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Lu sur TRIBUNE. Liberté chérie – Regards.fr

TRIBUNE. Liberté chérie

4 juillet 2023 | André Grimaldi | Santé

 

André Grimaldi, professeur émérite CHU Pitié Salpêtrière, donne son opinion sur la régulation de la liberté d’installation des médecins.

La liberté individuelle s’arrête là où commence celle des autres, dit-on en démocratie. En République on ajoute qu’elle doit respecter les valeurs inscrites dans la constitution. Or, c’est le droit de tous les citoyens à la protection de la santé qui est inscrit dans la constitution française (alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946), ce n’est pas le droit des médecins à choisir librement leur lieu d’installation. Et c’est conformément à ce principe constitutionnel que l’Assurance maladie affirme que « l’égalité d’accès aux soins est avec la qualité des soins et la solidarité, l’un des trois piliers fondateurs de l’Assurance maladie depuis 1945. C’est aussi la première de ses missions au quotidien : renforcer l’accès aux droits et le recours aux soins pour l’ensemble de ses assurés ».

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Sur le plan des principes républicains, il n’y a donc aucune discussion : la liberté d’installation des médecins ne doit pas faire obstacle au principe de l’égalité d’accès aux soins des citoyens. Or, loin d’une répartition équitable des médecins entre les différents territoires, on constate une très grande inégalité. La densité médicale exprimée en nombre de médecins pour 100 000 habitants varie entre les différents départements, de un à trois pour les médecins généralistes et de un à six pour les ophtalmologistes – et plus encore pour les psychiatres.

La proposition de 200 députés transpartisans de conditionner l’installation d’un nouveau médecin dans un territoire parmi les mieux pourvus au départ en retraite d’un médecin de la même discipline semblait conforme à la fois au principe républicain, à la mission de la Sécurité sociale et à l’éthique médicale elle-même. Il a été refusé par le gouvernement et par une majorité de députés, de peur d’un mouvement de grève rassemblant l’ensemble des syndicats de médecins libéraux et des étudiants en médecine.

La droite se rappelle la grève des médecins qu’avait provoquée en 1997 la décision d’Alain Juppé de « réguler » les honoraires des médecins libéraux. Il avait dû y renoncer et quelques mois plus tard la droite perdait les élections législatives anticipées. La leçon tirée de la séquence par les états-majors politiques fut alors : « Plus jamais ça ! »

Il s’agit donc d’une question de rapport de force. Mais l’art premier de la politique n’est-il pas d’éviter le front du refus ? Il s’agit en l’occurrence de séparer les partisans d’une médecine libérale moderne, partie prenante d’un service de santé d’intérêt général, des défenseurs de la médecine libérale « canal historique » gravée dans la charte de 1927 ? Parmi ces derniers, les plus radicaux détestent l’État, n’aiment pas la Sécurité sociale « qui déresponsabilisent les patients » et restent attachés au paiement à l’acte effectué directement par les patients. Il est utile de rappeler que le premier conventionnement national des médecins libéraux avec la Sécurité sociale n’eut lieu qu’en 1971, au prix d’une première scission au sein de la Confédération des syndicaux médicaux français (CSMF). Depuis se sont créés des syndicats toujours plus libéraux. Ces derniers ont obtenu en 1980, contre la CSMF majoritaire, la création du secteur 2 autorisant les spécialistes à pratiquer des dépassements d’honoraires « avec tact et mesure ». Conventionné à honoraires libres, un parfait oxymore que voudrait étendre aujourd’hui à l’ensemble des médecins le syndicat ultra-libéral « l’Union française pour une médecine libre » !

Devant l’extension du secteur 2 parmi les spécialistes (plus de 50% d’entre eux sont installés à ce jour en secteur 2) et l’augmentation des dépassements d’honoraires (plus de 3,5 milliards d’euros actuellement), les gouvernements ont cherché à limiter ces dépassements en échange d’une prise en charge par la Sécu d’une partie des cotisations sociales des médecins et d’un meilleur remboursement des patients. Ainsi a été créé une sous-catégorie de médecins installés en secteur 2 mais ayant choisi l’option tarifaire maîtrisée (OPTAM) qui impose un plafonnement des dépassements au double du tarif fixé par la Sécurité sociale et un accroissement du nombre d’actes réalisés au tarif de la Sécu. Moins de 50% des spécialistes ont choisi l’OPTAM.

Dans l’état actuel du rapport de force favorable aux médecins ultra-libéraux – en raison même de la pénurie de médecins –, il apparaît essentiel de dissocier les médecins dont le conventionnement implique une régulation des honoraires (secteur 1 et secteur 2 OPTAM) de ceux qui revendiquent à la fois la liberté tarifaire et la liberté d’installation tout en restant conventionnés par la Sécurité sociale (secteur 2 hors OPTAM). Le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

Le moindre courage politique serait d’imposer la régulation de la liberté d’installation en zones les mieux pourvues (par exemple les zones dont la densité médicale se situe dans le quintile supérieur) aux médecins secteur 2 hors OPTAM. Libres à ceux qui refusent cette régulation minimale de se déconventionner. Ce serait un premier pas redonnant un sens au conventionnement des médecins libéraux avec la Sécurité sociale. Bien sûr, cela ne réglerait pas la question des déserts médicaux dans les zones les moins bien pourvues (territoires ruraux et quartiers populaires périurbains). En la matière, quand la médecine libérale et les communautés professionnels des territoires de santé font défaut, c’est à l’État d’assumer ses responsabilités régaliennes. C’est le devoir des ARS, des collectivités territoriales et des hôpitaux publics de créer des centres publics de santé où les jeunes médecins pourraient travailler en équipe avec des infirmières, des paramédicaux, des assistants médicaux, des travailleurs sociaux et des médiateurs de santé, tout en bénéficiant de l’appui de consultations dites avancées de spécialistes hospitaliers ou libéraux appliquant les tarifs réglementés du secteur 1.

Ces professionnels des centres publics de santé pourraient choisir leur statut, libéral ou salarié. Le statut de salarié pourrait être celui d’un praticien hospitalier détaché avec une possibilité ultérieure pour les médecins qui le souhaitent d’évolution de carrière au sein des établissements du service public hospitalier.

 

Tag(s) : #Santé
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