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Lu sur http://clementineautain.fr/2008/11/06/le-mrite-des-fonctionnaires/#comments

Voici ma chronique des Matins de France Culture…

Toute l’actualité des derniers jours, et même de ces dernières semaines, est évidemment polarisée par la crise économique et les élections américaines. Le reste semble bien fade, on le comprend… Et pourtant, le gouvernement ne chôme pas et les motifs d’affrontements politiques s’accumulent. D’ailleurs, l’amendement sur l’allongement de l’âge du départ à la retraite, jusqu’à 70 ans, a réussi à mettre en boule toute la gauche sociale et politique et à percer le mur de l’actualité chargée. En revanche, l’annonce de la rémunération au mérite des fonctionnaires n’a pas encore suscité le débat de fond qu’il mérite – c’est le cas de le dire… Un décret doit être adopté ce mois-ci pour instaurer une prime de fonction et de résultat, dite PFR. Comme toujours, l’idée est d’y aller piano piano, histoire de ne pas affoler tout le monde en même temps et d’éviter une mobilisation sociale d’ampleur. Alors, avant d’être généralisée aux plus de 5 millions de fonctionnaires, avant de concerner près de 200.000 agents de l’Etat en 2012, la PFR démarrera en 2009 dans la filière administrative. Elle concernera d’abord des cadres de catégories A, celle des personnels les plus qualifiés. Cette prime se décomposera en une partie fixe - 60% - définie par chaque ministère selon le poste, et une partie variable en fonction du résultat. Cette dernière part – 40% - sera accordée individuellement, à l’issue d’un entretien annuel d’évaluation. « Il n’y aura pas de prime négative, a précisé le secrétaire d’Etat chargé de la Fonction publique, André Santini, mais certains verront leur rémunération moins augmenter que traditionnellement ». Le pouvoir d’achat des fonctionnaires est plutôt plombé depuis un moment, voilà qui ne va pas mettre du beurre dans tous leurs épinards…. Sans compter que cette nouvelle prime sera financée par le non-remplacement des départs en retraite.

Thomas Baumgartner : Quelles économies ces non-remplacements vont-ils dégager ?

L’année prochaine, l’Etat compte sur 30.600 départs en retraite non remplacés, soit 500 millions de bénéfices. Dans un contexte de chômage de masse et de besoins renforcés en matière de services publics vus les dégâts sociaux de la crise, le choix du gouvernement est dans son genre assez audacieux… Car, dans le contexte, avons-nous besoin de moins de personnels dans nos services publics ? Comment imaginer qu’une prime pour quelques-uns au détriment de postes puisse conduire à « améliorer le service public », objectif affiché par le gouvernement ? C’est bien mal identifier le problème ! Le manque de moyens, la dévalorisation des métiers publics, le manque de mobilité, la perte des objectifs d’intérêt général, le déficit de formation ou la stagnation des salaires sont davantage en cause. Qu’il faille diminuer quelque peu les effectifs ici ou là et les augmenter significativement ailleurs, j’en suis convaincue. Je note au passage que les ministères se sont bien dédouanés des consignes de rigueur budgétaire et d’austérité, puisque Le Monde révélait hier l’explosion des frais de personnels des ministres. En tout cas, réduire la masse totale de fonctionnaires conduit inéluctablement à la baisse de la qualité du service rendu, à la diminution de la solidarité publique, à la réduction de la capacité d’intervention de l’Etat. Au-delà du choix budgétaire, c’est bien la philosophie introduite par cette mesure, la prime au mérite pour les fonctionnaires, qui est préoccupante. D’abord, quels vont être les critères d’évaluation ? Pénaliserons-nous un policier qui n’a pas rédigé assez de contraventions ou reconduit assez de sans-papiers à la frontière ? Une conservatrice de musée sera-t-elle jugée en fonction du nombre d’entrées dans son équipement culturel ? Un enseignant d’un lycée huppé de centre-ville pourra-t-il être considéré comme plus méritant qu’un prof d’un collège de banlieue populaire ? Les syndicats ont à juste titre dénoncé le risque d’arbitraire de l’évaluation des agents. Sur Internet, on trouve de très nombreux commentaires dans les forums dénonçant le copinage et la politisation que risque d’engendrer cette prime. Surtout, la valorisation de l’effort sera individuelle quand c’est la performance collective sur le long terme qui importe. Enfin, l’idéologie du mérite devrait être dépecée. C’est l’un des piliers philosophiques de la droite sarkozyste. Or, la méritocratie, c’est la logique de la concurrence, c’est le terreau de l’individualisme, c’est l’argument de légitimation des inégalités sociales comme de l’échelle injuste des revenus. Mais le ministre Eric Woerth y croit dur comme fer : avec la prime, a-t-il déclaré, « Les gens vont donc évoluer plus ou moins vite. C’est motivant ». La carotte et le bâton, évidemment… Pour battre réellement en brèche cette rhétorique, la gauche doit s’attaquer à ce nerf de la guerre : la motivation. Qu’est-ce qui fait qu’on se lève le matin pour aller travailler et que l’on s’applique à bien faire ? C’est une question de sens pour l’individu et le collectif, c’est un défi crucial pour le moteur de l’économie. Nous savons que ce fut l’un des points d’achoppement des modèles socialistes qui ont échoué. Les autres sont en train de faillir sous nos yeux. Que tout cela nous motive plus encore pour repenser la hiérarchie des valeurs des rapports humains et un autre modèle de développement.

Clémentine Autain

Tag(s) : #Débats
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