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Penser la France dans 10 ans avec les idées d’aujourd’hui

Lu sur http://www.regards.fr/web/la-france-dans-10-ans-devra-penser,7843

La "France dans 10 ans" devra penser comme celle d’aujourd’hui

Par Jérôme Latta| 27 juin 2014

Entre grands principes abstraits et conformité aux dogmes économiques actuels, le rapport Pisani-Ferry rendu à François Hollande constitue une énième invitation à "réformer" le pays, sans vision politique ni projet de société.

Il s’intitule "Quelle France dans dix ans – Les chantiers de la décennie", et il s’agit d’un rapport au président de la République rédigé sous la direction de Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective (donc sous l’égide de France stratégie), qui fait suite au séminaire gouvernemental de l’été 2013.

C’est déjà un bon support de communication, présenté dans le dossier de presse avec de jolis visuels, et qui exprime constats et objectifs avec des formules simples. Il est question pour les premiers d’un « décrochage progressif depuis vingt-cinq ans » ou d’« atouts solides insuffisamment exploités », pour les seconds de figurer « parmi les dix pays de l’OCDE où l’on vit le mieux » ou de rejoindre le premier tiers des pays européens pour l’emploi, le « premier tiers des pays de l’OCDE pour la confiance dans autrui », ainsi que « le groupe des pays européens leaders pour l’innovation ».

On reconnaît la chanson

Dans les synthèses, on note le caractère très sélectif de l’état des lieux et de l’inventaire des causes : tous les problèmes de la France semblent trouver leur source chez les Français et leur modèle défaillant, selon l’habituel procédé culpabilisateur. La crise financière, les politiques d’austérité, le dogme monétaire et financier européen, le démantèlement des services publics, le coût du capital ou encore le creusement des inégalités restent ainsi hors-champ, laissant au centre la question de l’adaptation insuffisante du pays à son environnement économique.

Mais même en admettant, par hypothèse, la nécessité de cette adaptation, les neuf grands objectifs semblent surtout se payer de mots et de grandes abstractions, en appelant à « une démocratie de la confiance », « une société décloisonnée et ouverte sur le monde », « une économie du mouvement » ou « une Europe force d’entraînement ». L’introduction, elle, invite à « retrouver le goût des lendemains ». Le propos est toutefois plus explicite lorsque les objectifs désignent un état entreprenant et économe » ou lorsque que celui du « développement responsable » s’attache moins à afficher des ambitions écologiques qu’à « ramener la dette publique à 75% du PIB » et à « réduire à moins de 49 % la part des dépenses publiques dans le PIB ».

On n’est pas plus dupe quand il est dit que « préserver les sécurités collectives pour vivre dans une société juste impose de revoir en profondeur le modèle social ». On reconnaît pareillement la chanson quand le constat de « résultats sociaux comparativement meilleurs » s’accompagne de « Nous dépensons plus que d’autres pour un même résultat » et « Ces dépenses ont largement été financées par un recours à l’endettement ».

Surtout pas un projet de société

Pour s’épargner l’exégèse du rapport, on peut s’en remettre à un de ses nombreux interprètes patentés. Pas forcément l’un des gardiens du dogme les plus connus. Emmanuel Cugny, par exemple, qui évangélise quotidiennement les auditeurs de France Info avec sa chronique "Tout info tout éco". N’ayant rien d’un ultra du libéralisme, son discours restitue fidèlement le point de vue moyen (et dominant) sur les questions économiques. Il livre, sur un ton docte, sans arrogance, ce sur quoi les gens qui savent s’accordent.

Alors, à l’écouter jeudi matin, on savait que, « ancien membre du cabinet de Dominique Strauss Kahn à Bercy, fondateur et ancien directeur du think tank européen Bruegel basé à Bruxelles, Jean Pisani-Ferry est un homme ouvertement de gauche, social-démocrate teinté d’un libéralisme mesuré » (c’est-à-dire de droite, si l’on traduit). Son rapport « a une vertu : montrer l’ampleur de la tâche », et « propose, entre les lignes, de remettre en question l’universalité de la protection sociale pour la diriger vers les plus nécessiteux, quitte à réviser le partage public-privé dans la couverture de certains risques », mais aussi « de pérenniser le Pacte de responsabilité en incluant la baisse des charges sociales dans le barème des cotisations patronales… et puis bien sûr réduire les dépenses publiques ». Il conclut : « Rien de bien nouveau, mais l’économiste appuie sur des points qui font mal ». Une façon assez claire de désigner ce que les "Français dans 10 ans" auront dû sacrifier.

Bien sûr, on peut aussi mentionner les objectifs qui ont quelque teneur sociale, comme ceux de réduire de 30% le prix des logements et à 20% le taux de non-recours aux prestations sociales, ou celui consistant à « viser » (et non atteindre) le plein emploi… Il faudrait aussi rendre justice à quelques idées intéressantes, dans le détail du texte. Mais il n’y a là aucun projet de société, sauf à entendre « société » comme une façon de désigner l’entreprise France et sa compétitivité à améliorer. Le propos reste mi-technocratique, mi-publicitaire, et comme le souligne Étienne Combier sur Rue89, il ne se démarque pas des rapports précédents (Besson, Attali…) – ce qui n’a rien de surprenant puisque ce sont toujours les mêmes experts qui sont sollicités. Surtout, en définitive, le plus frappant est que cet exercice de prospective ne fait aucun effort d’imagination : il pense l’avenir avec les idées d’aujourd’hui

Tag(s) : #France prospective
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