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CITOYENNETÉ NATIONALE, EUROPÉENNE, MONDIALE


10 juin 2009


La question ne préjuge pas son existence, mais permet d’ouvrir un débat. Le risque est de se perdre en généralités car la notion de citoyenneté n’est pas un concept purement juridique, mais plutôt politique ; elle échappe de ce fait à toute définition stricte et définitive. La question de la transposition du concept, généralement à base nationale, à des ensembles multi ou transnationaux est bien une question de notre temps. Dans tous les cas, l’approche rationnelle des citoyennetés suppose le recours à une problématique permettant une analyse méthodique.


1. Selon quelle problématique parler de citoyenneté ?


Plutôt qu’une histoire, il existe une généalogie de la citoyenneté

La démocratie athénienne du V° siècle av. J-C. nous a appris la démocratie directe en dépit de son caractère restrictif.

Rome, à l’inverse, en dépit de structures fortement hiérarchisées, pose le principe de l’égalité des citoyens devant la loi et fait de la citoyenneté un instrument d’assimilation des hommes libres des régions conquises (édit de Caracalla 212).

À la fin d’une éclipse d’un millénaire sous le régime féodal, la citoyenneté réapparaît dans le bourgeois des cités qui exige plus de franchises commerciales et de libertés individuelles, mais surtout à l’université avec l’enseignement du droit romain, la traduction de La Politique  d’Aristote ; suivront La République de Bodin, Le traité du citoyen et Le Léviathan d’Hobbes, l’idée républicaine avec Machiavel, etc. Plus tard L’Esprit des lois de Montesquieu et Du Contrat social de J-J. Rousseau.

L’avènement du citoyen dans son acception moderne intervient avec la Révolution française : « Ici on s’honore du titre de citoyen et on se tutoie ! ». Puis les dimensions économiques, sociales et politiques s’affirmeront au cours des XIX° et XX° siècles.

Il ressort de cette rétrospective discontinue qu’il n’y a pas de citoyenneté sans finalités ou valeurs, sans exercice effectif doté des moyens nécessaires, sans dynamique propre à chaque époque.


Une validation de la problématique « valeurs-exercice-dynamique » : la citoyenneté "à la française"

S’agissant des valeurs, on pourrait s’en tenir à « Liberté-Ègalité-Fraternité », auquel je préfère un triptyque plus opérationnel. D’abord, une conception spécifique de l’intérêt général qui a donné naissance à l’école française du service public. Ensuite, une affirmation du principe d’égalité dont la mise en œuvre implique le recours à des actions positives, afin de rapprocher l’égalité sociale de l’égalité juridique. Enfin, une exigence de responsabilité qui affirme que ce sont les citoyens qui fixent les règles de la morale sociale et que c’est le principe de laïcité qui le leur permet.

En ce qui concerne l’exercice effectif de la citoyenneté, il est possible en premier lieu par l’ensemble des droits civiques des citoyens, attribués sur une base essentiellement nationale (droit de vote) ; mais il implique également l’effectivité de droits économiques et sociaux. La démocratie locale est un lieu privilégié d’exercice de la citoyenneté par la proximité qu’elle établit entre les objectifs et les lieux de pouvoir et le principe de libre administration des collectivités territoriales. La France est aussi, depuis plus de deux siècles, un véritable laboratoire institutionnel qui participe de la conception française de la citoyenneté.

Quant à la dynamique, elle s’observe particulièrement aujourd’hui dans une situation de crise de l’individualité (relativisation de l’État-nation, dénaturation de la notion de classe, bouleversements géographiques, évolution des moeurs, affaissement des idéologies messianniques), des médiations, des idéologies messianiques qui conduisent à s’interroger sur la nature de cette mutation, dont les dimensions transnationales, en particulier européennes doivent être considérées.

La problématique de la citoyenneté ainsi définie dans un cadre national doit être en mesure de s’appliquer au mouvement de confrontation-convergence des citoyennetés nationales

Elle doit apporter une réponse au cas des binationaux : cet état entraîne-t-il une bicitoyenneté ?

Elle se pose aussi dans la pratique du droit d’asile qui met face-à-face le citoyen d’ici et le citoyen d’ailleurs, oblige à préciser la dialectique des relations du droit de cité et du droit d’asile.

Elle nous conduit à tester le recours à la problématique telle que définie sur la notion de citoyenneté européenne, voire au-delà.


2. La citoyenneté européenne peut-elle s’inscrire dans cette problématique ?

La question doit-elle être posée ?

En effet, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) a décidé en son article 20 : « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre [traité de Maastricht]. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas [traité d’Amsterdam]. » (Bizarrement, cette rédaction existe aussi à l’art. 9 du traité sur l’Union européenne, mais amputé de sa première phrase …).

Cette définition est particulièrement critiquable pour au moins quatre raisons :

-        le caractère prétorien de la disposition : « Il existe », concernant une notion éminemment politique et qui s’inscrit dans une genèse de très longue durée ;

-        … toute « personne » ; toutes les personnes ne sont pas citoyen ou citoyenne : les enfants, les privés de droits civiques ;

 - … ayant la « nationalité » : alors que la question posée est précisément de s’interroger sur le dépassement du cadre national pour concevoir une citoyenneté transnationale ;

- … « s’ajoute à » : le problème n’est pas celui d’une sommation, mais d’une interactivité des deux notions.

On ne peut donc se satisfaire de cette énonciation trop fruste et close du droit positif. Il convient de reprendre les dispositions de la problématique de manière ouverte.


Quelles valeurs retenir pour une citoyenneté européenne ?

Si l’on s’en tient à la    rédaction de l’article 2 du traité sur l’Union européenne (TUE)  « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que du respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». La Charte des droits fondamentaux reprend ces valeurs dans une forme voisine.

Il s’agit donc d’énoncés positifs mais d’une extrême généralité et qui  pourraient s’appliquer à bien d’autres pays ou ensembles régionaux dans le monde. Pour être retenues comme valeurs de la citoyenneté européenne, celles-ci devraient avoir un caractère identifiant de cette citoyenneté comme le sont pour la citoyenneté française, le service public, le modèle d’intégration ou la laïcité. Il y a donc là une faiblesse méthodologique.

La question restant ouverte, au-delà des textes, peut-on imaginer des valeurs « spécifiques » pour une citoyenneté européenne. Ne pourrait-on penser par exemple que l’Europe pourrait être un creuset spécifique de l’antiracisme, de la protection de l’environnement, du dialogue des religions, de la coopération et des politiques migratoires, etc. À l’évidence, on a des difficultés à caractériser une spécificité européenne de valeurs, déjà prises en compte par nombre d’États-nations (et pas seulement européens), et dont on ne voit pas pourquoi elles ne devrait pas être posées d’emblée à un niveau plus étendu, voire mondial. Cette interrogation était fortement présente lors d’une récente émission de France Inter (23-24 mai 2009) au moment du festival de Cannes, au cours de laquelle était posée la question : « La culture ne pourrait-elle pas fonder l’identité européenne ? ». La démonstration s’est révélée impossible.


Quels moyens pour un exercice effectif de la citoyenneté européenne ?

Nous semblons mieux armés sur ce terrain car les articles qui suivent l’article 20 du TFUE affirmant la citoyenneté de l’Union énumèrent les droits qui lui sont associés :
- le droit de circulation et de séjour (art. 21) : cela vaut pour les ressortissants européens de l’ « espace Schengen », mais ne concerne pas les politiques migratoires régulées par d’autres textes (convention de Dublin II de 2003).

-        des droits politiques : droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections au Parlement européen (art. 22), mais une minorité des étrangers s’inscrit sur les listes électorales et ce droit fait rebondir le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales ; le droit de pétition (art. 24) ; divers autres droits : l’élection du Parlement au suffrage universel, l’ouverture partielle des fonctions publiques, l’égalité des rémunérations des hommes et des femmes, l’utilité affirmée des partis politiques.

-        des garanties juridiques : le droit à la protection diplomatique et consulaire des États (art. 23, non de l’Union européenne) ; le recours au médiateur (art. 24).

On pourrait encore évoquer des dispositions qui ne figurent pas dans la  définition de la citoyenneté européenne : l’interdiction des discriminations, la référence aux droits fondamentaux et les principes généraux du droit communautaire. Il y a aussi des droits économiques et sociaux épars dans les traités. On peut également citer d’autres attributs qui peuvent être rattachés à la citoyenneté européenne : l’euro, le drapeau, l’hymne, le permis de conduire le passeport, la carte verte, etc.

On ne s’attardera pas sur les moyens de la démocratie locale qui demeurent largement sous l’autorité des États. Et si de plus en plus de textes normatifs ont leur origine au sein des instances communautaires et s’appliquent plus ou moins directement en droit interne, ce n’est jamais sans l’accord préalable des États membres. Dans ces conditions, la citoyenneté européenne décrétée, de faible densité, apparaît comme une citoyenneté de superposition assortie de réserves et de délégations aux États le plus souvent fondées en fait ou en droit sur la réciprocité, sans autonomie véritable. On a parlé à son sujet d’ « objet politique non identifié », de citoyenneté « de conséquence ». P. Magnette et M. Telo estiment : « Évoquer une citoyenneté européenne reste largement une ambition incantatoire, sinon un abus de langage ». Les options économiques et financières sont dominantes. La citoyenneté européenne semble essentiellement créée dans le but d’une organisation fédérale de l’Union européenne.


Quelle dynamique propre de la citoyenneté européenne ?

Une réponse immédiate vient à l’esprit : le taux de participation aux élections européennes marqué par un taux d’abstention régulièrement croissant : 39,3 % en 1979, 51,1 % en 1989, 47,3 % en 1994, 53, 2 % en 1999, 57,2 % en 2004 et 59,4 % en 2009. Phénomène qui n’est pas propre à la France puisque le taux d’abstention a atteint 56,9 % pour l’ensemble des pays de l’Union européenne …

Mais on peut tenter d’aller au-delà pour expliquer cette désaffection. Hubert Védrine évoquait récemment dans Le Monde du 1er juin 2009 la complexité du fonctionnement des institutions européennes et les jeux politiciens autour de la nomination du futur président de la Commission. Le Monde diplomatique de ce mois évoque de son côté l’absence de véritable communauté politique des 495 millions d’habitants des pays concernés, la prévalence des questions de politique intérieure dans ces pays, l’ignorance des votes émis par référendum de la France, de l’Irlande et des Pays Bas sur le projet constitutionnel à la suite de campagnes réellement politiques, la connivence dont font preuve dans leur votes et le partage des places les principaux groupes politiques au Parlement européen, l’arbitraire du découpage des huit circonscriptions électorales en France. Tous ces facteurs faisant obstacle à l’émergence d’une véritable identité européenne.

J’ai souligné le caractère éminemment politique de la notion de citoyenneté. Je résumerai, pour ma part les obstacles à l’affirmation d’une citoyenneté européenne par une formule : trop de marché, trop de droit, pas assez de politique. En résumé :

-        Trop de marché : l’Europe avant tout conçue comme un grand marché ouvert « où la concurrence est libre et non faussée », incapable de répondre à la crise par la mise en œuvre de moyens communs.

-        Trop de droit : inflation des textes (les traités 1200 pages), régulation du principe de subsidiarité par la CJCE. Dans la crise, les articles 101, 102 (concurrence et positions dominantes), 106, 107 (aides publiques), 123 et 126 (équilibre budgétaire) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ont fait faillite, certains évoquant l’idée d’un droit « par intermittence ».

-        Pas assez de politique (en y incluant le social) : incapacité à organiser une véritable convergence consciente des peuples et des nations, choix de privilégier les niveaux infra et supra nationaux, dialectique Europe-nations médiocre.

L’insatisfaction qui résulte de cette analyse quant à l’existence d’une véritable citoyenneté européenne suggère que le problème est peut-être mal posé et invite à déplacer l’analyse au niveau supérieur, voire au-delà de la transnationalité, celui d’une citoyenneté mondiale.


3. L’idée d’une citoyenneté mondiale : faux-fuyant ou perspective ?

La divergence entre citoyenneté et nationalité est ancienne : exemples de Thomas Paine, Anacharsis Cloots (qui se proclamait « citoyen de l’humanité ») citoyens français et députés à la Convention ; Garibaldi élu député dans quatre départements français. Le dépassement du déterminisme national est étroitement lié à l’intensité dramatique ou révolutionnaire du moment.

La dialectique citoyenneté- nationalité permet d’évoquer nombre d’exemples contradictoires. K. Renner a proposé au début du XX° siècle de conférer une même citoyenneté aux ressortissants de l’Autriche-Hongrie respectant les minorités nationales qui constituaient l’ensemble. La citoyenneté soviétique se fondait sur la réunion des nationalités russes, ukrainienne, biélorusse, etc. Si le Conseil constitutionnel a récusé la notion de « peuple corse » en 1991, l’accord sur la Nouvelle-Calédonie en 1998 a organisé une divergence progressive des citoyennetés française et néocalédonienne pouvant au terme du processus conduire à des nationalités différentes. La pratique du droit d’asile montre aussi que les notions de nationalité, citoyenneté, origine, résidence, sont fréquemment confondues.

Au-delà de ces exemples, une conception rationnelle d’une citoyenneté mondiale peut-elle ressortir de la problématique valeurs-exercice-dynamique précédemment utilisée aux niveaux national et européen ?


L’aspiration aux « valeurs universelles »

Les valeurs nationales se conçoivent souvent comme ayant une valeur universelle. C’était l’ambition des révolutionnaires de 1789. Aujourd’hui encore, nombre d’entre nous ne sont pas loin de considérer que notre conception de l’intérêt général et du service public, du modèle français d’intégration fondé sur le principe d’égalité des citoyens et le droit du sol, de la laïcité comportant les principes de liberté de conscience et de neutralité de l’État ne sont pas loin d’être des valeurs à vocation universelle, ce qui est loin d’être le cas pour nombre de ressortissants d’autres pays. L’émergence de valeurs universelles ne peut dont se produire qu’à travers un long processus de confrontation-convergence des opinions publiques.

Pour autant, est-il possible de proposer dès aujourd’hui des valeurs, sinon universelles, du moins largement partagées ? On pensera naturellement à la paix ; mais aussi, peut être, à la sécurité sous toutes ses formes ; au droit au développement ; à la protection de l’écosystème mondial ; à la maîtrise scientifique ; aux droits de l’homme et du genre humain. On observera que le niveau mondial étant borné, on ne rencontre pas ici la même difficulté méthodologique qu’au niveau continental ou régional. Mais la grande généralité de ces énoncés affecte sans doute leur caractère opérationnel et peut les réduire à des incantations.


Des bases pour l’exercice d’une citoyenneté mondiale

La mondialisation n’est pas seulement celle du capital, mais celle-ci a pour effet d’étendre les mécanismes d’exploitation à l’ensemble du monde. Elle joue donc objectivement un rôle dans la globalisation des problèmes et des bases d’une éventuelle citoyenneté mondiale.

Celles-ci peuvent être factuelles : on peut penser au réseau Internet, aux 5000 ONG, au développement des solidarités et des échanges internationaux sous toutes les formes. Nous y reviendrons.

Il existe aussi des bases juridiques dès maintenant non négligeables. L’article 1er de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 se prononce pour la paix et le règlement pacifique des différends, la coopération entre les nations. Son article 2, pour la première fois dans l’histoire, fait interdiction aux États de recourir à la force et avance l’idée de sécurité collective. Participent aussi de cette base, qui permettrait d’asseoir progressivement le statut juridique d’une citoyenneté mondiale des conventions internationales importantes : la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, la Convention de Génève relative aux réfugiés du 28 juillet 1951, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966, la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 janvier 1990, la Cour pénale internationale créée par le traité de Rome le 17 juillet 1998, etc.

Les droits de l’homme semblent s’imposer comme moyens de l’exercice d’une citoyenneté mondiale. Il existe de nombreuses déclarations des droits. La Déclaration universelle de 1948 prévoit des droits étendus : non-discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, les opinions politiques et l’origine ; interdiction de l’esclavage, de la torture de la détention arbitraire ; droit d’être jugé équitablement ; protection de la vie privée ; droit de circulation ; droit d’asile ; droit à une nationalité, au mariage, à la propriété, à l’éducation, à la sécurité sociale, au travail et à une rémunération équitable ; liberté de penser, de conscience et de religion ; liberté de réunion et d’association, d’égal accès aux fonctions publiques ; droit syndical ; droit de vote. Auxquels ont peut ajouter un droit introduit plus récemment : le droit d’ingérence. Cet ensemble d’une grande ampleur reste cependant un ensemble incertain. Tous les pays n’y ont pas souscrit. Les formulations très générales ne constituent pas à elle seules des règles juridiques opérationnelles ; celles-ci comportent de nombreuses réserves, dérogations, exceptions, restrictions. Hannah Arendt se montrait sceptique sur leur contenu réel. Pour Marcel Gauchet l’idéologie des droits de l’homme, a-historique car elle n’a pas de véritable histoire et n’est pas porteuse de projet, fonctionnant sur la base de l’indignation spontanée, combinée au pouvoir médiatique, s’inscrit dans une autorégulation des rapports sociaux qui n’est pas sans rapport avec celle du marché dans la sphère des rapports économiques. Enfin, le professeur Jean Rivero a écrit une phrase particulièrement éclairante : « Le droits de l’homme sont des libertés, les droits du citoyen sont des pouvoirs ». Or, il résulte de ce qui précède que ces pouvoirs existent bien au niveau mondial et partant des moyens pour l’exercice d’une citoyenneté correspondante, mais que leur effectivité est loin d’être assurée.


La montée de l’ « en-commun » comme dynamique d’une citoyenneté mondiale

Il est permis de penser que, peut être, dans l’avenir, notre époque sera regardée comme celle où se sera accéléré un processus de « mise en commun » dans de très nombreux domaines : protection de l’écosystème mondial, télécommunication, navigation aérienne, météorologie, etc. Les progrès scientifiques ne se conçoivent plus sans échanges internationaux des connaissances et des avancées. La culture se nourrit de l’infinie diversité des traditions et des créations mondiales. Les mœurs évoluent pas comparaisons, échanges, interrogations nouvelles. Au-delà du développement inégal, des frontières existantes, la mobilité tend à devenir un droit, au sens qu’envisageait Emmanuel Kant : « La Terre étant une sphère, ne permet pas aux hommes de se disperser à l’infini, mais les contraint, malgré tout, à supporter leur propre coexistence, personne, à l’origine, n’ayant plus qu’un autre le droit de se trouver en un endroit quelconque de la Terre ». D’où, selon Kant, le devoir d’hospitalité.

C’est dans ce contexte qu’il commence à être possible de parler de « citoyenneté mondiale ». Il faut pour cela donner une traduction juridique et institutionnelle à ce que désignent des expressions comme « patrimoine commun de l’humanité », « bien à destination universelle »  selon Vatican II, ou encore avec Edgar Morin « Terre-Patrie », ou le « Tout Monde » des écrivains Patrick Gamoiseau et Edouard Glissant. L’une des premières conséquences pourrait être de donner consistance à la notion d’appropriation sociale des biens publics : l’eau, mais aussi des ressources du sol et du sous-sol, des productions agricoles et alimentaires, des ressources énergétiques, certains secteurs-clés de production de biens et de services, et de leur faire correspondre des services publics organisés à ce niveau. Je soutiens que, dans ces conditions ; le XXI° siècle pourrait être l’ « âge d’or » des services publics, validant les notion d’intérêt général, d’égalité et de responsabilité précédemment évoquées comme valeurs cardinales de la citoyenneté.

En conclusion, je pense que notre époque présente dans la     crise deux caractères nouveaux : d’une part une prise de conscience de l’unité de destin du genre humain, d’autre part un renvoi de la responsabilité de la recomposition vers l’individu. Cela n’invalide pas le rôle de la nation qui, à mes yeux, demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du général et du particulier. Il me semble ainsi plus fécond de partir d’une réflexion sur les fins et moyens d’une citoyenneté mondiale émergente dans sa dimension planétaire, que de passer en force par une création formelle de citoyenneté européenne comme cela a été fait en 1992 au sein de l’Union. Cela permettrait, en retour, de revenir dans un cadre européen pour organiser efficacement la convergence des citoyennetés nationales en harmonie avec ce qui se passerait dans d’autres régions continentales. L’Europe serait un espace de convergence, mais il ne serait pas le seul. Pour faire les choses sérieusement, il faut se garder de toute impatience en la matière : la citoyenneté ne se forme que dans le temps long. Renan disait : « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel, elles ont commencé, elle finiront […] La confédération européenne probablement les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons ». C’était dans son célèbre discours à la Sorbonne « Qu’est-ce qu’une nation ? » … le 11 mars 1882, il y a 127 ans.

Anicet Le Pors

Tag(s) : #Débats
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