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Lu sur http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article=3566

Nous subissons un malaise indéfinissable créé par la politique discriminatoire du gouvernement, mise en œuvre par un ministre dédié à un nouveau ministère ‘de l’identité nationale...’ dont la création même fut une offense à notre identité bâtie en héritage d’une tradition humaniste éclairée, souvent fautive par incohérence mais toujours consciente de la valeur de ses fondamentaux reconnaissant l’altérité des hommes nés « libres et égaux en Droit ».

Le ministre en charge des basses besognes, nous le savons déjà, laissera trace dans les pages sombres d’une histoire dont nous savons être les contemporains. Je parle de ce malaise indéfinissable qui résulte de cette perception qu’il se joue ici et maintenant quelque chose d’essentiel...Je postule que ce malaise ne peut être dissocié des difficultés actuelles de la gauche pour des raisons multiples :
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  Est-il possible que le ‘peuple de gauche’ se sente violenté par les uns sans pour autant se sentir compris et représenté par les autres ?
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  Est-il possible que le ‘désamour’ pour la gauche trouve ici une de ses racines profondes ? Lorsque les discours politiques tournent le dos à de criantes évidences d’injustices et de violences sociales pour alimenter le sottisier de la lutte des ‘ego’, qui peut croire qu’un quelconque ‘désir d’avenir’ renaîtra de la promotion d’autistes cyniques egocentrés ?
-  Et si le peuple de gauche gardait une générosité qui fasse qu’il vaille mieux que ceux qui prétendent l’incarner ?

COMMENT EN SOMMES-NOUS ARRIVES LA ?

Nous sommes tous témoins de la discrimination au quotidien et son cortège d’injustices. Le rejet des immigrés avec ou sans papiers, les rétentions sauvages y compris d’enfants et les expulsions arbitraires nous obligent à voir, de notre société, la face sombre dans laquelle nous voudrions ne pas nous reconnaître nous-mêmes.

Nous n’avons pas oublié que certains comportements hideux furent longtemps revendiqués par un seul parti extrême, celui de la ‘préférence nationale’. Lorsque l’incurie de la gauche en 2002 lui fit perdre deux millions et demi d’électeurs permettant l’émergence visible du péril, le rejet avait été massif. Pourtant en moins de cinq ans un autre candidat sans scrupule cultiva les mêmes idées nauséabondes, ouvertement incluses dans son programme, renforcées par les tentatives de réhabilitation des ‘bienfaits’ de la colonisation, le déterminisme génétique enfin dont découlait logiquement lors du discours de Dakar que les noirs ne possédaient pas les outils de la maîtrise de leur destin...Aucun ‘nationalisme’ n’était ouvertement revendiqué, seulement les fondamentaux d’une nouvelle droite convaincue de la supériorité occidentale qui devait transformer notre république en partenaire de ‘l’axe du bien’...Oui la droite a gagné cette bataille idéologique qui représente le plus grave retournement intervenu depuis 1940...

Comment cela fut-il possible ? Parce que les arguments ouvertement xénophobes sont difficiles à manipuler comme ‘discours général’, ceux-ci ne sont utilisés que de façon occasionnelle mais répétitive en instrumentalisant tous les ‘faits divers’ possibles, ni plus ni moins fréquents que précédemment mais opportunément utilisés pour légitimer les amalgames fondant la nouvelle politique sécuritaire. La nouvelle « cause sacrée » est devenue l’exigence sécuritaire au service d’un non-dit qui manipule toutes les peurs possibles. Il nous est demandé à tous de croire que la protection des uns (nous !) nécessite l’extinction de la sensibilité à la souffrance des autres...Cette même logique d’indifférence fait rejeter pour le passé toute idée de ‘repentance’ et prépare déjà l’idée que les crimes de demain resteront impunis...

Mais cette évolution qui nous voudrait complices du pire possible peut-elle entraîner l’adhésion sincère du plus grand nombre ?

SURSAUTS ET RESISTANCES :

Ici et là surgissent des solidarités croissantes qui pour l’essentiel ne doivent rien à une posture politique et idéologique préalablement structurée, même si de nombreux militants contribuent à leur développement. Ceux qui en mars 1996 avaient été effarés et traumatisés par l’irruption policière hyperviolente dans l’église Saint Bernard à Paris, occupée par des immigrés, ont depuis gardé les yeux ouverts. Les violences n’ont depuis cessé de croître à Sangatte comme à Vincennes, des immigrés pourchassés se sont défenestrés, les humiliés se comptent par milliers chaque mois dans les contrôles discriminatoires ; dans les squats comme au bord du canal Saint Martin les exclus, les rejetés et pourchassés ont aussi ‘la peau blanche’ et la société sécuritaire révèle sa vraie nature, celle d’un Ordre social protégeant ses privilèges contre tous les indésirables, du dedans ou du dehors...Surveiller et punir redevient la fonction de l’Etat comme le décrivait déjà Foucault.

Lorsque surgissent les solidarités elles ne doivent rien, le plus souvent, à une sympathie profonde qui aurait supposé une connaissance préalable des ‘victimes’ concernées. Ce que révèlent les solidarités avec les ‘sans’ de toute sortes, avec le réseau ‘éducation sans frontières’ qui fut exemplaire, c’est que le besoin du respect de l’autre reste inscrit au plus profond de nos structures mentales.

Au travers de l’exigence de réhabilitation de tous les ‘sans droits’ se reproduit la pure aspiration à toutes les époques de ceux qui crient contre l’injustice : les gueux, les sans culottes, les dépossédés et les révolutionnaires qui épousaient leur cause parlent pour que tous ‘les damnés de la terre’ intègrent l’humanité. La nature profonde du sentiment qui permet cela est tout simplement l’altérité qui est un lien propre à l’homme depuis ses origines.

L’ALTERITE VOLEE. Aujourd’hui la violence faite aux hommes et aux peuples est une négation de l’altérité. Cette négation fonde une part de nos politiques nationales ou internationales, elle est même nécessaire à l’extension de l’entreprise impériale et post coloniale.

Pourtant nous sommes nombreux, les plus nombreux peut-être, à ressentir au Nord comme au Sud combien cette négation est une régression vers la barbarie. Cette blessure infligée ‘à l’autre’ est aussi infligée à celui qui la perçoit ; comme une injustice insupportable dont la tolérance vaudrait consentement à sa propre perte de dignité et d’humanité. Lorsque le sujet qui perçoit cela est lui-même déprécié dans une société libérale ou la compétition de chacun contre tous est élevée au rang de vertu peut un temps se développer la rancœur contre le plus faible que soi dont la stigmatisation est encouragée, mais aussi la perception sourde d’une manipulation collective qui vise à la déshumanisation de tous les dépossédés de la terre.

Le capitalisme triomphant dans ce monde devenu globalisé ne peut empêcher les damnés de la terre d’accéder à la lucidité qui leur permet de ‘déconstruire’ les processus de la domination. Nos gouvernants le savent qui ne prolongent la survie du modèle que par la discrimination et la peur. L’arme principale est de créer une nouvelle catégorie de ‘dépossédés’, celle des dépossédés de leur dignité, de leur libre arbitre et de leur capacité même à se reconnaître comme tel...La négation de l’altérité, l’humiliation et l’élimination sont devenus la substance même de nos ‘divertissements’ télévisuels dont il serait grotesque de croire que la seule finalité serait la ‘recette publicitaire’ ; la finalité est bien plus grave qui vise à l’asservissement des esprits dont l’ultime liberté est de contribuer ou assister au spectacle de leur propre indignité. La plus grande victoire du capitalisme aura été de rendre superflue et même gênante l’altérité qui faisait la substance du lien entre les hommes et donnait tout son sens au ‘vivre ensemble’ dans un esprit de justice et de fraternité.

Parce que l’altérité est inspiratrice de tout ce qui inspire l’esprit de justice, d’intérêt général et de bien commun, elle représente l’ennemi déclaré, l’obstacle psychologique à détruire, pour toutes les forces de domination et de maintien des privilèges. Parce que l’altérité est la base de toutes les solidarités et de toutes les révolutions elle doit être niée et broyée. Les totalitarismes avaient déjà compris que noyer l’individu dans la masse était le meilleur moyen de contrôler tous les individus en leur donnant l’illusion de participer à un ‘grand tout’...Nous vivons une forme moderne de cette négation qui vise à rendre possible la passivité du plus grand nombre devant les injustices les plus graves qu’il n’est plus même utile de dissimuler, comme si la connaissance renforçait le sentiment de culpabilité et la dévalorisation de soi qui est la première étape du consentement à l’aliénation. Le ‘quota’ des expulsés est triomphalement annoncé censé nous sécuriser tous demain, comme sera sécurisant le fichage préventif généralisé dés l’âge de treize ans dans le fichier Edvige de tout sujet acteur social ou en relation avec l’un d’eux ; il s’agit de contrôler l’émergence de tous les « sociopathes » que sont désormais les hommes simplement ‘libres’...Et cela nous le savons chacun déjà.

PAS DE POLITIQUE A GAUCHE POSSIBLE SANS RECONQUETE DE L’ALTERITE VOLEE :

Le combat pour la reconquête de la dignité de tous est au cœur des enjeux du XXI me siècle. Le siècle écoulé nous avait fait chanter ‘Debout les damnés de la terre’, mais nous découvrons que l’homme redressé peut encore être mis à genou par ses prêtres ou par ses maîtres, subir sélections et exclusions dans l’indifférence des autres ; nous découvrons que le pire est encore possible.

C’est bien cette perception qui fait les refus, désordonnés souvent, dérisoires parfois, de ces hommes et de ces femmes en soutien des sans voix et des sans droits, en soutien de ceux qui voient leur dignité bafouée. Mais l’histoire nous enseigne que laisser toutes ces bonnes volontés isolées c’est les condamner déjà a être broyées en l’absence de force politique d’appui et de prolongement de l’action. Le fichage des individus est en marche qui permettra demain l’intimidation et la répression à une échelle nationale et internationale.

La gauche ne portera vraiment les aspirations qui devraient être les siennes, celles de l’émancipation humaine présente au cœur de la pensée socialiste, que si elle sait faire priorité de la reconnaissance et de l’accompagnement de toutes ces révoltes ‘de bas en haut’, par lesquelles des hommes et des femmes exigent vivre dans un monde véritablement plus juste et plus fraternel. Les ‘moyens’ pour y parvenir ne sont que seconds par rapport à l’indispensable réaffirmation de ‘l’utopie’ première d’une humanité capable de se regarder dans le miroir sans y voir le bourreau de ses frères.

La gauche en désamour profond avec son ancien électorat doit comprendre qu’il est des ‘fondamentaux’ plus essentiels que mille subtilités programmatiques. Elle doit aussi comprendre qu’il est des options programmatiques qui invalideront toujours la prétention à incarner encore les fondamentaux même annoncés. Les perversions du socialisme dans ses déviances totalitaires comme dans ses déviances libérales ont montré que la perte de l’altérité avait précédé et de longtemps la victoire idéologique de la droite survenue sur un terrain déjà déblayé des plus sérieux obstacles. Les faux héritiers de Marx et de Jaurès doivent savoir leur part de responsabilité dans ce processus.

Pourtant cette mémoire d’un socialisme d’espoir et de fraternité reste celle des peuples qui ont abattu les féodalités, les anciens régimes, les totalitarismes et les colonialismes. Ces peuples savent qu’ils n’ont pas encore abattu un capitalisme par essence anti-humaniste et qui s’accommode bien de la banalisation de la barbarie. 

ON DIT QUE LA GAUCHE SE RECOMPOSE ?

Après l’effondrement des gauches de compromission et de trahison on prétend que la gauche se recompose ...Vraiment ? Face aux violences sociales et politiques dont nous sommes tacitement nombreux a être complice, chacun en lui-même ne peut éviter certains questionnements :

Sommes-nous vraiment les acteurs de ce réel infâme ? Sommes-nous capables de cela ou sommes-nous meilleurs que nous le paraissons ? Sommes-nous meilleurs que l’image d’une société abjecte qui colle à notre peau et représente la seule visible pour ceux qui nous observent de loin ? Autour de nous à quoi ressemblent les nouvelles étoiles jaunes que nous refusons de voir ? Que sont devenus ceux dont nous taisons la disparition après avoir tu l’existence ? Qu’as tu fais de nous toi qui nous gouverne ? Pour qui nous prenez nous vous qui prétendez encore représenter la gauche et faites silence sur ce qui nous bouleverse ?

Ce qui nous a été volé est plus important encore que le bien commun, c’est l’altérité qui nous permet de dire sans mentir ‘frère’ ou ‘camarade’. C’est cela le premier défi de la gauche.

JACQUES RICHAUD 4 AOUT 2008 (*)
(*) DATE ANNIVERSAIRE DE L'ABOLITION DES PRIVILEGES

Tag(s) : #Débats
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