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15 septembre 2018 / Émilie Massemin (Reporterre)
 

 

Le plan vélo présenté vendredi à Angers par le Premier ministre contient quelques avancées, dont une enveloppe de 350 millions d’euros pour le financement de pistes cyclables. Mais il n’est pas à la hauteur des enjeux, déplorent les associations, alors que les Français sont bien en dessous de la moyenne européenne quand il s’agit d’enfourcher une bicyclette.

« Le constat est sans appel : la part des déplacements en vélo en France est faible. Le vélo représente 3 % des déplacements quotidiens, soit plus de deux fois moins que la moyenne européenne », a déclaré le Premier ministre, Édouard Philippe, en introduction de la présentation du plan national vélo, vendredi 14 septembre vers 16 h 30, à Angers (Maine-et-Loire). L’objectif, modeste, est de tripler cette part modale pour atteindre 9 % en 2024, bien loin du quart des déplacements pour les Danois et du tiers pour les Néerlandais. Pour y parvenir, vingt-cinq mesures ont été dévoilées après des mois de suspense — le plan avait été annoncé une première fois par la ministre des Transports, Élisabeth Borne, en décembre 2017, mais maintes fois repoussé.

Le plan vélo

Le plan est assorti d’une enveloppe de 350 millions d’euros sur sept ans « pour soutenir les projets de création d’axes cyclables dans les collectivités », a indiqué M. Philippe. La création a été saluée du bout des lèvres par les associations. « C’est la première fois que l’État s’engage sur un montant précis pour le cofinancement d’infrastructures cyclables, ce qu’il fait déjà pour les transports en commun en site propre, comme les tramways, apprécie le porte-parole de l’association Paris en selle, Simon Labouret, joint par Reporterre. Mais le niveau de financement annoncé est décevant. 50 millions d’euros par an, c’est l’équivalent de trois kilomètres de tram, alors que notre pays accuse un immense retard en matière d’infrastructures cyclables ! » « 50 millions d’euros par an, ça représente 70 centimes par habitant et par an, c’est donc quatre fois moins que les besoins annuels réels » et bien loin des 4 euros par habitant et par an que les gouvernements danois et néerlandais consacrent à la bicyclette, ont renchéri les associations du Réseau action climat (RAC) dans un communiqué. Elles réclamaient 200 millions d’euros par an pour « résorber le retard ».

« Un contexte urbain qui ressemble à un enfer de bitume et de moteurs » 

Construire de nouvelles infrastructures cyclables permettrait d’améliorer la sécurité des cyclistes, premier axe du plan vélo dévoilé par le Premier ministre. Mais aussi, entre autres, la généralisation dès 2019 des sas vélo — ces espaces devant les voitures réservés aux cyclistes au niveau des feux tricolores. « Chacun doit pouvoir prendre un vélo sans avoir le sentiment de se mettre en danger », a insisté M. Philippe. Il reste du chemin à parcourir avant d’y parvenir. « Le principal frein à l’usage du vélo à Paris, c’est un environnement urbain très hostile : des voitures et des scooters omniprésents, beaucoup de circulation, peu d’infrastructures cyclables et très peu de rues apaisées, observe Simon Labouret. On est vite dans un contexte urbain qui ressemble à un enfer de bitume et de moteurs. » Les chiffres de la sécurité routière l’attestent, indique à Reporterre Pierre Canet, responsable de l’équipe Énergie, climat et villes au WWF : « Au mois d’août, la mortalité a baissé pour les automobilistes, mais a augmenté pour les cyclistes. Quelque 24 cyclistes ont perdu la vie, le pire chiffre des cinq dernières années. »

Deuxième axe, la lutte contre les vols de bicyclettes. « 300.000 foyers sont victimes, chaque année, d’un vol de vélo », a déploré le Premier ministre. Pour y remédier, le plan prévoit l’aménagement de stationnements sécurisés près des habitations, des entreprises et des centres commerciaux. Mais aussi la systématisation du marquage des cadres des vélos par les vendeurs, avec un « identifiant unique infalsifiable », pour qu’ils puissent être rendus à leurs propriétaires s’ils sont retrouvés par les forces de l’ordre.

Troisième axe, la mise en place d’un forfait mobilité durable pour les travailleurs à bicyclette. « Avec ce forfait, les employeurs privés et publics pourront contribuer aux frais de déplacement domicile-travail de leurs salariés ou agents à vélo jusqu’à 400 euros en franchise fiscale et sociale », a déclaré M. Philippe. Tous les fonctionnaires devraient en bénéficier, à hauteur de 200 euros par an. Ce dispositif est destiné à remplacer l’indemnité kilométrique vélo, qui consistait, pour les entreprises volontaires, à accorder 25 centimes par kilomètre parcouru en vélo entre la maison et le bureau. Mais Bruno Gazeau, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), reste sceptique. « Ce qui me préoccupe, c’est qu’on laisse encore une fois la liberté aux entreprises d’accorder ou non ce forfait, comme c’était le cas avec l’indemnité kilométrique vélo, explique-t-il à Reporterre. Il faudrait que ce soit un peu plus incitatif et un peu plus obligatoire ! » Autre mesure, l’introduction du vélo dans le barème kilométrique fiscal « qui sert à rembourser les frais de déplacement que les salariés effectuent à titre professionnel avec leur véhicule personnel », a expliqué le Premier ministre.

Enfin, M. Philippe espère, par ce plan, « diffuser la culture du vélo dans la société ». Pour cela, le dispositif scolaire « Savoir rouler » sera généralisé d’ici 2022 dans toutes les écoles primaires.

« Le vélo a le défaut de ses qualités — il n’est pas cher ! Résultat, il n’est pas pris au sérieux »

Reste que le gouvernement doit lui-même acquérir cette « culture vélo », observent les associations, à l’heure où les annonces concernant les transports se multiplient et ne font pas toutes la part belle aux mobilités douces. « S’élevant à moins de 5 % (1,2 milliard sur dix ans sur un total de 27,7 milliards) du plan d’investissement, les financements pour les mobilités propres et partagées demeurent dérisoires en comparaison des besoins et des dépenses prévues sur le réseau routier et la voiture individuelle, déplorent-elles dans leur communiqué. Pourtant, le transport routier bénéficie d’un remboursement de taxe sur le diesel de plus d’un milliard d’euros par an, malgré ses incidences considérables sur la pollution de l’air, le climat […]. Enfin, le maintien de projets routiers (Rouen, Strasbourg, etc.) annonce un gâchis environnemental et financier auquel il est encore temps de renoncer ! »

Les associations attendent également de voir comment ce plan sera approprié par les collectivités locales. « J’espère que les collectivités locales prendront le relais, confie Bruno Gazeau. Beaucoup de choses dépendent d’elles, elles détiennent beaucoup de compétences dans ce domaine. C’est quand même à elles de se saisir du sujet, même s’il est important que l’Etat donne un signal, encourage et facilite les choses. » Sur le terrain, ce n’est pas toujours évident.

« Premier aspect, on a organisé depuis maintenant cinquante ans notre mobilité — et donc notre urbanisme — autour de la voiture. Depuis quelques années, on essaie de revenir en arrière, notamment dans les grandes villes. Mais c’est lent, car il y a un effet d’addiction. Surtout dans les zones périurbaines où la maison, l’école, le travail, le supermarché… sont souvent très éloignés les uns des autres, analyse Simon Labouret. Deuxième aspect, le vélo a le défaut de ses qualités — il n’est pas cher ! Résultat, il n’est paradoxalement pas pris au sérieux. Les pouvoirs publics n’ont pas de problème pour dépenser des millions voire des milliards d’euros dans des projets complètement absurdes, comme cette gare à Montpellier qui a coûté 150 millions d’euros pour quatre trains par jour ou ce projet de relier l’aéroport de Roissy à la gare de l’Est par un Charles-de-Gaulle Express de plus d’un milliard d’euros. Par contre, les infrastructures vélo ne font pas l’objet d’investissements. Même dans les villes à la pointe, comme Grenoble et Strasbourg, les montants alloués restent modestes ! Alors qu’à Séville, les 80 millions investis dans un réseau cyclable entier ont permis de déplacer un nombre de personnes considérable. Il aurait fallu dépenser quatre ou cinq fois plus pour en transporter un nombre équivalent en métro ou en tramway. »

 
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Tag(s) : #luttes citoyennes
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