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Contribution de Gérard Deneux - membre du Collectif de Haute-Saône.

Après avoir pointé l’adversaire réel auquel nous avons à faire face dans le cadre de la « mondialisation » actuelle et ce, pour mieux conforter notre conception de la transformation souhaitée et afin de dépasser une vision trop franco-française qui a eu trop largement cours pendant la campagne électorale, nous entendons revenir sur les raisons de la victoire de Sarko et l’échec de la candidature unitaire. Cette analyse préliminaire entend affirmer, contrairement à ce qui fut souvent avancé, qu’un boulevard d’opportunités à saisir s’ouvre devant nous. La situation de la « Gauche plus rien » qui se convertit par soubresauts successifs en parti centriste, les marges de manoeuvre étroites de Sarko, la culture de résistance toujours vivante au sein des classes populaires doivent renforcer nos convictions et notre détermination. Les faiblesses, les divisions à Gauche de la Gauche doivent être dépassées, résorbées par une expérience originale que nous avons, sans trop la penser, commencé à mettre en œuvre. C’est un énorme défi.

Transformation sociale, mais contre qui ?

Pour conférer à notre mouvement en gestation un fondement réellement en phase avec la volonté de transformation sociale qui l’anime, il convient, à mon sens, de bien identifier d’abord l’état du système dans lequel nous sommes insérés et l’adversaire auquel nous sommes confrontés. Les appréciations qui suivent mériteraient de plus amples développements mais elles ne sont posées que pour être discutées et s’extraire d’un débat qui, risquant d’être trop franco-français, pourrait être source de déconvenues.

Depuis la « contre-révolution conservatrice » inaugurée par Thatcher et Reagan, poursuivie en France tardivement, dès 1983 par Mitterrand, l’apport du mouvement altermondialiste et son affirmation « un autre monde est possible et nécessaire », ainsi que toutes les analyses sur la globalisation financière ont démontré que nous sortions d’un cycle historique (commencé après la guerre) d’établissement d’Etats de type keynésien confrontés au système de capitalisme d’Etat bureaucratique à l’Est. La chute du mur de Berlin en a entériné son effondrement.

Nous avons affaire aujourd’hui à une bourgeoisie financière mondialisée dont la domination s’articule de manière plus ou moins conflictuelle avec les appareils des États-nations qui lui sont, pour l’essentiel, largement subordonnés. Ce que l’on appelle à tort, en reprenant les termes de l’idéologie dominante, le libéralisme, n’est qu’une transformation des formes du capitalisme, libéré des normes keynésiennes (dirigisme d’Etat, redistribution sociale assurant la domination de la bourgeoisie nationale, poids dominant du capitalisme industriel...) et assurant désormais la suprématie du capital financier sur ses autres composantes (industrielle et commerciale). _ Les Etats-Unis et leur complexe militaro-industriel en constituent le centre névralgique. Cette bourgeoisie à caractère transnational entre en confrontation de plus en plus aigue avec les Etats et peuples récalcitrants qu’elle ne parvient pas à assujettir (Venezuela, Bolivie, Iran, peuples palestiniens, libanais ...) et les puissances étatiques vis-à-vis desquelles son emprise financière, économique, culturelle, politique est insuffisante malgré les efforts qu’elle déploie en ce sens, y compris en manipulant les peuples (« révolutions oranges » ...). L’Europe devenue pour l’essentiel une zone de libre échange et, vu le caractère informe des institutions dont elle s’est dotée, est une région du monde largement soumise aux diktats de cette classe cosmopolite.

Toutefois, compte tenu des combats, des traditions de luttes, des velléités nationalistes qui y ont toujours cours, s’expriment des réticences, des luttes défensives face aux impératifs dictés par les politiques de l’impérialisme US, les transnationales et les milieux financiers.

La domination de la bourgeoisie mondialisée repose sur un type de « bloc historique » extrêmement fragile. Son développement a suscité tout un réseau d’alliances avec un encadrement surpayé, cosmopolite ainsi qu’avec des franges supérieures du salariat. Pour conforter sa domination, elle utilise, s’appuie sur les appareils étatiques ou para étatiques (Europe) et sur les médias qu’elle contrôle pour assujettir les peuples afin de ne leur laisser aucun espoir sur un autre avenir possible (« le capitalisme a gagné »). Elle n’a que faire des alliances de type fordiste (redistribution, augmentation des salaires) correspondant au cycle keynésien antérieur. Sa soif de profits à court terme est sans égale (licenciements boursiers, capitalisme prédateur mettant en jeu l’avenir de la planète). Avec les appareils d’Etat dont elle a obtenu la complicité bienveillante, elle prétend assurer son hégémonie sur le chaos qu’elle provoque. Elle joue sur la dualisation de la société qu’elle a elle-même produite, là, en opposant les ethnies, les religions, les étrangers, les musulmans, ici en optant pour la division entre ceux qui ont un travail et ceux qui n’en ont pas, en dressant les nationaux contre les « bronzés »... Cette lutte de classes, initiée par les dominants, recourre à toutes les formes de populisme et de racisme, s’articule avec un modèle frelaté, largement médiatisé, d’intégration pour les « gagnants » et ceux qui aspirent à le devenir. Elle répand l’idée qu’il y aurait de nouvelles classes dangereuses dont il faudrait se prémunir et que ces « salauds de pauvres » comme disait déjà Coluche, « on paie trop pour eux ».

Or, cette idéologie de pénalisation des rapports sociaux trouvera très vite ses limites, dans la mesure où la vulnérabilité sociale gangrène l’ensemble du corps social. Au-delà des éruptions sociales récurrentes, elle ne parvient à se maintenir que dans la mesure où rien de consistant ne lui est opposé. Son apparente assurance renvoie à la déliquescence de la « Gauche » traditionnelle. C’est dans ce contexte que s’inscrit la tentative sarkozienne de rompre avec « l’immobilisme » français qui caractérise le chiraquisme finissant et qui, pour l’essentiel, est le fruit de résistances sociales inaugurées par le mouvement de décembre 1995.

La victoire de l’option sarkozienne des classes dominantes

Sans qu’il soit besoin, ici, de revenir sur les péripéties qui ont précédé puis défini les contours de la campagne présidentielle et pour tenter de cerner les raisons de la victoire de Sarkozy, il suffit d’indiquer :

-  que les classes dominantes en France aspiraient à sortir du chiraquisme, impuissant qu’il était à accélérer la mise en œuvre des mesures préconisées par les élites européennes : privatisations, casse du code du travail... Trop de retard pris sur « nos » partenaires ; «  l’exception française  » avec toutes les résistances qu’elle recèle et surtout après le NON au TCE, n’avait à leurs yeux que trop duré,

-  que, paradoxalement, l’échec du CPE, cette contingence irrépressible, a rencontré la nécessité d’une reconfiguration et d’une remobilisation des forces de droite.
Villepin, ce successeur pressenti, une fois marginalisé, la route de Sarko était dégagée. Prônant un volontarisme boulimique, décomplexé, ce nouveau champion, copiant son mentor Bush, exalte les privilèges tout en affichant une compassion de bon aloi pour les angoisses qui traversent le corps social. Cette consécration des inégalités qu’il compte renforcer, repose sur la démagogie d’une prétendue reconnaissance du travail (en fait, le renforcement de son exploitation) et des efforts accomplis par les « méritants ». Quant aux autres, seuls responsables de leur malheur, il conviendrait de les sortir de leur torpeur, en évitant de les « assister ». Si cette justification idéologique du désordre social existant a pu prendre corps, c’est bien évidemment sur le fondement d’un individualisme dominant inculqué et niant les classes sociales. Mais, il s’agit là d’une cause structurelle et non conjoncturelle. En effet, si ce populisme droitier a réussi à capter des voix parmi les couches populaires, avec autant de facilité, c’est, pour le moins, pour 4 raisons essentielles.

-  1 - Il a su jouer sur les divisons instaurées depuis deux décennies parmi les classes populaires et couches moyennes traumatisées qu’elles sont désormais pour elles et leurs progénitures, par la hantise du déclassement social. En opposant ceux qui se lèvent tôt aux soi-disant « paresseux », « assistés », aux soixante-huitards, à la « racaille », en avalisant l’idée que le désordre social serait provoqué non seulement par les étrangers en surnombre mais également par nombre d’ennemis intérieurs qui pourriraient la vie des « bons » citoyens, il en appelle à la restauration d’un ordre hiérarchique cautionnant les inégalités, fondé sur une logique sécuritaire s’exerçant contre des boucs émissaires. Dans ces conditions, le vote lepéniste, pour les électeurs frustrés qui s’y retrouvaient, est apparu, face à cette « nouvelle » offre politique, comme largement inopérant voire désuet.

-  2 - Face au projet sarkozien, le PS englué dans ses rivalités de coteries - qui ne sont d’ailleurs que le reflet déformé de son tiraillement entre d’une part la tentation d’accentuer sa dérive droitière en abandonnant sa base sociale traditionnelle au profit des classes moyennes (Strauss Kahn) et sa crainte d’autre part de perdre, à ce jeu dangereux, toute consistance électorale (Fabius)- a eu à connaître, à contrecœur, une divine surprise : la candidate Royal, largement construite et imposée par les médias, plus à droite que Jospin, a pu faire illusion s’imposer négativement contre Sarko. La flamboyance annoncée de la démocratie participative s’est vite révélée comme une manœuvre de contournement de son propre parti et pour s’imposer à l’aide de sondages largement bidonnés, son charisme, préfabriqué, est vite apparu comme un produit frelaté face à l’inconsistance de ses propositions et la teneur de sa campagne marketing. Elle a sans nul doute accéléré l’évolution du positionnement du PS et sa mise aux normes européennes. Pour le reste, tout en suppliant que l’ordre restauré, inégalitaire (carte scolaire !) soit quand même plus juste, elle n’avait pas grand-chose à proposer si ce n’est quelques mesurettes humanitaires et sociétales.

-  3 - Quant aux médias unicolores, tenus en mains par leurs mentors financiers et industriels, ils ont très vite choisi et orchestré le duel qu’ils avaient annoncé : Sarko-Sego, les seuls candidats qui à leurs yeux tenaient un discours crédible pour le système, même si cette caisse de résonance a subi quelques couacs avec l’apparition inopinée d’un Bayrou. Sarko intronisé, le tsunami bleu trop vite annoncé pour les législatives fut bien contrecarré par un clapotis rose qui n’était que le résultat d’une bourde médiatique : l’annonce prématurée de la TVA antisociale mobilisant des électeurs de Gauche et paraissant renforcer l’opposition à sa majesté omnipotente.

-  4 - Le jeu des médias permettait difficilement, dans le cadre des institutions de la 5ème République, à une alternative au capitalisme de s’imposer majoritairement comme ont tenté de le faire croire, dans une première phase, certains parmi la Gauche de la Gauche. Beaucoup plus fondamentalement, c’est bien la division mortifère et ses erreurs stratégiques qui sont les causes de son insuffisante crédibilité. Comment comprendre cet émiettement ? Invoquer l’esprit de boutique réel est-il suffisant ? Il convient certainement de chercher des explications du côté des stratégies divergentes. La LCR par volonté de se préserver n’a pas souhaité se situer dans le combat idéologique à mener au sein des collectifs contre les dérives prévisibles du PC trop attaché à maintenir des alliances avec le PS. Le PC a tenté jusqu’au bout d’imposer sa candidate, avant de faire cavalier seul. Les Collectifs auraient disparu en tant que force autonome si la candidature de José Bové ne leur avait sauvé la mise. Quant à certains qui s’étaient imposés comme les composants incontournables du cartel d’organisations, ils se sont retrouvés orphelins après avoir cherché vainement de faire croire que l’on pouvait reconstruire l’arc antilibéral inauguré pendant la campagne du TCE .
Avec « Maintenant à Gauche » ils continuent d’entretenir cette illusion qu’il est possible ici et maintenant de reproduire le modèle « die Linke » allemand. Mais, au-delà de ces positionnements tactiques à vocation électoraliste, c’est bien de divergences stratégiques sur la nature de la transformation sociale et des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir qui sont la source de ces divisions. Toutefois, ce qui demeure de cette expérience, c’est, jusqu’à preuve du contraire, la pérennité d’une structure transversale en gestation, autonome par rapport aux appareils politiques, décidée désormais à s’autogérer démocratiquement et pour qui s’ouvre un boulevard à emprunter. Mais bien des écueils sont à éviter.

Un boulevard d’opportunités à emprunter

Vis-à-vis de ceux qui interprètent la victoire de Sarko comme une défaite résultant d’une droitisation de l’électorat qui accentuerait encore l’attitude défensive à adopter en attendant des jours meilleurs, il est impératif de leur montrer, qu’au contraire, l’heure est au développement d’une stratégie offensive de reconquête sociale et politique. La situation nouvelle offre, de fait, un boulevard d’opportunités à saisir. Encore faut-il que nous prenions la mesure du processus de déliquescence de la « Gauche » traditionnelle, les atouts et limites du sarkozisme et nos propres faiblesses et inconséquences.

À Gauche de la Droite, les appareils à vocation gouvernementale, dans le cadre du système, n’offrent d’autres perspectives que l’attente de nouvelles élections pour conduire aux affaires leurs apparatchiks. Ils n’ont et n’auront d’autres ambitions que celles visant à humaniser quelque peu le cours du capitalisme néo libéral sans en changer la direction. Leur opposition parlementaire ne sera qu’une tempête dans un verre d’eau, leurs luttes des intrigues. Pour ce parti de notables et d’élus que constitue le PS dont les leaders cooptés sont tous ou presque issus des grandes écoles et des hauteurs de l’appareil d’Etat et qui flirtent avec les grandes firmes, « changer la vie » est impossible. Leur vie serait impossible ! Pour eux, le capitalisme a définitivement gagné et ne serait réaliste, envisageable pour prétendre au pouvoir que l’adaptation à son ordre injuste pour en adoucir les mœurs brutales. Or, c’est désormais avéré, le cycle mitterrandien d’alternance est épuisé, son dernier avatar, la Gauche plurielle, n’est plus rien. En revanche, les modèles européens d’union sacrée au centre pour préserver le système des éruptions sociales à venir, gagnent en crédibilité immédiate. La mutation grinçante du PS en un parti centriste va se poursuivre sur fond de manœuvres entre caciques, éléphants et autre dame blanche. Leur affaire sera d’abord le contrôle de l’appareil et la mise en ordre hiérarchique des nouveaux prétendants. Quant aux impatients, ceux qui vieillis sous le harnais des luttes de baronnies, ceux qui ont goûté aux fastes du pouvoir ou en étaient si proches, ils ont décidé qu’attendre 5 ans c’était trop ! Sans attendre, ils ont préféré intégrer les rangs du gouvernement Sarkozy, franchir le Rubicon qui les séparait de la Droite. Ce fut fait sans état d’âme. Ces débauchés, si facilement débauchables, illustrent de manière lumineuse que ce qui les séparait de l’UMP était bien ténu, que, chez eux, l’invocation de la morale se réduit à la mise en scène de leur servilité intéressée.

Quant aux dirigeants du PS entourés de la cohorte des prétendants, après les luttes fratricides qu’ils ne manqueront pas de connaître, ils adopteront la posture d’un parti « responsable », s’appuyant sur les couches moyennes et supérieures afin de concurrencer l’UMP. A cet effet, ils leur feront miroiter la sûreté d’un enrichissement sans cause grâce au recours aux produits des marchés financiers. Mais nous n’en sommes pas encore là, c’est-à-dire à ce moment particulier où, dans 5 ans, ils brigueront de nouveau le pouvoir. Pour le moment, l’heure est à préserver le capital électoral. Mais si d’aventure les résistances, les luttes prenaient sérieusement de l’ampleur, si les prises de position des partisans de l’émancipation sociale y trouvaient un écho inattendu, gageons, qu’avec la Droite, sur un registre légèrement décalé, ils seraient amenés à hurler avec les loups, à vociférer contre les irresponsables, irréalistes...

Certes, des militants se détacheront du PS dont ils attendent plus qu’un mauvais remake de la SFIO. Certains d’entre eux, aidés en cela de tous les nostalgiques de l’ère keynésienne voire mitterrandienne 1ère mouture, espéreront encore revenir à l’Etat social capitaliste dont ils mythifient d’ailleurs la fonction de redistribution sociale. Comme si rien ne s’était passé, ils tenteront d’occuper le terrain électoral à Gauche à la manière de « die Linke ».Cette possible nouvelle déconvenue est déjà en germe. Elle risque d’entraver le développement d’un large front antilibéral et anticapitaliste s’appuyant sur les résistances, les luttes pour gagner des batailles, faire reculer le pouvoir.

Quant au Parti dit communiste, son déclin irrémédiable va se poursuivre, tiraillé qu’il est entre un passé qui ne passe plus, ses militants issus de milieux populaires, ses permanents soucieux de préserver leurs prébendes, son appareil destiné à se pérenniser par des alliances avec le PS ... jusqu’à quand ! A l’image de ce qui s’est produit dans d’autres pays, il pourrait d’ailleurs imploser favorisant des recompositions conflictuelles avec lesquelles il faudra compter, sans miser sur elles. En effet, bien des illusions, des réflexes bureaucratiques, des conceptions désuètes du changement social nécessaire les éloignent encore des aspirations à l’émancipation sociale qui ne peut être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Nombre d’entre eux n’ont pas fait le deuil de la reconduction sous d’autres formes d’une nouvelle Gauche « plus rien », à vocation majoritaire disent-ils. C’est d’ailleurs vrai pour nous : « le passé pèse d’un poids très lourd dans le cerveau des vivants ».

S’ouvre néanmoins pour les Collectifs, les Comités, les organisations autonomes qui se revendiquent d’une rupture radicale et pour toutes les luttes, un espace politique qu’il conviendra de préserver et d’organiser démocratiquement.

Reste l’adversaire réel, le pouvoir sarkozien et son volontarisme qui en jette... Il prétend satisfaire les milieux les plus privilégiés (paquet fiscal, droit de succession), restreindre le droit à la santé (franchises médicales) et le droit de grève pour mieux juguler la protestation sociale, il s’affiche comme le champion de l’économie nationale et de l’ouverture pour mieux museler l’opposition à sa majesté omnisciente, omniprésente et omnipotente, il veut rassurer la France à qui on va inoculer le virus de la peur, et ce, en multipliant les reconduites à la frontière des sans papiers, en enfermant les jeunes pousses délinquantes et autres récidivistes qui grandissent sur le fumier de la vulnérabilité sociale. Peut-il réussir comme Thatcher, démanteler la Sécurité Sociale, le Code du Travail, réduire les effectifs de la fonction publique, privatiser les services publics selon les directives européennes et pour finir, faire payer l’addition par la TVA antisociale aux plus fragiles ?

Répondre positivement à ces questions supposerait d’occulter deux faits majeurs :

-  l’âge d’or de la contre révolution conservatrice inaugurée par Thatcher et Reagan se clôt. L’époque qui s’ouvre semble être celle des craquements du système. La suraccumulation de capital fictif, la crise de l’immobilier, le keynésianisme guerrier entretenu par le complexe militaro industriel, les guerres commerciales pour s’emparer des marchés, pour s’accaparer les ressources énergétiques disponibles, la mise en cause visible de l’écosystème planétaire inaugurent une période marquée par l’instabilité croissante, la généralisation d’un chaos non maîtrisable. Sarko est tributaire de cette réalité, des rapports de forces mondiaux, de son mentor états-unien, des rivalités européennes. L’agité va s’y épuiser. Contraint à durcir le cours du capitalisme libéralisé, il sera la proie de cette bourgeoisie mondialisée et au besoin le fusible à faire sauter.

-  Par ailleurs, à la différence de l’Angleterre thatchérisée, les classes ouvrières et populaires n’ont pas connu de défaites irrémédiables. L’affrontement est à venir. Depuis 1995, en passant par tous les combats des « sans », le TCE et le CPE, la résistance, en France, est toujours vivante. Certes, le NON au TCE fut une victoire défensive bloquant provisoirement le processus de déréglementation européen. Certes, l’enterrement du CPE est dû à la mobilisation de tous ceux qui refusaient le déclassement social annoncé sans s’en prendre véritablement à l’ensemble du processus de précarisation de l’emploi projeté par les tenants du système. Certes, toutes ces luttes ne portent pas (encore) par elles-mêmes une stratégie offensive fondée sur l’espérance d’une véritable alternative. Il n’empêche, rien n’est joué d’avance. Saurons-nous faire preuve d’initiatives pertinentes, d’un sens de l’unité et de l’organisation suffisante pour être à la hauteur des enjeux, compte tenu de nos difficultés et de nos faiblesses ?

Pour une stratégie offensive et indépendante

Contrairement à ce qu’affirme une contribution, il n’y aura pas de raccourci à emprunter pour parvenir à l’alternative : « faire converger l’ensemble de la Gauche de transformation sociale pour que, le plus vite possible, son projet renouvelé s’impose à la Gauche ». Quelle Gauche traditionnelle peut le vouloir si son poids n’est pas auparavant réduit à la portion congrue ? Toute l’histoire atteste qu’elle peut soit se recroqueviller dans une attitude prudente d’attente, d’indifférence ou collaborer en catimini avec les forces de la réaction. Pourquoi serions-nous condamnés à reproduire, à éterniser par la pensée, des rapports de forces à « gauche » alors même que nous voulons les transformer ? Notre histoire, celle des luttes sociales peut-elle se réduire à n’être, en définitive, que la mouche du coche ? N’est-ce pas ainsi s’enfermer dans une conception d’un passé dépassé ? Le neuf, le subversif est-il pensable ?

La reconquête sera certes complexe, elle ne passera ni par la reproduction des modèles de type keynésien, obsolètes, ni par le grossissement d’un parti d’avant-garde. Elle connaîtra certainement des moments d’articulation des mouvements sociaux, associatifs, politiques et se traduira certainement par des avancées, si, et à condition que les luttes organisent des lieux de pouvoir et d’action autonomes, indépendants des sociaux libéraux, des bureaucrates dogmatiques et sectaires dont la vocation est de les nécroser.

Cette reconquête ne pourra se déployer que si elle se considère dans toutes ses composantes, comme le vecteur d’une nouvelle hégémonie politique, culturelle prenant corps dans toute la société et s’articulant avec celles qui se construisent dans d’autres pays notamment européens. C’est toute une atmosphère à laquelle il conviendra de contribuer qui ne dépend pas essentiellement de nous, mais des contradictions internes du système.

Pour l’heure, ce dont nous avons besoin, indépendamment de la définition d’un projet de socialisme pour le 21ème siècle dont il est encore difficile de cerner les contours, c’est de faire nôtres les ingrédients d’une nouvelle culture qui préfigure le monde auquel nous aspirons.

D’abord, une culture de débats démocratiques qui n’occulte pas mais met à jour les divergences et tente d’en expliciter les raisons sans, bien évidemment, recourir aux invectives. Pour ce faire, il nous faut nous débarrasser de cette vieille peau qui s’est imposée comme la nouveauté qu’elle n’est pas, à savoir, cette fausse culture du consensus. Elle restreint le politique, notre bien commun, aux compromis feutrés, policés, imposés par les coteries bureaucratiques et les experts auto proclamés. N’en a-t-il pas été ainsi (à propos du nucléaire, du désarmement) avec la direction du PC à l’occasion de l’élaboration des 125 propositions ? Y a-t-il eu expression des oppositions, de leurs présupposés dans l’ordre de la stratégie à mettre en œuvre... et ce, pour rapprocher les points de vue, voire les dépasser ?
Sous prétexte de dépassionner le débat, les « responsables » évitent que les « irresponsables », à savoir la masse des militants s’en emparent et fassent capoter les compromis qu’ils construisent entre eux. Et si d’aventure, ce qu’ils ne veulent pas parvient à surgir malgré eux, par exemple... une force autonome qu’ils ne contrôleraient plus, alors, plus ou moins consciemment et de bonne foi, ils instruisent de mauvais procès, à l’aide de faux concepts, et ce, avec des airs outrés de donneurs de leçons savantes. Ainsi, nous voudrions construire un « nouveau parti » qui ne serait qu’un « mécano organisationnel » alors qu’il « faut penser grand angle », ne pas se « précipiter » car ce serait « prématuré », irresponsables que nous serions ! Derrière cette posture et ses accusations sans démonstration, c’est une autre stratégie divergente, nullement questionnée, qui se dissimule. La volonté d’être des poissons pilotes de la construction d’un nouveau Parti à la manière de « die Linke ». Est-ce possible ? Est-ce pertinent ? Pour quoi faire ? Ce qui est sûr c’est qu’ils veulent éviter toute concurrence qui leur serait préjudiciable et plus fondamentalement l’irruption d’un sujet politique autonome. Or, c’est précisément ce que nous voulons : favoriser l’essor et la multiplication de sujets autonomes dans les villes, les quartiers, les usines... et ce, sans mentors qui réduiraient la traduction politique de leurs aspirations à des joutes électorales, qui plus est, dans le cadre de la 5ème République sarkosyzée. A courir après maintenant... bien que des rencontres dûment mandatées soient utiles, notre assujettissement demain serait garanti.

Par rapport au cartel d’organisations et de personnalités qui dans une première phase a pu s’imposer comme une nécessité, l’idée que la démocratie ne peut être bridée a primé. Un homme, une voix, des comités autonomes, se fédérant, des assemblées de délégués mandatés, des débats parcourant le mouvement, la double appartenance reconnue permettant l’ouverture la plus large, un secrétariat provisoire mandaté clairement. Il faut poursuivre dans ce sens.

Une culture d’autonomie et d’indépendance qui respecte les rythmes et les difficultés que rencontreront les efforts de convergence : la mondialisation financière et les dégâts qu’elle provoque a suscité l’émergence de sa contestation protéiforme qui parvient difficilement à renouer avec la transformation sociale, plombée qu’elle a été, par le stalinisme et le capitalisme d’Etat bureaucratique et policier. Il n’empêche, les mouvements altermondialistes, des sans papiers, des quartiers, les structures syndicales résistant à la normalisation libérale, les Collectifs pour une Europe sociale... participent de cette nouvelle radicalité émergente. Tout doit être entrepris pour qu’elle ne soit pas étouffée, récupérée, bureaucratisée. Les convergences doivent, en toute clarté, être recherchées dans le débat le plus transparent mettant à jour les divergences d’appréciation et les combats communs à mener. En ce sens, les ponts qui ont pu être jetés entre le Forum Social des Quartiers Populaires et les Collectifs est un premier pas à poursuivre. Plus fondamentalement, face au surgissement du nouveau, les attitudes d’indifférence, dogmatiques ou sectaires, sont à récuser. C’est par l’adhésion à un projet d’émancipation partagé, à des actions et des tactiques définies en commun que se construira cette convergence si est respectée l’autonomie de chacun de ses éléments. Les doubles, triples appartenances peuvent être un moyen de facilitation.

Cette culture d’autonomie se conjugue avec celle d’unité qu’il nous faut promouvoir, et ce, à tous les niveaux, par le bas et par le haut. Cela nous demande à tous un effort intellectuel, une perspicacité qui ne peut se construire que sur la base d’une culture politique critique à promouvoir. Nous ne devons pas sous estimer le poids de l’idéologie dominante dans les consciences, ni surestimer les prises de conscience par les luttes. « Le cauchemar des années 80 » a fait régresser toute une culture de contestation subversive et tenté d’effacer les logiques de classes. La génération des moins de 30 ans en a été la plus affectée. Cette observation renvoie à notre capacité à développer des initiatives.

Rien ne serait plus grave que l’attentisme, le repli sur des logiques d’appareils, l’enfermement dans des débats réservés à des initiés. Il faut s’ouvrir, développer des initiatives de rencontre, de soutien et de politisation des luttes, lancer des campagnes contre les mesures Sarko, appeler à la mobilisation, à la démission de l’homme sans fusible. De la défensive il faut se préparer à l’offensive. Cela ne sera possible que si, dans le même mouvement, nous déployons dans nos propres rangs hétérogènes des éléments d’homogénéité et de détermination, visant à accroître la culture politique et l’autonomie de pensée et d’action des militants. Les collectifs doivent avoir à terme leurs moyens logistiques, des brochures doivent être éditées (comme a su le faire ATTAC ou Copernic), des universités d’échanges tenues et pourquoi pas en partenariat dans l’esprit de la convergence et de l’indépendance évoquées.

Précisons encore, s’il en est besoin, qu’il ne saurait être question de vouer aux gémonies les Partis, en particulier ceux qui se réclament de l’extrême gauche. Leur histoire est aussi la nôtre, celle des expériences passées, plus ou moins déformées, leur culture de contestation et de protestation également. Leurs réflexions malgré les histoires différentes demandent à être recyclées pour produire avec eux des analyses, une stratégie de reconquête sociale adaptée au monde du 21ème siècle. Les militants des partis, s’ils sont des antilibéraux conséquents, acquis aux nécessités de la reconquête sociale sans concession, qu’ils aient ou non l’approbation de leurs organisations, ont toute leur place au sein des Collectifs d’autant que leur expérience peut être un atout des plus précieux s’ils ne s’enferment pas dans des logiques boutiquières. Pour la période qui s’ouvre, l’on ne peut se satisfaire du faible nombre de militants dont nous disposons, de leur dispersion dans différentes organisations à caractère partidaire. Ce dont nous avons besoin, c’est de la constitution d’un large front transversal de regroupements où convergeraient politiques, associatifs, culturels, intellectuels, s’articulant les uns aux autres, faisant germer l’espérance sociale, redonnant confiance et s’inscrivant dans les profondeurs des classes exploitées et opprimées. Cette force aux multiples faciès, multidimensionnelle, il va falloir la faire vivre, respirer à l’image de la société autogestionnaire que nous voulons construire. Face à l’adversaire Sarkozy, il nous faudra une détermination qui dépasse ses gesticulations volontaristes. Même si les Etats Généraux peuvent présenter une avancée dans les regroupements à initier, il n’y a pas de raccourci pour la conquête d’une nouvelle hégémonie de rupture avec le capitalisme libéralisé.

Gérard Deneux,
Le 31.07.2007

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