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Lu sur Pesticides : le gouvernement veut-il la peau de l’expertise scientifique de l’Anses ? - L'Humanité (humanite.fr)
Pesticides : le gouvernement veut-il la peau de l’expertise scientifique de l’Anses ?

Derrière la mise en pause du plan Ecophyto et son objectif de réduire de moitié l’utilisation de pesticides par le gouvernement, un duel entre l'exécutif et le travail scientifique se joue. L’Anses, autorité indépendante qui a pour mission d'évaluer et autoriser les mises sur le marché est directement visée.

 le 4.02.24 à 19:28

Depuis 2014, l'Anses est chargée de l'évaluation et des décisions d'autorisation ou de retrait des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires (en lieu et place du ministère de l'Agriculture).© AFP/Philippe Huguen

 Dans les rangs de l’Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’annonce a eu l’effet d’une bombe. « C’est une insulte à notre travail, à notre utilité, à la science, peste l’un de ses membres. On veut nous enterrer ». Jeudi 1er février, pour calmer la colère agricole, le Premier ministre, Gabriel Attal, a tranché dans le vif la question des pesticides soulevée notamment par la FNSEA et sa demande de « moratoire » .

Deux annonces. Une mise « en pause » du quatrième plan Ecophyto qui fixait un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides d’ici 2030 (par rapport à 2015-2017). Et une volonté affichée d’en finir avec la « surtransposition » des règles européennes en réalignant le calendrier de l’Anses avec celui de l’autorité européenne de sûreté des aliments (EFSA) sur l’autorisation des produits phytosanitaires. « Que l’Anses se prononce sans coordination avec le régulateur européen n’a pas de sens, a-t-il fait savoir. Nous sortirons de cette situation ». Faut-il y voir une volonté de mise au pas de l’Anses, à la manœuvre dans l’objectif et la réalisation de réduction de l’utilisation des pesticides ?

Le dernier épisode de « tentatives de déstabilisation » de l’agence

Depuis 2014, l’Anses est chargée de l’évaluation et des décisions d’autorisation ou de retrait des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires (en lieu et place du ministère de l’Agriculture). « Si l’Anses a récupéré ces responsabilités, c’est parce que le ministère de l’Agriculture est le siège de tous les lobbies, observe un autre de ses membres qui siège au comité scientifique de l’agence. Avoir une autorité indépendante, c’était le seul moyen de pouvoir avancer sur la question des pesticides et de s’assurer que les décisions seront prises à partir des enjeux de santé publique et de protection de l’environnement. Et non pas des seuls intérêts économiques de l’agro-industrie… Forcément, ça dérange ».

Pour cette source, qui voit en Marc Fesneau un « opportuniste » qui n’entend que « contenter la FNSEA » davantage pour obtenir une « paix politique » que par « idéologie », ces annonces constituent le dernier épisode de « tentatives de déstabilisation » de l’agence et de son pouvoir. Car depuis quelques temps, les bras de fer sont récurrents entre le pouvoir politique et l’autorité scientifique autour de la question des pesticides. Le plus symbolique est à trouver sur la question du S-métolachlore, l’une des substances actives herbicides les plus utilisées en France.

Février 2023, les études menées par l’Anses démontrent que ce produit « contamine » les eaux souterraines. Afin de « préserver la qualité des ressources en eau », l’Anses engage « la procédure de retrait des principaux usages des produits phytopharmaceutiques à base de S-métolachlore », et lève treize autorisations de commercialisation d’herbicides.

« Les méthodes du ministre à notre encontre sont d’une violence inouïe »

Immédiatement, la FNSEA voit rouge. « Cette décision crée des impasses techniques réelles, prive les agriculteurs d’un outil de production essentiel, et met en péril la capacité de l’agriculture française à produire une alimentation sûre, saine et de qualité », s’indigne-t-elle alors. Jusqu’à trouver un allié de poids… Le ministre de l’Agriculture lui-même.

 

Lors du congrès annuel du syndicat, en mars 2023, Marc Fesneau tient à rassurer tout en se montrant offensif : « Je viens de demander à l’Anses une réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore. (…) Je ne serai pas le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d’une agence ». Un bras de fer qui s’est conclu par une défaite pour le ministre, le S-métolachlore ayant finalement été interdit au niveau européen en ce début d’année. Faut-il y voir le moteur d’une certaine rancœur gouvernementale ?

« Les méthodes du ministre à notre encontre sont d’une violence inouïe, se scandalise un troisième scientifique de l’Anses. Que ce soit sur le S-métolachlore, la phosphine (un insecticide hautement toxique utilisé pour traiter les cargaisons de céréales – NDLR) dont les restrictions d’utilisation ont aussi été contestées par le gouvernement, ou les dernières annonces, nous sommes désignés comme des empêcheurs de tourner en rond alors que nous sommes là pour pousser la robustesse des décisions à partir d’expertises solides, mais aussi pour éclairer le gestionnaire des risques, à savoir le pouvoir politique, dans l’élaboration de réponses de long terme à ces enjeux essentiels… ».

« Gabriel Attal réussit l’exploit, dans une seule déclaration, de mettre en cause nos institutions à plusieurs niveaux »

Des attaques en règle déplorées également dans l’arène politique, en très grande partie à gauche. « Nous avons besoin d’une autorité indépendante, plaide la députée écologiste de la Drôme, Marie Pochon. Ecophyto est un échec terrible : les objectifs n’ont pas été atteints, les dates ont été reculées pour masquer l’échec… Et maintenant on fait tout sauter : objectifs, dates, et même l’Anses ? Alors que toutes les études scientifiques montrent l’impact négatif des pesticides sur la santé humaine et le vivant, c’est un terrible aveu de soumission à l’agro-industrie et un retour en arrière terrible ».

Un avis partagé par Dominique Potier, député socialiste de Meurthe-et-Moselle et rapporteur de la commission d’enquête « sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires », conclue en décembre 2023. « Gabriel Attal réussit l’exploit, dans une seule déclaration, de mettre en cause nos institutions à plusieurs niveaux, constate-t-il. L’autorité scientifique, confiée à l’Anses, tout d’abord. L’autorité judiciaire ensuite, puisqu’un jugement du tribunal administratif de Paris du 29 juin 2023 enjoint le gouvernement à respecter ses trajectoires de baisse de produits phytosanitaires avant le 30 juin 2024. Et enfin les règlements européens qui invitent les Etats membres à prendre cette direction. Viser l’Anses et ses décisions, c’est une décision stupéfiante sur le plan démocratique et scientifique ».

Cette défiance de l’Anses et de son rôle n’apparaît pas uniquement dans les mots du gouvernement. On la retrouve également dans certaines initiatives parlementaires soutenues par la majorité. Le 11 mai 2023, l’Assemblée nationale adopte – avec les voix de LR et du RN- une résolution relative aux « surtranspositions » de directives européennes en matière agricole. Le texte appelle à « conditionner toute interdiction de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, qu’elle émane d’une autorité nationale ou européenne, à l’existence de solutions alternatives efficaces ». Même chose au Sénat quelques jours plus tard dans un autre texte : la proposition de loi « Ferme France » de Laurent Duplomb (LR), agriculteur de profession.

Une volonté partagée qui constitue, pour les associations favorables à la diminution de l’utilisation des pesticides, une remise en cause groupée du principe d’autorisation de mise sur le marché fondées sur l’évaluation scientifique, et donc des prérogatives de l’agence. « Nous voilà donc revenus dans une ère dans laquelle le politique, sous pression de la FNSEA, décidera de maintenir sur le marché plusieurs mois ou années de plus des pesticides alors même que l’on saura qu’ils ont des effets inacceptables pour la santé ou l’environnement ? », soupire Générations futures. Pour combien de temps encore l’Anses conservera ses marges de manœuvre ?

  

Tag(s) : #agriculture
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