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"Secret des affaires" : quand l’opacité devient norme
Le Parlement européen a adopté la directive "secret des affaires" qui protège les entreprises… contre les lanceurs d’alerte, les journalistes d’investigation, les syndicalistes ou les salariés. Une nouvelle victoire des lobbies contre les citoyens.
Aujourd’hui, le Parlement européen a adopté la directive sur la protection du secret des affaires. Très controversée, elle menace les fondements même du droit européen, en renforçant le droit au secret des entreprises au détriment des droits des citoyens : droit à l’information, à l’environnement, à la santé, au travail... Une initiative peu cohérente avec la volonté d’« accroître la transparence fiscale » des multinationales affichée par la Commission européenne en réaction à l’affaire des Panama Papers.
Le projet de "directive sur la protection du secret des affaires" ne date pas d’hier. Il est le fruit d’un long travail d’élaboration, initié dès 2011 auprès de la Commission par un conglomérat de lobbies de multinationales européennes, notamment la Trade Secrets and Innovation Coalition et le Conseil européen des industries chimiques (CEFIC) [1]. Un travail auquel la Commission n’a eu de cesse de convier l’ensemble des lobbies industriels, au contraire des associations de citoyens et autres représentations à Bruxelles, longtemps maintenues dans l’ignorance. Rien de surprenant, alors, si cette directive, issue de discussions entre la Commission et une armée de juristes rémunérés aux frais des multinationales, défend les intérêts de ces dernières au détriment des droits fondamentaux.
La généralisation d’un régime du secret
En effet, le secret des affaires, déjà protégé par les notions d’espionnage industriel et de concurrence déloyale, concernait seulement les entreprises jusqu’à présent : ne peuvent être attaquées en justice que celles qui se livreraient à ce genre de pratiques. Avec cette directive, plusieurs catégories de citoyens (journalistes, lanceurs d’alerte, salariés, syndicalistes…) entrent désormais en ligne de mire. Un élargissement juridique dangereux, d’autant plus que la définition du "secret des affaires" présente dans la directive est large, floue, et ainsi sujette à interprétation.
De plus, puisqu’il s’agit d’une directive, c’est-à-dire d’une recommandation a minima adressée aux États, ces derniers pourront décider d’aller plus loin dans son application nationale, que ce soit par l’élargissement de la définition du secret des affaires, ou bien par la fixation de lourdes sanctions pour les contrevenants. Une éventualité plausible, quand on se souvient de la loi Macron, dans laquelle avait brièvement été intégrée par amendement, en janvier 2015, une protection du "secret des affaires" portant les peines jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende. Disposition finalement rejetée par les députés.
Il s’agit donc d’un processus d’harmonisation, à l’échelle européenne, d’un régime du secret auquel les journalistes et lanceurs d’alertes doivent déjà faire face dans certains pays, comme l’illustre la récente mise en examen au Luxembourg d’Antoine Deltour et Édouard Perrin, à la suite de leurs révélations qui ont lancé l’affaire LuxLeaks. Quant aux salariés qui changeraient d’entreprise, ils sont désormais susceptibles d’être attaqués sous un délai de six ans par leur ancien employeur s’il considérait certains savoirs réutilisés comme des secrets d’affaires.
Un renforcement de la suprématie des multinationales
On peut légitimement se demander où en serait l’affaire des Panama Papers si une telle directive avait été votée quelques années auparavant. Couplée à une éventuelle signature du Traité transatlantique (TTIP ou TAFTA), qui confèrerait la possibilité aux entreprises d’attaquer les États devant des tribunaux privés, cette directive consacrerait la domination des multinationales sur la société civile et les pouvoirs publics.
Ce projet a logiquement fait l’objet d’une levée de boucliers de la part des associations, des journalistes et d’organisations syndicales. Lancée par Élise Lucet en juin 2015, la pétition "Ne laissons pas les entreprises dicter l’info" en est aujourd’hui à près de 530.000 signatures recueillies. Puis, le 30 mars dernier ont paru un rapport et une pétition de Corporate Europe Observatory, signés par plus de cinquante associations, syndicats et ONG européen(ne)s. Enfin, de manière plus offensive, une plateforme affichant des numéros d’eurodéputés a été lancée mardi 14 avril par une cinquantaine d’organisations, afin de pousser les citoyens européens à faire pression directement sur leurs représentants. Insuffisant pour faire pencher la balance. La coalition Stop Trade Secret a réagi, ce jeudi, par un communiqué résumant le sentiment général, et ainsi conclu :
« C’est un texte protégeant les lanceurs d’alertes et imposant la transparence aux multinationales que le parlement européen aurait dû adopter. Au contraire, avec cette directive, le parlement européen a l’inconscience de créer un nouveau droit à l’opacité́ pour les multinationales et fragilise encore les contre-pouvoirs. »
Alors que la confiscation de la démocratie au sein de l’UE apparaît de plus en plus insoutenable (lire l’interview de Yanis Varoufakis), les institutions européennes confirment qu’elles tiennent à rester plus proches – au propre comme au figuré – des entreprises que des citoyens.
Notes
[1] Lire l’article de l’Observatoire des multinationales basé notamment sur l’enquête très documentée de Martine Orange pour Mediapart.
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Des paroles aux actes: La gauche française (FDG, Verts) a voté contre. La minorité du PS s'est abstenue. La majorité libérale et social- libérale du Parlement européen , Front national inclus, a voté la directive. Clair, non?