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Guerre en Ukraine : la Russie met la main sur le « grenier à blé » de l’Europe

Le cours des matières premières agricoles s’est envolé le 24 février, après le début des bombardements russes en Ukraine. La guerre dans le « grenier de l’Europe » fait craindre un manque d’approvisionnement.

L’un des effets collatéraux des bombes russes larguées en Ukraine est l’explosion du cours des matières premières agricoles. Jeudi 24 février, quelques heures après le début de cette guerre aux portes de l’Europe, les prix des céréales ont atteint des niveaux record en séance sur Euronext, avec un pic totalement inédit pour le blé à 344 euros la tonne (+ 33 %). Sans atteindre de tels niveaux, le maïs a vu son cours flamber, grimpant jusqu’à 304 euros la tonne (280 euros à l’ouverture). Le colza, lui, a flirté avec les 778 la tonne, à mi-séance jeudi, dans le sillage de l’ensemble des huiles végétales. L’Ukraine fournit en effet 1 graine de tournesol sur 3 dans le monde.

En envahissant l’est de l’Ukraine, Vladimir Poutine met la main sur une partie du véritable « grenier à blé » du continent européen. Là-bas, les terres agricoles représentent plus de 70 % de la surface du pays, soit 42 millions d’hectares, presque deux fois les surfaces cultivables de la France. D’autre part, le tchernoziom (« terre noire » en russe) est l’un des meilleurs sols au monde. Cette terre contient 3 à 15 % d’humus et s’étale sur 1 à 6 mètres de profondeur. Elle est si riche en potasse, phosphore et oligo-éléments qu’on peut facilement se passer d’engrais azotés pour travailler ces sols. Voilà pourquoi le pays fait office d’Eldorado.

L’est du pays est une succession de plaines fertiles d’où provient jusqu’à 40 % du blé ukrainien (8 % pour les seules régions de Lougansk et Donetsk, dont le président russe vient de reconnaître l’indépendance). On pourrait s’en moquer, sauf que l’Ukraine est le quatrième exportateur mondial de céréales. De nombreux pays en dépendent, notamment l’Égypte, le Liban, le Maroc... Si la crise s’étend à l’ensemble du pays, les céréales pourraient bien rester bloquées dans les ports de la mer Noire, provoquant alors de probables ruptures d’approvisionnement. Sur les mois de février et de mars, le pays compte pour 8 à 10 % du marché mondial de blé.

Le tchernoziom (« terre noire ») est l’un des meilleurs sols au monde. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Adam Jones
« Nous avons stoppé toutes les opérations de semis dans les champs  »

Miracle d’une planète mondialisée, les bombardements se déroulant à 3 000 kilomètres de Paris auront-ils des conséquences sur le panier des Français ? Pour la France, elle-même exportatrice de blé, le risque de rupture d’approvisionnement est faible, voire nul. Les producteurs de céréales vont profiter de la hausse des prix, tandis que la filière de l’élevage, elle, est « très inquiète »« Cela aura des répercussions sur la production agroalimentaire, estime Nathan Cordier, analyste du cabinet Agritel. Les porcs ou les volailles françaises mangent de la céréale produite en France, mais dont le prix va suivre les cours mondiaux. Cela va se traduire, encore une fois, par des marges faibles, nulles voire négatives pour l’élevage français. »

L’ensemble du secteur craint également le renchérissement du prix des engrais, qui ont déjà augmenté de 90 % en 2021 et qui vont subir l’augmentation du prix du gaz russe (les engrais azotés sont fabriqués à partir de l’ammoniac, obtenu par la combinaison de l’azote de l’air et de l’hydrogène provenant du gaz naturel). La Russie et La Biélorussie sont ainsi parmi les plus grands exportateurs d’engrais du monde.

Autre crainte, l’emploi par Poutine de mesures de rétorsion visant les produits agricoles européens. En 2014 déjà, l’Union européenne avait sanctionné la Russie en réponse à l’annexion de la Crimée, « l’agriculture avait été le premier secteur ciblé par Vladimir Poutine », a rappelé Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, sur BFMTV. L’embargo alimentaire russe avait alors touché « le lait, le fromage et tous les produits laitiers »« Nous n’avons jamais retrouvé les volumes que nous avons perdus à ce moment-là », s’est-elle désolée, car la Russie « en a profité pour reconquérir sa souveraineté alimentaire ».

Le conflit va influencer à terme les activités des entreprises basées sur place. Selon un document des douanes françaises, quinze entreprises agroalimentaires sont implantées là-bas, notamment dans les domaines de la production, du négoce et de la transformation des céréales (Soufflet, Louis Dreyfus, Malteurop), de la transformation du lait (Danone, Lactalis, Savencia - Bongrain Zvenigorod, Bel), et de la production de semences végétales (Limagrain, MAS seeds et Euralis).

Au siège parisien de la société Agrogeneration, l’inquiétude est palpable. « Depuis jeudi au matin et l’entrée de l’armée russe sur le territoire ukrainien, le personnel est resté cloîtré chez lui. Nous avons donc stoppé toutes les opérations de semis dans les champs », signale Martha Kukhar. Agrogeneration détient 120 000 hectares en exploitation, dont 60 000 dans la zone de conflit, près de Kharkiv, où des bombardements ont eu lieu à 5 heures du matin jeudi. Cette société fait partie des dix plus grosses détentrices de terres agricoles en Ukraine, avec le conglomérat saoudien Continental Farmers Group (195 000 hectares), la société d’investissement privée américaine NCH Capital (430 000 hectares) ou encore la société ukrainienne déclarée au Luxembourg Kernel (570 500 hectares).

En déstabilisant les marchés mondiaux des céréales ou l’agroalimentaire français et européen, l’offensive dévoile les interrelations complexes d’un monde perfusé aux énergies fossiles, à l’agriculture intensive et mondialisée.

Tag(s) : #Economie
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