujourd’hui en Allemagne, plus d’un travailleur sur cinq, soit 22 % des actifs, gagne moins des deux tiers du salaire moyen, ce qui est la définition d’un bas salaire. Il y a une multitude de raisons à cela : les ouvriers couverts par une convention collective par secteur ne sont désormais pas plus de 60 %, alors même que l’extension de règles collectives émises par le ministère du Travail a été quasiment abandonnée. Ce que nous appelons les « mini-jobs »sont aussi devenus bien plus attractifs pour les employeurs et les employés. Sans compter que le démantèlement partiel de l’assurance chômage a forcé de nombreuses personnes à accepter des emplois à n’importe quelles conditions et à des niveaux moins élevés de qualification. Tout ceci, bien sûr, exerce une énorme pression sur tous les autres travailleurs, tous comme les standards extrêmement faibles qui ont cours pour un million de travailleurs intérimaires.

L’Allemagne est aussi connue en France pour la qualité de son dialogue social. Le milieu syndical allemand est-il toujours aussi puissant aujourd’hui ?

Les syndicats sont beaucoup moins fragmentés qu’en France et le taux de syndicalisation est meilleur. Mais depuis dix ou vingt ans, ils ont perdu de leur influence politique. Notre « partenariat social » a été endommagé par le tournant néolibéral de ces dix dernières années. Dans l’industrie de services, il devient très difficile d’aller au bout d’une convention collective. Le syndicat du secteur tertiaire, par exemple, a dû organiser de très lourdes campagnes simplement pour mettre sur pied des comités d’entreprise dans certains supermarchés. Si on regarde à plus long terme, dans les services publics, mais également dans l’industrie, la relation est devenue plus conflictuelle.

Pourquoi n’y a-t-il pas de salaire minimum en Allemagne ?

Quand les syndicats et le principe de la négociation collective ont commencé à être affaiblis, à la suite de la réunification allemande, le secteur des bas salaires s’est développé, d’abord à l’Est, puis progressivement à l’Ouest. Les syndicats n’aimaient pas l’idée d’un salaire minimum statutaire, et ont milité pour la prévalence des négociations collectives aussi longtemps que possible. Mais à l’occasion du retournement néolibéral du gouvernement rouge et vert au début des années 2000, ils ont changé de point de vue. Sur le plan politique, le Parti de gauche a été le premier à appeler à un salaire minimum, suivis par les Verts allemands, et récemment par les socio-démocrates. Aujourd’hui, plus de trois Allemands sur quatre soutiennent cette idée.

Comment ce modèle a-t-il donc pu s’imposer comme la seule issue possible pour toute l’Europe ?

L’exportation massive de produits industriels n’est pas un phénomène nouveau en Allemagne. Mais ce segment puissant de l’économie est de moins en moins encadré par un environnement institutionnel et un rééquilibrage social qui permettaient jusqu’ici à l’économie et à la société tout entière de bénéficier de ses succès. Corollaire de ce démantèlement et de l’augmentation des bas salaires, le niveau de salaire moyen a stagné lors du cycle économique qui a précédé la crise. Ceci a ouvert la voie à un énorme avantage concurrentiel de l’Allemagne au sein du marché européen.

Cette stratégie a-t-elle aussi fonctionné pendant la crise ?

Ce qui s’est passé depuis 2008 est plutôt paradoxal. La récession économique en Allemagne au début de la crise était dramatique, compte tenu du fait de notre extrême dépendance aux exportations. Cependant, le marché du travail allemand est resté stable grâce à une série de mesures de soutien à la croissance et le coup d’accélérateur donné à la flexibilité dans les entreprises. Le travail à temps partiel temporaire et la flexibilité dans les heures de travail ont contribué à éviter les licenciements massifs. Tout ceci était basé sur un retour de ce que l’on a coutume d’appeler « le partenariat social »allemand, qui est la cogestion à tous les niveaux de production. En gros, avant la crise, le bouleversement du modèle socio-économique allemand a activement contribué à l’émergence d’un déséquilibre dans les économies européennes. Mais la stabilisation du marché du travail et de l’économie à partir de 2009 est en fait attribuable à la réactivation des éléments du modèle allemand qui ont survécu à la volonté des néolibéraux.

Les hommes politiques français sont nombreux à vanter le « modèle allemand » Est-ce qu’ils se trompent ?

Le débat actuel tourne uniquement autour du coût du travail… Or ne sait-on pas que c’est la productivité, la qualité de la production, l’organisation du travail, la qualification et la formation de la main-d’oeuvre ainsi que l’innovation qui sont centraux pour une meilleure compétitivité à l’échelle internationale ? Les politiques ont-ils oublié que la qualité des services sociaux est essentielle et que le développement potentiel d’un pays est aussi important que sa compétitivité ? Sans compter que la campagne néolibérale qui pointe du doigt l’Allemagne comme « l’homme malade de l’Europe »a repris de la vigueur chez nous aussi, avec des préconisations qui vont toutes dans le même sens : accroître les inégalités sociales et salariales et appauvrir les services publics. Ma suggestion est la suivante : je vous en prie, méfiez-vous du modèle allemand !

Tag(s) : #Débats
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