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Lu sur http://www.regards.fr/l-humeur-du-jour/article/europe-danse-au-dessus-du-volcan

 Par Gildas Le Dem | 9 mars 2018

Europe : danse au-dessus du volcan

Les élections allemandes et italiennes confirment la montée de l’extrême droite, l’effondrement des partis socio-démocrates et l’aggravation des fractures inégalitaires et identitaires au sein des États-membres. L’Union européenne poursuit sa désintégration.

Emmanuel Macron peut-il encore espérer relancer le processus d’intégration de l’Union européenne ? À l’évidence, non. La Grande-Bretagne sortie de l’UE, le président français ne pouvait guère imaginer, en effet, s’appuyer que sur deux autres "grands" partenaires historiques : l’Allemagne et l’Italie. Seulement les récentes reconfigurations des paysages politiques allemands et italiens viennent largement oblitérer cette perspective.

Merkel affaibli, le SPD discrédité

Les résultats électoraux en Allemagne ont, on le sait, considérablement affaibli l’autorité d’Angela Merkel. La chancelière allemande ne dispose sans doute plus du crédit nécessaire pour se lancer dans une nouvelle étape du processus européen : celle qui verrait, comme on nous l’annonce depuis des décennies, l’Union européenne couronnée par un véritable gouvernement économique, doublé d’une harmonisation sociale et fiscale.

À supposer que cette promesse des dirigeants français ait un jour été d’actualité, ou même qu’ils aient un jour travaillé à la traduire dans la réalité, la chancelière – en annonçant, dimanche soir vouloir ouvrir les rangs de son gouvernement aux contestataires de l’aile la plus conservatrice de son parti – vient à l’évidence de refermer la porte.

Quant au SPD, qui s’est une fois de plus rallié au consensus au centre en acceptant de participer à une énième grande coalition, son crédit est plus que jamais entamé auprès des classes populaires, mais aussi de la jeunesse allemande (et d’abord auprès de sa jeune base militante qui, derrière Kevin Kühnert, avait mené campagne contre cette nouvelle grande coalition et le consensus ordolibéral).

Bien plus : le SPD s’est à ce point effondré dans l’opinion que le parti social-démocrate est désormais devancé dans les sondages par une formation populiste de droite extrême et ce, pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En cas d’élections anticipées, l’AfD recueillerait en effet aujourd’hui 16,5% des suffrages, contre 15% au SPD.

C’est dire combien la reconduction de la grande coalition et de l’ordolibéralisme le plus orthodoxe, loin de réduire les progrès de l’AfD, représente au contraire, pour le parti de la sinistre Alice Weidel, l’assurance et la promesse de pouvoir se présenter comme la seule forme d’opposition possible au consensus au centre.

Double fracture en Italie

L’effondrement de la social-démocratie italienne est, pour sa part, vertigineux. Le PD de Matteo Renzi, qui recueillait encore près de 40% des suffrages aux élections européennes de 2014, voit son score réduit de moitié, avec 19% des suffrages exprimés ce dimanche. Matteo Renzi, qui représentait il y a quelques mois encore un modèle pour Manuel Valls et Emmanuel Macron (il s’était lancé dans une réforme du droit du travail et avait cherché à réformer la constitution par la voie référendaire) a donc logiquement démissionné de la direction du PD après avoir été évincé de celle du gouvernement.

Et, si le PD n’est pas encore devancé par la Ligue (qui le talonne tout de même avec 17,4% des suffrages), il est devenu, de toute évidence, un astre mort face au Mouvement populiste 5 Étoiles qui, avec plus de 30% des suffrages, est apparu comme une option massivement mais raisonnablement dégagiste : articulée autour du slogan « Mandiamoli tutti a casa » (« Renvoyons-les tous à la maison »), la formation populiste promettait en effet de renvoyer le PD de Renzi et Forza Italia à leurs travaux européens, sans pour autant céder une voix à la Ligue.

Si le mouvement M5S, avec Luigi Di Maio, ne promet sans doute plus une sortie des traités européens, son hégémonie rend en revanche impossible l’hypothèse d’un "renzusconisme", d’une alliance Renzi-Berlusconi ou, si l’on préfère, PD/Forza Italia, qui aurait, en dépit des séismes qui secouent toute l’Europe et singulièrement l’Italie, remis cette dernière sur les voies de l’intégration européenne. En Allemagne comme en Italie, Emmanuel Macron voit donc se dérober le sol sous ses pieds.

Il y a pire. Si l’on en croit, en effet, l’analyse des résultats de la carte des élus du scrutin uninominal publiée par La Stampa, l’Italie, comme tous les pays européens, est aujourd’hui doublement fracturée, divisée. En l’espèce, divisée entre une Italie du Nord vieillissante d’une part qui, avec la Ligue, s’est massivement prononcée en faveur de la poursuite des politiques d’austérité néolibérale, et une politique hostile aux migrants. Et une Italie du Sud encore jeune, d’autre part qui, avec le M5S, affiche la volonté, même vague et par défaut, d’une mise à distance du consensus au centre ; la volonté de freiner le processus d’intégration européenne ; une position relativement neutre sur les migrants [1]
 ; une volonté d’unité nationale enfin (« Nous sommes une force politique qui représente toute la nation, du Val d’Aoste à la Sicile », a déclaré dimanche soir Luigi di Magio).

C’est qu’en effet, la Ligue ne fait pas seulement passer une violente ligne de fracture entre Italiens et migrants d’une part, mais Italiens du nord et Italiens du sud d’autre part, c’est-à-dire entre une population vieillissante et économiquement dominante d’une part, et une population jeune et économiquement dominée d’autre part.

Désintégration sociale et politique

Or c’est bien cette double fracture qui traverse, aujourd’hui, toute l’Europe : une fracture inséparablement inégalitaire et identitaire. Tout se passe en effet comme si l’aggravation des inégalités en Europe, après quarante années, bientôt, de politiques d’austérité néolibérale, de démantèlement de l’État social au nom de l’intégration européenne conduisait inéluctablement, non seulement à plus de tensions entre les États européens. Mais aussi à des tensions à l’intérieur de ces États, que celles-ci prennent la forme de tensions identitaires internes ou à l’égard des migrants, mais également la forme de tensions entre des populations de plus en plus âgées et riches d’une part, et des populations de plus en plus jeunes et pauvres d’autre part.

De récentes études d’Eurostat tendent en effet à montrer que les quelques 18 millions de femmes et d’hommes sans travail dans l’Union européenne sont aujourd’hui de plus en plus exposés au « risque de pauvreté ». Et sur ce point, la tendance est à l’aggravation continue depuis une quinzaine d’années : le risque de pauvreté est passé dans l’UE et la zone euro de respectivement 40% et 37% en 2005 à 48,7% dans les deux ensembles fin 2016 (avec un taux qui explose notamment en Allemagne à 70%, en raison des jobs à un euro, des temps partiels imposés, etc.).

Quant aux inégalités entre générations en Europe, c’est une étude du FMI lui-même qui lance aujourd’hui l’alerte : si avant la crise de 2008, la pauvreté touchait de façon comparable les générations, les jeunes européens y sont aujourd’hui nettement plus exposés. Un sur quatre fait face à un tel risque, avec un revenu inférieur à 60% du revenu médian. Selon la même étude du FMI, les 16-34 ans détiennent moins de 5% de la richesse nette des Européens et sont aussi les plus endettés, au point que sa directrice (Christine Lagarde, qu’on soupçonnera difficilement de gauchisme), évoque « une génération qui risque de ne jamais se relever ».

C’est dire que les tensions politiques qui fracturent aujourd’hui l’Europe, et qui rendent de plus en plus improbable une relance du processus d’intégration européenne ne sont pas, ou pas seulement, de simples accidents électoraux nationaux. Mais qu’ils sont le symptôme d’une désintégration à l’échelle européenne – une désintégration aussi bien sociale que politique.

Loin d’avoir apporté la paix et la prospérité promises par ses fondateurs, l’Union européenne se révèle être un processus d’intégration désintégrateur. Et c’est sur cet abîme qu’Emmanuel Macron, et avec lui tous les dirigeants de la vieille Europe néolibérale, dansent, pareils à des hommes ivres, comme au-dessus d’un volcan.

Notes

[1On pointera sans doute le fait que le M5S n’a pas opposé de contre-discours puissant au discours violemment anti-migrants de la Ligue. Que le mouvement populiste s’est parfois tu, quand il n’a pas laissé se développer des discours anti-immigrationnistes dans ses rangs. Et c’est vrai. Reste que le M5S a, du moins, tenté d’articuler le discours sur la crise des migrants à un discours sur les réseaux mafieux qui, de la Calabre à Vintimille, ont fait des déplacements des migrants vers la France, notamment, un marché, et corrompent l’appareil d’État italien. Quand le PD de Matteo Renzi a au contraire, en pratique, durement réprimé les tentatives d’auto-organisation des migrants, et s’est refusé (tout comme du reste comme Emmanuel Macron, d’ailleurs célébré par Robert Ménard) à reconnaître la réalité d’un véritable trafic humain, organisé par des européens en Europe.

Tag(s) : #Union européenne
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