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Migrants: une politique réaliste et généreuse

Anne Hidalgo : « Il faut mener la bataille politique pour un accueil digne des migrants »

Entretien réalisé par Pierre Duquesne et Aurélien Soucheyre

Jeudi, 8 Septembre, 2016

L'Humanité

«Avec toute mon équipe, avec les communistes, les Verts, le PRG, nous avons décidé de construire une alternative aux campements de rue», déclare Anne Hidalgo, maire de Paris. Photo: Julia Rostagni

La maire PS de Paris Anne Hidalgo revient pour l’Humanité sur les enjeux de cette rentrée politique, de l’ouverture de centres pour réfugiés à Paris au retour des mobilisations sociales sur la loi travail.

Vous avez annoncé mardi, avec le maire d'Ivry-sur-Seine, la création de deux camps humanitaires pour accueillir les réfugiés arrivés depuis des mois dans la capitale. C’est un acte fort, au moment même où d'autres élus, manifestent pour demander le démantèlement rapide du camp de Calais sans apporter la moindre solution pour les migrants. Pourquoi ce choix ?

Anne Hidalgo. Pour moi, c’est une responsabilité, un devoir, que Paris sache accueillir des populations fragilisées. Depuis le début de ma mandature, nous avons travaillé, lancé un grand plan de lutte contre la pauvreté, et sommes très impliqués puisque Paris fait partie des départements de France qui comptent le plus grand nombre de places d’hébergement d’urgence par habitants (4 places pour 1000 habitants). Le territoire parisien concentre à lui seul 56% de l’offre d’hébergement du Grand Paris. Mais depuis deux ans maintenant, Paris et l’ensemble de l’Europe sont confrontés à une crise migratoire sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. Les grandes villes-monde attirent de plus en plus de populations en recherche de protection. Conjugué à des sorties insuffisantes des dispositifs, cela a conduit très vite à la saturation des hébergements d’urgence. À l’hiver 2015, j’ai interpellé l’État, parce que c’est de sa responsabilité première. J’ai demandé de l’aide et je n’ai pas vraiment eu cette aide. On m’a opposé que l’opinion publique pouvait verser du côté de la peur de l’autre. Mais avec toute mon équipe ici, large et plurielle, nous partageons cette conviction qu’il faut expliquer pourquoi il faut agir. Il ne suffit pas de se retrancher derrière l’idée que l’opinion est gagnée par la lepénisation des esprits puis se dire qu’il ne faut rien faire. La résorption des campements est un enjeu humanitaire, pour les gens qui y vivent dans des conditions indignes, et aussi pour les riverains qui sont confrontés à cette situation. Avec toute mon équipe, avec les communistes, les Verts, le PRG, le PS, nous avons donc décidé de construire une alternative aux campements de rues. Avec les associations humanitaires, Emmaüs, France terre d’asile, Médecins du Monde, le Samu social, nous avons proposé de créer un centre d’accueil pour les réfugiés. Je l’ai annoncé en mai. J’ai dit que je souhaitais que l’État me suive, et que s’il ne suivait nous ferions quand même.

Lire aussi : La mairie de Paris dévoile son dispositif d’accueil d’urgence des migrants

Est-ce le rôle des collectivités locales, comme Paris, mais aussi Ivry, de gérer cette situation ?

Anne Hidalgo. Après l’annonce de mai, nous avons eu une discussion appuyée avec le gouvernement et les différents services de l’État. Ils ont accepté, je les remercie de nous accompagner dans cette démarche et de s’engager à créer à l’échelle nationale plus de places d’accueil pour les réfugiés. Très vite, j’ai appelé Philippe Bouyssou (maire PCF d’Ivry – NDLR), qui est vraiment un maire avec lequel j’ai une relation de confiance. Le site d’Ivry accueillera des publics spécifiques, les plus vulnérables de ce flux de réfugiés, notamment les femmes et les enfants, quand les hommes seront eux accueillis Porte de la Chapelle.

La question est aussi sanitaire. Or, selon nos informations, le ministère de la Santé ne participe pas.

Anne Hidalgo. Paris a, en tant que département, des compétences sanitaires. Mais bien sûr, si l’Agence régionale de Santé et le ministère de la Santé souhaitent s’impliquer directement, je n’aurai aucun problème à cela, bien au contraire. Je ne souhaite pas agir sans que le ministère de la Santé puisse regarder, voir s’impliquer dans le processus.

Que répondez-vous à certaines critiques à droite, selon lesquelles le camp va très rapidement faire appel d’air pour finir par être débordé ?

Anne Hidalgo. L’enjeu doit dépasser les clivages politiques. D’ailleurs, le groupe UDI-Modem au Conseil de Paris soutient ma démarche. Cet argument de l’appel d’air que j’entends souvent chez Les Républicains ne tient pas. Créer des conditions dignes d’hébergement c’est d’abord régler un problème lié à des personnes qui sont déjà là, et non pas dire à la terre entière ‘’venez, on a de la place’’. Je suis en responsabilité, il y a des problèmes, il faut les régler, et j’essaie de trouver des solutions.

Un futur centre pour réfugiés, appartenant à la ville de Paris, à Forges-les-Bains, a été la cible d’un incendie volontaire. Que pensez-vous de ce rejet croissant ? L’intolérance envers les réfugiés existe aussi envers les sans-abris. Où en est le projet de centre d’accueil pour SDF dans le 16e arrondissement de Paris ?

Anne Hidalgo. Ce qui s’est passé à Forges-les-Bains est intolérable. Si la piste de l’incendie criminel est confirmée, ses auteurs doivent être durement sanctionnés. Il s’agit heureusement d’un phénomène marginal. Je suis convaincue que la majorité des habitants de cette commune, et plus largement de nos concitoyens, est déterminée à faire preuve de solidarité. On ne peut pas en dire autant d’une partie de la droite. Le groupe LR de Paris, avec sa chef de file, attise en permanence la polémique. De manière générale, cette droite essaie de bloquer tout ce qui pourrait amener à mieux partager l’effort et la solidarité à l’échelle parisienne en matière de centre d’hébergement. Mais je suis déterminée. Le centre d’accueil pour les sans-abris, situé dans le 16e, verra bien le jour fin octobre.

Les questions identitaires ont été placées depuis des semaines au centre du débat politique, par la droite et le premier ministre notamment. Pourtant, un sondage publié cette semaine montre que 64% des Français estiment que les thèmes économiques et sociaux priment…

Anne Hidalgo. J’ai dit avec mes mots mon ras le bol, à la veille d’une présidentielle, que le débat politique s’engage de cette façon. Les vrais problèmes sont liés au manque d’emploi, à la précarité des conditions de travail, aux inquiétudes qui pèsent sur l’avenir de nos enfants, à ce que l’école joue son rôle dans la réussite de chacun. Les vrais sujets sont là, dans le quotidien. Je suis atterrée, consternée, par la façon dont certains attisent les polémiques et nous imposent des sujets autour desquels toute la vie politico-médiatique devrait tourner, plutôt qu’autour de la question sociale, qui est bien là.

Aujourd’hui, dans l'Humanité Dimanche, Philippe Martinez déclare que « la CGT n'a pas tourné la page de la loi travail ». Une manifestation est annoncée le 15 septembre. Comprenez-vous cette mobilisation ?

Anne Hidalgo. La loi travail me semble être une erreur. On essaie, avec des lunettes du 20e siècle, d’apporter des solutions aux relations de travail du 21e siècle. Les renoncements contenus dans ce texte m’ont choquée, notamment l’argument selon lequel le droit du travail serait uniquement un outil de la compétitivité de l’entreprise. C’est faux. Il a d’abord pour fonction d’équilibrer une relation entre l’employeur et le salarié qui n’est pas égalitaire. Du jour au lendemain, le code du travail, qui a mis plus de cent ans à se construire, ne correspondrait plus à rien. Pire, le gouvernement nous explique qu’il est la cause du chômage, du manque d’emploi. Ces arguments ne tiennent pas. Ils étaient déjà utilisés par ceux qui voulaient totalement déréguler le travail à la fin des années 1970, au début de ma carrière d’inspectrice du travail. Avec cette loi, nous sommes loin de la modernité invoquée par le gouvernement.

Quelles auraient été les alternatives possibles ?

Anne Hidalgo. Il aurait été plus intelligent pour un gouvernement, de gauche a fortiori, d’approfondir un sujet consensuel et fédérateur : la création d’une véritable sécurité sociale professionnelle. Renforcer le compte personnel du salarié, pour renforcer ses droits dans un monde où l’emploi à vie n’existe plus, où les mobilités professionnelles sont beaucoup plus rapides, où l’exigence de formation est quasi-permanente. Peut-être aurait-il fallu introduire certains assouplissements en matière d’embauche et de licenciement, mais à la condition de mettre les organisations syndicales autour de la table. C’est une occasion ratée pour la gauche. Une réforme ne devrait pas satisfaire aux seules exigences du Medef, qui rêve de transformer le code du travail en une sorte de code civil, traitant employeurs et salariés d’égal à égal. Cela ne correspond pas à la vie réelle.

La loi Macron a aussi heurté la gauche. Les premiers bilans viennent de tomber. Quel est le vôtre, à Paris, notamment sur le travail du dimanche ?

Anne Hidalgo. On nous expliquait à l’époque que l’attractivité de la France reposait sur la possibilité pour les touristes asiatiques de venir faire leur course dans les grands magasins à Paris le dimanche. Dans le même temps, l’ancien ministre qui portait ce projet, lui, n’arrêtait pas de dire à tout le monde qu’il sacralisait ses samedis et dimanches... On ne peut appliquer aux autres ce que l’on ne s’applique pas à soi-même. J’ai proposé une approche pragmatique : regarder si le périmètre de certaines zones touristiques devait évoluer, tout en laissant ce pouvoir de décision aux élus locaux, qui sont les plus proches de la réalité du terrain. Mais dans le chaos et les fractures que connaissent aujourd’hui notre société, il faut aussi s’interroger sur le temps que nous passons les uns avec les autres. Il ne peut y avoir que du temps marchand ou du temps de travail.

Vous avez créé un observatoire sur le sujet. Quels sont les résultats ?

Anne Hidalgo. La loi n’a pas, pour l’instant, bousculé le paysage. Ce que l’on peut constater,c’est que les zones touristiques internationales ont créé une pression supplémentaire sur le foncier et les prix de l’immobilier. Dans certains quartiers, les commerçants nous alertent sur le fait qu’ils ne risquent de ne pas résister aux offres de rachats de grands groupes de distribution qui veulent s’installer dans ces zones. Cela aurait des effets très négatifs sur le tissu commercial parisien, alors que nous nous battons depuis des années pour maintenir des petits commerces et les artisans dans la capitale. Tout cela n’a pas été pris en compte par la vision caricaturale, très théorique et jacobine de l’ex-ministre de l’économie.

Ce dimanche, beaucoup de monde sera à la Fête de l’Humanité. Vous aussi ?

Anne Hidalgo. Non, et c’est un déchirement. Je n’ai pas beaucoup raté d’édition depuis près de quinze ans. J’aime l’ambiance fraternelle et militante de la Fête, faire le tour des différentes sections parisiennes du PCF et où je participe chaque année à des débats. Mais ce week-end, je serai aux Jeux paralympiques de Rio. C’est la moindre des choses quand on soutient la candidature de Paris 2024.

Comment s’assurer que les Jeux Olympiques de Paris profitent d’abord aux habitants et non aux multinationales ?

Anne Hidalgo. Dans son agenda 20-20, le Comité international olympique plaide pour des Jeux plus sobres. Il pose le principe de candidatures réutilisant les équipements existants et qui présentent un impact environnemental positif. C’est le cas de notre dossier, déjà doté en infrastructures, y compris en matière de transport, avec l’accélération d’un projet déjà lancé, celui du Grand Paris Express. Le CIO s’est de plus engagé à verser 1,8 milliard d’euros pour financer les équipements liés au Jeux. On ne va pas construire des éléphants blancs, mais on va accélérer l’amélioration de la vie quotidienne des habitants, et cela dès la candidature. Dans la capitale, notre projet prévoit de rendre la baignade possible dans la Seine. C’est un apport écologique non négligeable. En ce qui concerne les nouvelles infrastructures, je tiens à ce qu’elles bénéficient d’abord à la Seine-Saint-Denis, avec qui nous avons un projet de territoire, une communauté de destin. Elle recevra le village olympique à l’Île-de-Saint-Denis, la piscine à côté du Stade de France, et le village média au Bourget. Pour tous les habitants de ce département, et d’autres communes de banlieue parisiennes, les Jeux peuvent être un moteur extraordinaire de transformation et d’espoir, notamment pour cette jeunesse de banlieue, que l’on renvoie trop souvent à ses origines avant de lui dire qu’elle est Française. Je pense qu’elle peut être la principale bénéficiaire de ces Jeux, qui peuvent offrir un bel horizon collectif qui fédère le plus grand nombre.

Vous venez d’être élue présidente du C40, sorte de G20 des plus grandes villes du monde pour lutter contre le réchauffement climatique. Ce groupe représente 600 millions d’habitants, 25 % du PIB mondial mais aussi 70 % de l’émission des gaz à effet de serre. Ces chiffres montrent combien les villes sont au cœur des contradictions du capitalisme. Que va faire, et que peut faire, une élue de gauche dans un tel groupe ?

Anne Hidalgo. Tous les enjeux mondiaux ont des effets majeurs dans les grandes métropoles mondiales. La crise climatique, d’abord, car les villes sont les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. Mais c’est aussi dans ces zones que l’on voit des alternatives émerger, de façon plus rapide qu’au niveau des Etats. C’est aussi sur les places de ces « villes mondes » que s’inventent des solutions à la crise démocratique. Les questions du logement abordable, de la lutte contre la ségrégation sociale, du maintien des classes populaires en cœur de ville sont des enjeux dans toutes les concentrations urbaines, où le marché immobilier risque d'exclure toute une partie de la population. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de maires des grandes villes sont aujourd’hui des progressistes. C’est le cas de Sadhiq Khan, à Londres, des maires de Barcelone ou de Madrid, mais aussi à Rio-de-Janeiro ou New-York. Tous se battent pour faire en sorte que la population qui travaille dans ces villes puisse y vivre. Tous se battent pour défendre des projets de transition énergétique, créer des ponts plutôt que des frontières, et pour conserver une mixité sociale et fonctionnelle dans la ville. A l’échelle internationale, l’ONU a bien compris le rôle important des villes, qui seront l’objet de la grande conférence Habitat III qui se tiendra en octobre à Quito, en Équateur. L’ONU a compris que les grandes concentrations urbaines génèrent des problèmes, certes, mais aussi qu’elles peuvent faire émerger des solutions.

Nous avons la chance d’accueillir des populations exceptionnelles. J’ai confiance dans cette jeune génération qui participe à l’essor de l’économie sociale et solidaire à Paris, ou à une économie numérique hors des gros monopoles. Je crois à une métropole qui accueille cette population optimiste pour l’avenir, mais aussi qui accueille tous ceux qui demandent une protection, comme les réfugiés, ou qui aide tous ceux qui se trouvent en situation de fragilité. Mais il faut attaquer tous ces sujets de front. On ne peut améliorer les questions économiques et sociales, sans régler la question climatique, et inversement. Une ville qui ne réglerait pas la question de la pollution ou ne s’engagerait pas dans la transition écologique perdrait en attractivité.

Comment faire en sorte que les mesures anti-pollution, comme la limitation des véhicules anciens roulant au diesel, ne pénalisent pas les classes populaires ?

Anne Hidalgo. D’abord, une réalité doit être rappelée : la plupart des gens modestes utilisent les transports en commun, et n'ont pas les moyens d’avoir leur propre voiture. Cette remarque vaut notamment pour le débat sur les voies sur berges : les deux tiers des automobiles utilisant cette voie sont des CSP +, et parmi les catégories les plus aisées. Ensuite, notre plan d’amélioration de la qualité de l’air repose sur un système d’accompagnement financier pour tous ceux qui voudraient abandonner leur véhicule ancien, pour acquérir un véhicule électrique, prendre un abonnement Navigo, un pass Autolib ou acheter un velo électrique. Enfin, l’interdiction de circuler ne vaut pas le week-end, ce qui permet à ceux qui ont la nécessité d’utiliser ponctuellement leur vieille voiture, pour aller voir leur famille ou leurs amis, de le faire.

Tag(s) : #Réfugiés
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