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Par Salim Abdelmadjid, élève à l’École normale supérieure, agrégé de philosophie.

Dans le Coup d’État permanent, François Mitterrand s’inquiétait de l’étendue des pouvoirs conférés au président de la République. Il avait tort. Il n’avait pas considéré l’étendue des pouvoirs conférés au premier ministre. Sous la Ve République, le président et le premier ministre ont des compétences spécifiques, cela empêche la concentration des pouvoirs. Ils ont des compétences communes, ce qui les oblige à s’entendre, cela modère le processus de décision. Si la Ve République a pu corriger le déséquilibre entre l’exécutif et le législatif qui était la règle, au profit du Parlement, sous la IVe République, sans tomber dans le déséquilibre inverse ; si elle a pu remédier ainsi à l’instabilité de la IVe République, c’est par la dyarchie, l’autorégulation de l’exécutif. Contrairement à ce que certains avaient prévu, le Parlement, tenant l’essentiel de son pouvoir de la responsabilité devant lui d’un premier ministre aux pouvoirs étendus, n’avait pas été soumis.

Trois phénomènes récents ont miné cet équilibre : le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ; la conception de l’élection présidentielle comme le choix d’un package programmatique ; et enfin, si elles étaient appliquées, les propositions du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions. Après lecture, certaines des propositions du comité sont très louables, par exemple l’encadrement du pouvoir de nomination du président de la République, la limitation du 49-3 ou la reconnaissance aux justiciables de l’exception d’inconstitutionnalité. Mais leur signification et leurs conséquences pratiques sont minorées par les propositions 1 et 2 modifiant les articles 5 et 20 de la Constitution : « Le président de la République définit la politique de la nation (…) le gouvernement (la) conduit. » Ce n’est pas une clarification horizontale des compétences au sein de l’exécutif par leur partage, c’est la transformation verticale de leurs rapports par la soumission des compétences du premier ministre à la volonté du président de la République.

À vrai dire, cette modification est cohérente avec l’instauration du quinquennat et la primauté calendaire de l’élection présidentielle sur les élections législatives. Le projet présidentiel était déjà devenu, de fait, le programme du gouvernement et de la majorité parlementaire. Le comité ne propose que d’institutionnaliser la soumission, dans la pratique du législatif à l’exécutif en institutionnalisant la soumission du premier ministre, responsable devant le Parlement, au président irresponsable. Mais cela ne veut pas rien dire : le pouvoir du président n’admet plus de contre-pouvoir et, par exemple, la proposition 5 lui reconnaissant le droit, tout en demeurant irresponsable, de s’exprimer devant le Parlement équivaut alors à la reconnaissance de son droit de dérégler le processus parlementaire, rien moins que le viol légal du Parlement. Dans ces conditions, notre régime politique se résumerait au seul choix, tous les cinq ans, d’un seul homme auquel, pour cinq ans, seraient conférés tous les pouvoirs. Les Romains avaient un mot pour cette magistrature extraordinaire : la dictature.

Nicolas Sarkozy l’appelle de ses voeux quand il conçoit l’élection présidentielle comme le choix irrévocable d’un package programmatique. Pour prendre deux exemples dans l’actualité : si on lui demande pourquoi il ne recourt pas au référendum pour la ratification du traité simplifié, ou pourquoi le gouvernement ne négocie pas plus avant sa réforme des régimes spéciaux, il répondra inlassablement : je l’ai annoncé durant la campagne et les Français, en m’élisant, ont donné leur accord. Pourtant, comment admettre que, dans une démocratie majoritaire, pour une élection à deux tours, tous les électeurs de Nicolas Sarkozy au second tour aient supporté toutes les propositions de son projet ? C’est le sophisme de la République dictatoriale.

Aujourd’hui, sur la question institutionnelle, s’opposent donc deux conceptions de la démocratie. Pour la première, la démocratie n’existe que dans les urnes et l’on n’est citoyen que dans l’isoloir. Pour la seconde, la démocratie est une vie quotidienne et l’on est citoyen jusque dans la rue. Selon la première, les cheminots, les étudiants, les fonctionnaires en novembre 2007 sont hors la loi. Selon la seconde, ils affirment hautement leur citoyenneté. Pour la première, les propositions 1 et 2 du comité, si elles étaient acceptées, seraient une modernisation. Pour la seconde, elles ouvriraient la boîte de Pandore du pouvoir personnel. Celle-ci demande enfin : si le Parlement à travers le premier ministre est soumis au président de la République, si dans le même temps aucun nouveau contre-pouvoir n’est créé, que nous reste-t-il pendant cinq ans pour exprimer un éventuel désaccord avec la politique du président, un désaccord même seulement ponctuel ? La grève - jusqu’en janvier et l’instauration du service minimum. Mais après janvier, que nous restera-t-il ? La désobéissance civile, l’illégalité. Or, et l’enjeu institutionnel clairement se dévoile, nous ne connaissons pas de situation historique où l’on ait réduit à l’illégalité les citoyens en désaccord sans ruiner en même temps les conditions de la paix civile.

(L’Humanité du 13 novembre)

Tag(s) : #Débats
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